
Ce mercredi, Le Devoir s’entretenait avec trois blogueuses qui ont décidé de jeter l’éponge, dans le cas de Judith Lussier et de Geneviève Pettersen, ou qui y ont fortement pensé, comme Marilyse Hamelin. (Marilyse est une amie à moi, si je veux être transparent et péter de la broue parce que je connais une fille dans le journal.) À ces trois-là, on peut ajouter Manal Drissi, qui a flirté avec le «ah pis de la crotte!» elle aussi.
Elles parlent toutes les quatre d’un épuisement, causé par le métier et par les attaques qui viennent avec. Difficile, le métier de donneur d’opinion. Encore plus difficile celui de donneuse d’opinion, on dirait.
Aujourd’hui, si vous le permettez, je vais faire dans la métachronique, parler pas mal de moi et du métier de chroniqueur. Et si vous ne le permettez pas, ben… allez lire autre chose.
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Quelque part dans ma tête, une petite voix crie alors que je commence la rédaction de ce billet. «Come on, Mathieu. T’es le 88e à écrire là-dessus depuis lundi!» Je sais. Et, ridiculement, ça me dérange d’arriver «si tard».
Mais mettons que ça me demande plusieurs jours, me faire une idée. Est-ce vraiment si grave? Je suis lent, moi. Je suis une mijoteuse d’opinion. Je laisse les idées traîner dans ma tête jusqu’à ce que ça sente bon. Je prends ensuite huit heures de ma vie pour écrire une page de texte. Je jette alors cette page et je prends 10 autres heures pour en écrire une meilleure.
D’autres ont une opinion instantanée. Tu leur donnes un sujet, ils mettent ça dans le micro-ondes à indignation et ils te reviennent en moins de deux avec une soupe ramen d’opinion, généralement peu nourrissante et dont les excès de sel mènent à l’hypertension.
J’aimerais dire que je les envie: ils sont partout et ça a l’air facile. J’ai plutôt peur d’eux.
Entre une intervention dans une émission du matin, une chronique dans le journal, deux billets de blogue et trois heures à la radio (et ça, c’est juste le mardi), ils n’ont pas le temps de se demander si on doit vraiment savoir tout ce à quoi ils n’ont pas eu le temps de réfléchir.
Ça ne peut pas être sain, ni pour eux ni pour nous.
Alors tant pis si c’est un «vieux sujet», je vais en parler quand même. Et puis, sinon, ça va être quoi? Le crucifix à l’hôpital du Saint-Sacrement? Ouin. Non. Pas le crucifix. J’ai la chance de pouvoir choisir mes sujets, je vais le faire.
Mais même avec un employeur formidable comme L’actualité, qui me laisse parler de ce que je veux, «ce que je veux», ça veut dire «du sujet de mon choix dans les trois ou quatre trucs qui sont dans les nouvelles ces temps-ci».
Il y a des semaines où l’actualité est généreuse comme un buffet chinois, et des semaines où c’est plus comme un menu d’hôpital. Le poulet fade d’un ministre qui gaffe ou la quiche sans sel d’une controverse usée? À moins que je ne fouille dans les restants et que je commente les propos d’un autre chroniqueur?
Tu fais ton choix, tu trouves quelque chose à dire et tu publies en espérant que ça goûte quand même pas si pire. Et on recommence quelques jours plus tard, que le public ait faim ou pas.
Je pense parfois à arrêter, moi aussi, parce que c’est vrai que c’est épuisant comme travail. Chaque semaine, il me faut une, ou deux, ou trois bonnes nouvelles idées. Or, l’actualité a tendance à se répéter, alors que moi, je n’en ai pas le droit. (C’est faux. J’aurais le droit, mais je n’en vois pas l’intérêt.)
Selon mes calculs rapides, vous lisez présentement mon 230e billet «sur la politique avec un regard humoristique», pour citer ma bio officielle. Sachez que depuis le 150e, je commence à être à court de nouvelles blagues sur le gouvernement Couillard, les changements de chef au PQ et l’éternel débat sur les crucifix. Tant pis pour moi, ça m’en prend quand même.
Alors tu fournis, tu fournis, et tu regardes ce que tu produis avec amour aller mourir dans les entrailles d’Internet. GLOUP! La machine avale ton texte, il va vivre deux jours, et disparaître.
