
Salaire de base supérieur à 100 000 dollars, plus les primes et les options d’achat d’actions… rien de tout cela ne manque à Béatrice Vaugrante. Lorsqu’elle a quitté son poste de cadre dans les télécoms pour devenir directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, en 2006, elle a divisé ses revenus par trois… mais multiplié son bonheur au boulot par dix. «Je suis convaincue qu’on n’a pas besoin de tout cet argent et qu’il y a trop d’écarts de salaire sur terre», dit l’énergique brune de 48 ans, qui me reçoit dans son bureau vitré de la Maison du développement durable, à Montréal. «Je vis correctement avec ce que je gagne et je suis à ma place.»
Ce n’est ni par dépit ni par ennui que Béatrice a décidé de changer de vie. Plutôt par désir de s’impliquer davantage pour faire bouger les choses. Bénévole active pour Amnistie pendant six ans, elle n’avait pas envisagé d’y consacrer sa vie professionnelle. Le déclic est survenu lors d’un congé sabbatique de six mois, en 2003-2004, pendant lequel elle a voyagé, sac au dos, en Inde, en Amérique du Sud et en Afrique. «Agir pour la dignité de chacun, c’est ma façon d’exister, et je me suis dit que le business survivrait sans moi!»
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Normande d’origine, Béatrice Vaugrante n’en est pas à son premier changement de cap. Elle a adopté le Québec après avoir travaillé pour une boîte de gestion des ressources humaines à Paris, à Londres et dans une Europe de l’Est en pleine effervescence dans les années 1990, et après une session d’études à Mexico, le temps d’un échange dans le cadre de son MBA à HEC Paris. À son retour en France en 1996, les emplois qu’on lui propose la laissent de marbre, mais elle accepte illico de devenir consultante à Montréal, où son ancienne boîte a ouvert un bureau. Dernière recrutée, elle hérite des contrats dans les régions du Québec et prodigue des conseils en RH à des entreprises minières, forestières et autres alumineries. «Ça m’a vite mise dans le bain!»
L’accueil réservé aux jeunes professionnels et aux femmes en milieu de travail au Québec l’a ravie. «C’est ce qui m’a fait rester… et un an après, j’ai rencontré mon homme.» Père de leur fils de 10 ans, le militant contre la pauvreté et l’exclusion Patrice Rodriguez — cofondateur de l’entreprise d’insertion québécoise Le Boulot vers… — est décédé en juin. Celui-ci n’a pas été étranger au virage professionnel de Béatrice: c’est avec lui qu’elle a arpenté la planète pendant six mois. À l’époque, elle n’était plus consultante, mais gestionnaire en RH dans le secteur des télécoms. «Ce n’était pas seulement des vacances, mais une démarche de réflexion sur notre façon de vivre et notre souhait de faire partie du changement et de l’influencer.»
De retour au Québec, Patrice fonde l’organisme Parole d’ExcluEs à Montréal-Nord, tandis que Béatrice est prête à réorienter sa carrière.
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Elle n’hésite donc pas à postuler quand le directeur de la section Canada francophone d’Amnistie part à la retraite en 2006. Parmi tous les candidats, cette leader-née plus férue de justice que de charité, connue et reconnue comme bénévole, s’impose. «On travaille pour sauver des personnes en danger, mais on agit aussi sur les lois pour éviter que d’autres subissent le même sort.» Elle apprécie aussi l’indépendance d’Amnistie internationale, qui n’accepte aucune subvention gouvernementale et vit des dons de ses membres et du public.
Droits des autochtones, des femmes, des réfugiés, des travailleurs migrants, lutte contre les détentions illégales et la torture… Sous sa houlette, l’organisme est présent partout et Béatrice Vaugrante est de toutes les tribunes. Ce qui lui vaudra un prix hommage lors du 40e anniversaire de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, en 2015. C’est aussi elle qui orchestre le déménagement des bureaux de Ville-Émard à la Maison du développement durable, au cœur du Quartier des spectacles, en 2011. «C’est plus accessible pour nos partenaires, bénévoles et stagiaires… Et quand on veut faire une manif, on n’a qu’à sortir dans la rue!»
Sa petite famille, elle, n’a pas eu à déménager après son changement de carrière. Sa baisse de revenus — elle gagne moins de 80 000 dollars — n’a pas eu d’effet négatif sur son style de vie… même avec l’arrivée de Miguel, en 2006. «Nous n’avons pas de besoins énormes: ni voiture, ni fringues, ni design d’intérieur, ni chalet… Je ne suis pas attachée aux biens matériels, dit Béatrice. Mon trip à moi, c’est les voyages!» Locataire dans une coopérative d’habitation du quartier Hochelaga-Maisonneuve depuis 2001, elle se rend au boulot à vélo ou en métro. Toujours heureuse dans la voie qu’elle a choisie.