« Chasse-moustique », « humidex », « écoanxiété »… : les nouveaux mots de 2023

L’influence du Québec se fait sentir dans les nouvelles moutures du Petit Robert et du Petit Larousse illustré. Et ce n’est pas trop tôt, dit notre collaborateur Jean-Benoît Nadeau. 

montage : L’actualité

Quelque part entre le temps des sucres et celui des fraises, on les voit revenir chaque printemps avec les beaux jours. Les outardes n’ont pas encore fini de migrer que les dictionnaires Le petit Larousse illustré et Le petit Robert débarquent avec les mots nouveaux de leur édition annuelle. Fidèles à leur habitude, les deux multinationales de la lexicographie nous annoncent donc une fournée d’un peu plus de 300 nouveautés : de « covidé » (atteint de la covid) à « vaccinodrome » (centre de vaccination) en passant par « grossophobie » et « glottophobie » (discrimination basée sur des traits linguistiques, les accents).

J’ai toujours cru que la médiatisation de ces ajouts de mots n’avait pas beaucoup de sens, mais il reste néanmoins intéressant de considérer ensemble les propositions des deux équipes. Les ressemblances, comme les différences, sont très éloquentes quant à la manière dont travaillent les lexicographes. Tel que je l’ai expliqué dans ma chronique sur « iel » (officiellement introduit dans le Robert en ligne l’automne dernier et maintenant dans l’édition papier), l’exercice des « mots nouveaux » répond à d’importants impératifs commerciaux. Les dictionnaires, c’est comme les voitures : l’édition 2023 sort plus de six mois avant le Bye bye 2022. Et le nombre de nouveautés est guidé par l’espace qui peut être dégagé sur la maquette sans que ça coûte trop cher aux actionnaires d’Hachette Livre et Lagardère (Larousse) et de Vivendi (Robert).

Ces deux grands dictionnaires de la langue française sont d’abord des ouvrages français, ou plus exactement « de Français » (majuscule). Ce qu’ils présentent, c’est la réalité du français écrit en France vue par des Français. Cela dit, rien n’empêche les autres francophones de prendre leur pied. Pour ma part, j’ai eu un petit coup de cœur pour deux belles expressions françaises qui se transposent merveilleusement dans la réalité québécoise, comme « avoir les fils qui se touchent » (être fou) dans le Robert et « passoire thermique » (logement mal isolé), dixit le Larousse

Les nouveautés qui font leur entrée dans les dictionnaires ne sont pas forcément très « nouvelles ». L’« acétaminophène », par exemple, est vendu en pharmacie au Canada depuis 1963. Le mot « stylométrie » (étude statistique des styles littéraires) remonte à 1898. Quant à « écoanxiété », le sentiment était attesté dans le journal québécois Le Soleil dès 2008. Ce type de délai est normal : s’il se crée chaque année dans la francophonie de 20 000 à 30 000 mots, seuls 1 % d’entre eux se verront « consacrés » au dictionnaire. Les autres vont rester confidentiels, locaux ou retomber dans l’oubli.

Un art et non une science

Parmi les 300 nouveautés présentées dans les éditions 2023 du Petit Robert et du Petit Larousse illustré, seulement quatre se retrouvent dans les deux ouvrages : « labné » (une sorte de fromage du Liban et de Syrie), « stylométrie », « woke » et « wokisme ». Ce faible taux de recoupement souligne encore une fois que ces dictionnaires commerciaux, qui rendent un service immense, ne sont pas des entreprises scientifiques. Si c’était le cas, leurs échantillonnages de nouveautés concorderaient davantage. 

En réalité, les mots sont sélectionnés par un processus forcément impressionniste. Et comme il s’agit d’un dictionnaire « de Français », il n’est pas indifférent que ces impressions communes touchent la nourriture (labné), les faits de langue (stylométrie) et l’idéologie à la mode (woke, wokisme).

Le linguiste Bernard Cerquiglini, qui est conseiller scientifique chez Larousse, signe d’ailleurs un beau texte sur la féminisation de la langue française où il souligne avec raison le petit côté « bricolé » des grands dictionnaires. Il fait remarquer la manière désordonnée dont la féminisation est entrée dans l’usage et les dictionnaires en France, donnant pour exemple les grades militaires : « la capitaine » (en tant qu’officière au lieu de l’ancienne acception « femme du capitaine ») est apparue dans le Larousse dès 2003, puis ont suivi d’autres grades comme « la caporale, l’adjudante, la colonelle, la contre-amirale », etc., pour finir avec « la soldate » en 2013.