Sauf que rien ne disparaît quand tu écris sur Internet. Tes vieux textes restent en ligne… et les vieilles idées qui étaient dedans aussi. Parlez-en au Richard Martineau de 2017, chaque fois qu’on lui sort un billet de blogue du Richard Martineau de 2003. Judith Lussier est-elle encore d’accord avec son texte sur le blackface écrit en 2013? Si on se fie à celui de 2015, pas en entier. Mais le texte de 2013 est encore là, et certains sont encore fâchés au complet.
Personnellement, si vous voulez me voir devenir blême instantanément, commencez votre phrase en disant: «Pour citer ce que vous écriviez en juin 2012…»
Un stress de plus.
Je pense donc parfois à arrêter, moi aussi. Je suis parfois sur le bord d’appeler mon rédac chef pour lui dire que c’est pas lui, c’est moi, et que je l’aime beaucoup mais que ça ne peut plus continuer.
Mais je suis encore là, alors que Lussier, Pettersen, Hamelin et Drissi n’y sont plus ou n’y sont pas tout à fait à l’aise. Il faut dire qu’il y a un point où nos expériences à elles et à moi divergent.
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Dans le titre de leurs articles, Le Devoir, Radio-Canada et Métro ont parlé des «trolls». Ce sont les trolls qui auraient usé mes quatre collègues.
Mettons quelque chose au clair: un troll, c’est quelqu’un qui frappe de tous les bords, sur toutes les idées, dans le but de faire enrager les autres. C’est pour ainsi dire la forme de performance artistique la plus désagréable au monde.
Quand ton prétendu troll ne tape que sur les femmes, le féminisme et les féministes, c’est un sexiste ou un misogyne, pas un troll. Et quand tu es une femme qui écrit sur le féminisme, tu en croises un moyen paquet.
Je sais que certains chroniqueurs et blogueurs masculins vivent aussi du harcèlement et reçoivent des méchancetés en ligne, parfois de la part de militantes féministes. La question n’est pas de savoir s’il y a des épais sur Internet et dans les mouvements militants. Il y en a. Duh.
«C’est très rare qu’un homme soit critiqué pour une position féministe», a dit Judith Lussier à Radio-Canada. «Rare», je sais pas. Mais les critiques sont VRAIMENT différentes. Je le sais pour avoir commis quelques textes féministes depuis trois ans.
En partant, ton texte est généralement reçu avec une ovation un peu absurde, parce que, wow! t’es un gars et wow! tu défends la cause des femmes. Ça part bien. Mon amie Marilyse n’a pas ce luxe.
Si on t’insulte dans les commentaires, ça va être pour te traiter de femme. Les attaques consistent à dire que tu fais pipi assis et qu’on t’a coupé ton pénis. Si ces gens considèrent que «espèce de femme» est une insulte, imaginez ce qu’ils vont dire… à une femme.
Mon physique de trentenaire barbu avec un début de bedaine et le plus petit nez au monde? On ne s’y est jamais intéressé. Je ne suis jamais trop beau ou trop laid pour être pris au sérieux. Je n’ai jamais eu de sable dans l’urètre non plus. Pas plus qu’on ne s’est intéressé à mon nom de famille, contrairement à Manal Drissi. Personne ne m’a jamais crié de retourner en France, là d’où viennent mes ancêtres.
Et surtout, une fois que tout le monde a lu mon texte, on ne me poursuit pas pendant des semaines sur tous les réseaux pour me taper dessus. On ne m’écrit pas en privé, on ne se crée pas de faux comptes pour me harceler anonymement, on ne me menace pas sur Twitter. Quand c’est fini, c’est fini, et mes réseaux sociaux sont tranquilles. François Legault m’a bloqué sur Twitter, et c’est pas mal la plus grosse aventure qui me soit arrivée.
Et ce n’est pas une question de gauche ou de droite, ou même de féminisme. Sophie Durocher reçoit des attaques sexistes à la pelletée, et elle semble considérer que le mouvement féministe aurait pu prendre un break après les suffragettes.
Je suis peut-être chanceux, ou alors tellement insignifiant que personne ne sent le besoin de venir me harceler. Peut-être. Mais j’ai l’intuition que le fait que je ne m’appelle pas Mathilde Charlebois y est pour quelque chose.
