Chez Fox News comme au cinéma

Ce n’est pas tout le monde qui regarde une chaîne d’information pour être informé. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les déboires de Fox News dans les dernières semaines. Dominion Voting Systems, une entreprise qui offre des services de vote électronique, a intenté une poursuite contre le média « d’information » américain après que celui-ci eut fait la promotion de théories du complot autour de l’élection de 2020. On a appris que les animateurs-vedettes de la chaîne avaient relayé ces théories pour satisfaire les lubies de Donald Trump, même si, en privé, ils n’en croyaient que dalle.

Des animateurs comme Sean Hannity, Laura Ingraham ou Tucker Carlson disaient donc, dans le for intérieur de leurs textos, que ces histoires complotistes étaient « scandaleusement imprudentes » et « insensées ». Carlson est même allé jusqu’à affirmer au sujet de Trump qu’il le « détestait passionnément ». On comprend que ces critiques ne se sont pas retrouvées en ondes (le contraire en fait), car ç’aurait nui au modèle d’affaires de Fox News.

Parce que la chaîne Fox News ne fait pas de l’information. Elle fait du cinéma. Ses animateurs veulent présenter à leurs téléspectateurs une histoire enlevante qui flatte leur vision du monde dans le bon sens du poil. Un complot à l’encontre de leur idole est le scénario parfait pour s’assurer que le public n’ira pas chez la concurrence. 

Comme au cinéma, ce public est en état de suspension consentie de l’incrédulité. Ce concept vient d’un texte de l’auteur Samuel Coleridge, qui en 1817 l’a décrit comme « l’opération mentale effectuée par le lecteur ou le spectateur d’une œuvre de fiction qui accepte, le temps de la consultation de l’œuvre, de mettre de côté son scepticisme ».

On ne peut presque pas parler de biais de confirmation dans le cas de Fox News. Les téléspectateurs ne choisissent pas les informations qui confirment leurs idées préconçues. Ils ne sont tout simplement pas exposés aux autres idées. En tout cas, je doute que l’histoire des textos des animateurs qui disent l’inverse de ce qu’ils prétendent en ondes soit venue à leurs oreilles. C’est comme si dans un film mettant en vedette un tueur à gages qui assassine 148 personnes en 32 minutes ou un autre où des dinosaures ressuscitent sur une île déserte, on interrompait l’histoire pour dire : « En passant, tout ça, c’est du pipeau. » La magie du cinéma s’évaporerait. C’est sûrement pourquoi Tucker Carlson ne parle pas de ses propres messages contradictoires sur les ondes de Fox News (ni ailleurs).

Résultat ? Il y a encore quelques mois, un sondage montrait que 65 % des partisans républicains estimaient que la présidence de Joe Biden était illégitime. Ça fait du monde en titi, si vous me permettez l’expression.

Ces histoires venues de (pas très) loin me font toujours me demander comment ça se passe dans les médias québécois qui font aussi dans ce genre d’information « alternative » (pour être poli). Chez nous, aucun média de cet acabit n’a la masse critique du public de Fox News. Radio X est la station qui y ressemble le plus, mais elle n’a aucunement son influence. Ses animateurs ne cachent d’ailleurs pas qu’ils s’inspirent de leurs homologues américains. L’an dernier, un chroniqueur de la station a dit à l’animateur à qui il parlait qu’il était « le gars le plus proche de Tucker Carlson à [son] sens au Québec », ce à quoi le principal intéressé a répondu avec enthousiasme : « Merci, c’est un beau compliment ! »

J’aimerais bien entendre ce que se disent en privé nos Tucker Carlson de série B. Probablement que je serais déçu. La portée municipale de leur influence rend le récit beaucoup moins captivant. La polarisation est peut-être moins exacerbée chez nous, ce qui complique l’émergence d’un média du genre. 

Il en va de même pour les politiciens outranciers. Dans une discussion autour du succès relatif du Parti conservateur du Québec, deux animateurs d’un balado de droite estimaient que le fait qu’autant de gens n’aiment pas Éric Duhaime, comme le montrent les derniers sondages, avait comme conséquence que le plafond du PCQ se situait probablement à 20 % dans les intentions de vote. Pour eux, ce qu’il manque à la droite pour aller plus loin, c’est entre autres un contexte médiatique plus favorable, l’implication des gens d’affaires dans le parti, de meilleurs candidats, ainsi que des « caméras dans les classes des écoles secondaires, cégeps et universités pour voir ce que nos débiles de profs rentrent dans la tête des jeunes ».

Vaste projet. Est-ce qu’un contexte médiatique comme celui qu’offre Fox News au Parti républicain pourrait voir le jour ici ? Tout est possible. En attendant, j’ai bien hâte à la suite, dans le cas de Fox News. En espérant que le film s’intitulera Fox News 2 : La revanche du téléspectateur.

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Encore un journaliste du Québec qui parle des États-Unis sans savoir de quoi il parle.

Fox News commente en fonction de son auditoire, c’est évident. Tout comme le font CNN, CBS, et les autres. Or il semblerait que la clientèle de Fox est mieux renseignée parce qu’elle écoute aussi ce que dit les autres média, les consommateurs de ces autres média n’écoutant pas Fox. En passant, CNN et les autres publient aussi selon un narratif définit comme répondant aux attentes de leurs lecteurs.

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Non, la clientèle de Fox News ne regarde habituellement que Fox News.
Ils ne sont pas informés autrement. Donc ils ne sont pas informés.
Sinon, comment imaginez-vous qu’ils arriveraient à supporter une telle dissonance cognitive, Tucker Carlson qui dit en onde que Trump est génial et qui dit en privé (messages qui sont sortis dans les autres médias) qu’il déteste Trump.

Pour les autres médias comme CNN, ils ont bien sûr des éditoriaux qui sont orientés.
Mais à part ça, leur mission est de diffuser les informations de la façon la plus neutre possible.
Pour informer.
Pas pour tromper, comme le fait volontairement Fox News.

Je ne comprends toujours pas comment Fox News réussi légalement à conserver le terme « News » dans leur nom d’usage, alors que leurs annonceurs vedettes (et probablement Murdock lui-même) ont témoigné que ce qu’ils font n’est pas de la diffusion de nouvelles, mais plutôt un « show » et que n’importe qui avec un peu de sens cognitif devrait être en mesure de faire la différence. Alors, pourquoi peuvent-ils conserver la terminologie « news »? N’est-ce pas un fausse affirmation en soit?

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Je suis canadienne de souche et j’ai déja travaille aux états unis donc je suis toujours intéressé par ce qui se passe et j’écoute les nouvelles canadiennes, seulement les bornés ont des oeilleres .

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