Cela témoigne du « n’importe quoi » français en matière de norme du langage. Bernard Cerquiglini salue à juste titre les Québécois, qui ont largement adopté ces changements en bloc dès le début des années 1980 pour ensuite attendre pendant toute une génération que les Français se réconcilient avec leur époque.

Qui sera le plus woke ?

Parmi les différences entre les deux listes de nouveautés, j’ai été frappé par la place considérable du Canada (lire : du Québec) dans la nouvelle nomenclature du Robert. Certains termes sont présentés comme étant « étrangers », par exemple « bénéfice » (comme dans soirée-bénéfice), « broche » (à tricoter), « chasse-moustique », « échouerie » (rivage où se rassemblent les phoques), « humidex », « ouaté » (molletonné) ou « planchodrome ». Mais il y en a également trois autres, dans la liste des termes généraux, qui sont en fait d’origine canadienne, soit « acétaminophène », « écoanxiété » et « banane » (royale).

Le Larousse a un petit côté franco-français plus assumé, limite tannant. Des notions administratives comme « aide médicale de l’État » ou « Meilleur Ouvrier de France » ne méritent franchement pas une entrée au dictionnaire. De même pour des termes du jargon politique français — « enfermistes » (qui favorisent le confinement strict), « rassuristes » (qui tiennent un discours rassurant) ou « frugaux » (les pays européens favorables à la rigueur budgétaire) — qui ne sont sans doute que des modes.

Les quatre mots communs mentionnés précédemment (labné, stylométrie, woke, wokisme) montrent aussi des différences philosophiques importantes entre les deux institutions. Le Petit Robert est très précis sur l’étymologie, l’origine du mot et sa date d’attestation. Son orientation est plus littéraire et linguistique, mais ses définitions n’ont pas toujours la précision de celles du Petit Larousse illustré, qui se veut plus encyclopédique et technique.  

Par exemple, la « stylométrie », définie du côté du Robert comme « l’étude statistique des faits de style », pourrait concerner la mode. Le Larousse est beaucoup plus clair quant au fait que le terme vient de la linguistique et s’applique aux styles littéraires.

Dans le même ordre d’idées, j’ai été un peu surpris que le Robert attribue un côté péjoratif aux termes « woke » et « wokisme » en français. Le Larousse est plus neutre : il décrit d’abord le courant de pensée que ces mots désignent, puis le distingue nettement de la manière dont il est interprété en France.

Comme pour contrebalancer cette posture, le Robert introduit « iel » (nouveau pronom neutre fusionnant « il » et « elle ») dans sa nomenclature (en le présentant comme rare). Sur ce point, le Larousse s’abstient. Bernard Cerquiglini décrit « iel » comme une « innovation militante » qui ne façonne pas encore l’usage.

Ma chère ! Serait-on woke chez Robert ?

Les commentaires sont fermés.

Bonjour,
Les règle du français que l’on parle de grammaire ou de syntaxe sont très clair. Le Grevisse, Galichet et l’académie française sont très précis.
En introduisant des termes venus de l’on ne sait d’ou, en abolissant des temps de verbe, ne permettront pas de maintenir une langue si riche et si belle au Québec.
Combien de personnes connaissent la définition du verbe dévirer, qui signifie en vieux »François » (comme le Roi de France) tourner à gauche (écrit de Champlain).
Les générations qui nous suivront se tourneront vers le dictionnaire informatique mais ne sauront pas faire la différence entre mer. mère et maire dans une phrase car l’ordinateur corrigera les fautes.
Aussi bien leur apprendre la langue »texto » au moins sans se comprendre on sauvera des arbres
Bien le bonjour et bonne journée

Bonjour et bonne journée… n’est-ce pas un ¨pléonasme¨ quelque peu ¨redondant¨ ?

À C. d’Anjou : Pas du tout. On dit bonjour quand on ARRIVE quelque part, et bonne journée quand on en PART. M. Chaussé a combiné les deux, ce qui n’est pas inhabituel.