On peut dire aux femmes qui prennent la parole en public de faire ci, de ne pas lire ça, de bloquer les déplaisants sur Facebook (elles n’y ont sûrement jamais pensé!), d’éviter de lire les commentaires, de mettre un casque quand elles sortent dehors et d’apprendre le yoga extrême pour évacuer la tension.
Bien sûr. Moi, je n’ai pas à le faire, mais elles…
On peut aussi se demander si c’est normal qu’il en soit ainsi. Et même ajouter que si ces femmes relativement privilégiées et fortes et intelligentes ont de la misère à passer au travers, il doit y en avoir qui se taisent avant même d’avoir commencé à parler.
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Mathieu Charlebois blogue sur la politique avec un regard humoristique.
J’aimerai pour l’occasion mettre en exergue une « petite portion » de votre texte, je vous cite : « Et, surtout, une fois que tout le monde a lu mon texte (…) »
Là ! Là ! Évidemment vous allez dire que je suis encore un de ces ineffables « Trolls » qui pour un « oui », pour un « mais », pour un « non » veulent votre peau de blogueur…. Et qui tôt ou tard l’auront…. Après tout, tout est question de temps….
Mais disons et posons la question : « Êtes-vous absolument certain que tout le monde, oui tout le monde, lise votre texte ? » — « Pourriez-vous nous attester en question subsidiaire : que tous les « Trolls » du monde, se donnent vraiment la peine de lire en entier les textes de tous les blogeurs du monde avant de prendre position ? »
Je pense que lorsqu’on écrit, on prend immanquablement le risque de ne pas être compris. Je constate que nombre de lecteurs ne se donne souvent pas le temps de lire un texte en entier et plus encore attentivement, avant de réagir. Je trouve que c’est un manque singulier de respect. Et pourtant cela est !
Est-ce que les blogeuses sont plus à risque d’attaques que les blogeurs ? Je ne sais pas. Peut-être certaines. En revanche, d’autres comme Josée Legault, — pour ne citer qu’elle en exemple -, sont très respectées.
J’ai peut-être une explication. Je ne sais pas si c’est la bonne. Tout est question selon moi de contenu. Quand le contenu est sérieux, quand les personnes qui écrivent inspirent confiance, je pense que les gens sont moins portés à faire usage de la polémique ou de toute autres formes d’apostrophes lesquelles ne viennent finalement jamais enrichir le débat.
Il faut aussi apprendre à se servir d’Internet et l’apprivoiser.
— PS : Vous m’avez appris quelques choses : Je ne savais pas que le nom de Charlebois avait des origines françaises. J’y voyais plutôt quelques provenances aborigènes. Toutes mes excuses donc !
Je cherche le qualificatif ou l’épithète concernant la personne qui a une opinion sur tout…
@ Claude Perras,
À ma connaissance, il n’y a pas « d’épithète » pour désigner une personne qui aurait une opinion sur tout. Telle personne n’existe tout simplement pas. Aussi vôtre question relèverait plutôt de la sublimation. Ou peut-être de l’humour ?
D’un point de vue scientifique, notamment au niveau des sciences sociales ; l’opinion est souvent définie comme une affirmation n’ayant pas été soumise à un examen critique. Ce qui revient à asséner à l’ensemble de tous mes propos une conception et une valeur réductrice. Ce qui venant de votre part disons-le, pourrait relever encore d’un esprit malveillant.
D’ailleurs qu’est-ce qui vous dit que mes propos seraient dépourvus de tout examen critique ?
Si le philosophe Gaston Bachelard estimait que la science dans son besoin d’achèvement s’oppose absolument à l’opinion. Platon était sur le même sujet moins formel puisqu’il entrevoyait qu’une opinion peut très bien être vraie.
Quant à Maxime de Tocqueville, dans « De la démocratie en Amérique », il considérait que l’expression de l’opinion était souveraine dans toute société démocratique.
Ce qui me surprend le plus, c’est de constater combien les gens — est-ce par intérêt ? -, abandonnent si facilement leur droit pourtant conféré par la Constitution, de pouvoir s’exercer en l’art de la « liberté expression ».
