Chercher quoi ?

L’insatisfaction perpétuelle qui caractérise notre époque déforme notre vision du travail, affirme la chroniqueuse Josée Boileau. Gare aux mirages : la liberté, ce n’est peut-être pas juste la possibilité de choisir son horaire.

Photo : Christian Blais pour L’actualité

Fin de l’été, retour au boulot. Est-ce que votre entourage au travail a changé ? Je pose la question parce que les départs à la retraite se multiplient dans mon milieu professionnel, mais aussi parce que des têtes disparaissent dans les endroits que je fréquente.

Cela m’a particulièrement frappée alors que je renouais avec mon salon de coiffure à mon retour d’un long séjour en France. Surprise ! Le coloriste avec qui j’avais pourtant pris rendez-vous quelques semaines plus tôt n’était plus là. Envie soudaine de donner une autre orientation à sa carrière, m’a expliqué celui qui a pris sa relève.

Au cours des derniers mois, d’autres employés avaient fait de même, non pas en réaction contre le salon, qui offre des conditions de travail au-dessus de la moyenne dans ce milieu, mais par désir d’autre chose, au final bien évanescent. C’est du moins l’avis de mon coiffeur, devenu le plus ancien employé de l’endroit.

Il est vrai, me disait celui-ci, qu’il y a toujours eu du mouvement dans le monde de la coiffure. Mais depuis quelque temps, là comme partout, la rétention du personnel s’est transformée en défi majeur. Trois petits tours, pas plus, et puis s’en vont !

Pourquoi ? Parce que bien des gens cherchent un emploi sans contraintes, ce qui les pousse constamment à aller voir ailleurs, me résumait mon coiffeur. J’y ai vu une belle analogie avec la quête du jumelage parfait des adeptes de l’application de rencontres Tinder ! L’insatisfaction perpétuelle caractérise décidément notre époque.

Or, tout a son revers. Ainsi, me disait encore Marcello, certains salons offrent aux coiffeurs de gérer eux-mêmes leur clientèle : « Louez une chaise dans notre local et arrangez-vous pour qu’elle soit occupée. » A priori, c’est formidable : le coiffeur devient ainsi maître de son temps — ce qui souvent signifie ne plus travailler le soir ou le samedi !

Mais répondre aux appels ou textos des clientes, puis aménager un horaire où la disponibilité des unes et le désir de liberté de l’autre doivent arriver à se rencontrer est en soi chronophage. Alors que, pour mon coiffeur, les services de soutien — réceptionnistes, assistantes, formation, équipement fourni — assurent davantage de liberté que d’être laissé tout fin seul à se débrouiller.

Sur cette lancée, il s’interrogeait sur le concept de « qualité de vie » invoqué par ses collègues démissionnaires, et désormais mantra de nos sociétés. Pourquoi ne pourrait-elle pas être associée au travail ? se demandait-il. « C’est pas l’usine ici ! On peut prendre un café en travaillant, jaser avec les clientes, avec l’équipe. Et on se sent utile : quand on a fini une coupe et que la cliente a un grand sourire, on est immédiatement récompensé pour ce qu’on vient de faire. C’est bon pour la santé mentale, ça ! »

Je l’écoutais en le trouvant bien sage. Car ses propos dépassent largement le cadre de la coiffure, s’appliquent à l’ensemble du monde du travail, voire à la vie tout court.

Mais tout comme la vie de couple n’est pas que pesanteur, le travail n’est pas qu’abrutissement ! Qui ose le dire ?

Dans tous les secteurs, la pénurie de main-d’œuvre est devenue un casse-tête depuis la pandémie de COVID. La suspension des activités puis le confinement ont changé notre rapport au travail, autant matériellement, vu le télétravail, que psychologiquement.

Quel est le sens de ce que je fais, qu’est-ce que ça m’apporte, qu’est-ce que ça apporte aux autres, qu’est-ce que je sacrifie au travail, qu’est-ce que j’arrive à vivre en dehors de celui-ci, qu’est-ce qui me ressource…

Une longue liste de questions qui, tout à coup, se sont imposées une fois seul chez soi devant son écran, ou parce qu’on a été débordé à tenir la barre dans des secteurs clés comme la santé ou l’éducation. Le travailleur occidental n’en finit plus de s’interroger.

En soi, l’exercice est salutaire. Il y a déjà des décennies qu’en amour, les gens ne veulent plus s’engager sans réfléchir ; cette approche s’est maintenant transférée au monde du travail, ce qui est sain. Mais tout comme la vie de couple n’est pas que pesanteur, le travail n’est pas qu’abrutissement ! Qui ose le dire ?

En fait, quand on arrête d’aspirer au nirvana, on constate que les contraintes, réelles, de l’engagement — qu’il soit amoureux, professionnel ou citoyen — peuvent être contrebalancées par tout un lot de jolis moments : les joies quotidiennes, comme on le chante dans La mélodie du bonheur !

Mon coiffeur a raison, ce n’est pas si compliqué : son café au boulot a un goût de liberté, améliorer son sort n’est pas nécessairement synonyme de quitter son emploi ou de rentrer chez soi, et il faut se méfier des mirages. À méditer en cette rentrée automnale !

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