— En ce qui me concerne, s’il est un domaine dans lequel je n’ai nulle opinion, c’est bel et bien sur les gens. C’est pour cette raison que d’usage je pratique le « non jugement »….
Ma question, sans malice, était pour voir votre réaction: la réponse est digne d’un professeur d’université. J’aurais été votre étudiant le plus attentif…
En ces temps ou l’ignorance semble mener le combat contre la connaissance, ça me rassure qu’il y a encore des combatants du bon côté.
« On peut dire aux femmes qui prennent la parole en public de faire ci, de ne pas lire ça, de bloquer les déplaisants sur Facebook (elles n’y ont sûrement jamais pensé!), d’éviter de lire les commentaires, de mettre un casque quand elles sortent dehors et d’apprendre le yoga extrême pour évacuer la tension. »
Vous faites une belle analogie (volontaire?) Avec les agressions sexuelles : ne sors pas seule si tard, habille toi décemment, ne provoque pas, ne parle pas aux inconnus, ne le regarde pas dans les yeux, ne fait pas ton « agace »…
Facile de dire à la victime de faire attention à son comportement pour ne pas provoquer, alors que c’est l’agresseur qui est en tort.
Mathieu Charlebois, j’aime vous lire et suivre votre réflexion. J’aime beaucoup lire Stéphane Laporte aussi. Pour les même raisons que Serge Drouginsky qui a écrit avant moi: » Quand le contenu est sérieux, quand les personnes qui écrivent inspirent confiance… » Ouais…qu’est-ce qui fait qu’on a confiance?
Il n’y a pas qu’une seule explication toutefois au fait que les « trolls » s’en prennent plus à certains ou certaines qu’à d’autres. C’est un phénomène complexe pas toujours compréhensible. Soyons humbles, comme humains, on ne peut pas tout comprendre….c’est pour ça que les explications sont insuffisantes parfois.
Y a aussi les humains qui ne savent pas quoi faire de leur bêtise ou de leur souffrance…comment comprendre ce qu’ils font de si inutile, soit de blesser les autres?.
Ce que je constate de différent entre les articles de l’Actualité et les articles des journaux populaires, c’est le plus grand sérieux des commentaires affichés dans l’Actualité. Est-ce à cause des lecteurs plus sérieux? De la quasi-absence de trolls? Ou du filtre des commentaires par l’Actualité?
J’aime bien lire ces commentaires. Par contre, avec les autres journaux, le nombre de commentaires inutiles et vains est très élevé.
D’un autre côté, si les femmes chroniqueuses sont féministes, elles ont peut-être tendance à aborder ces sujets délicats qui victimisent les femmes et culpabilisent les hommes, ce qui peut provoquer ces derniers et engendrer des réponses négatives. Il n’est pas facile de critiquer la moitié d’une population sans s’attendre à des réactions. Si on compare avec les religions, on tend à ne pas trop les critiquer. Par contre, les hommes… il n’y a aucune gêne. Et même lorsqu’ils ne sont pas reconnus coupables par la cour, ils restent coupables pour la population féministe.
Dans le domaine de l’opinion, il faut aussi s’attendre à la critique de la part de ceux qui ne sont pas d’accord. C’est peut-être même plus difficile que le métier de chercheur où l’échec est souvent quotidien, ou pour ces médecins dont les patients meurent ou ne suivent pas leurs recommandations. Dans certains milieux de travail, un employé peut se sentir complètement désabusé lorsque ses patrons n’écoutent tout simplement pas ses suggestions.
Même les gens qui posent des commentaires se font parfois rentrer dedans. Cela m’est arrivé encore récemment, lorsque j’ai osé donner mon avis sur Météomédia où je me suis fait l’avocat du diable…
Pour toutes ces raisons, je n’ai pas de « Face de bouc », ni de « twister » ni de « blogue » (je n’ai pas pu faire de jeu de mot avec celui là); qu’une seule boîte aux lettres. On n’a qu’à aller sur Youtube que ce soit en musique, en entrevues ou autres sujets d’intérêt pour réaliser à quel point le QI général de l’ensemble de la planète n’est pas très haut; à peine s’il réussit parfois à remonter au dessus de la ceinture. Il faut cependant dire que la majorité des commentaires dans tous les domaines sont de sources masculines, et ce, envers quiconque, homme ou femme. Ce n’est donc pas en notre faveur.