Mardi en fin de journée, la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure, a acquiescé à la demande de sursis provisoire déposée par la Clinique juridique itinérante afin de soustraire les sans-abris au couvre-feu imposé par le gouvernement du Québec.
L’organisme d’accompagnement juridique des personnes en situation d’itinérance, qui se portait demandeur en leur nom, soutenait que le décret 2-2021 instaurant le couvre-feu pour l’ensemble du territoire québécois manquait de souplesse à l’égard de cette catégorie de citoyens, souplesse dont plusieurs autres jouissaient, notamment les propriétaires de chiens. « Le maintien du couvre-feu [NDLR : pour les personnes itinérantes] est inutile, arbitraire, disproportionné et cruel », a-t-il fait valoir en cour.
« À qui s’adresse cette interdiction ? Est-ce que ça s’applique bien à une personne qui n’a pas de résidence ou qui n’a pas de lieu qui en tienne lieu ? Où est-ce que je vois dans cette disposition qu’un policier qui intercepte une personne peut lui ordonner de se créer une résidence ? » a demandé la juge Chantal Masse, lors de l’ouverture de l’audience sur la procédure engagée par la Clinique juridique itinérante devant la Cour supérieure.
Mercredi matin, dans un revirement inattendu alors qu’il avait refusé cette exemption depuis l’imposition du couvre-feu le 9 janvier dernier, malgré les appels répétés de la Ville de Montréal, des partis de l’opposition et des organismes communautaires, le gouvernement Legault a signifié qu’il allait modifier le décret afin de ne plus obliger les itinérants à se conformer au couvre-feu de 20 h à 5 h.
Cette saga a mis en lumière la question épineuse de la surjudiciarisation des personnes itinérantes et de leurs relations tendues avec la police.
Dans sa demande déposée lundi, la Clinique juridique itinérante rapportait l’histoire de S.A., un sans-abri ayant déjà reçu deux constats d’infraction, un à Montréal et un à Sainte-Thérèse, pour avoir contrevenu au couvre-feu. Le total des amendes exigé dépasse les 3 000 $, en plus des frais.
S.A. souffre de problèmes de santé mentale et de consommation d’alcool, comme plusieurs personnes vivant dans l’itinérance. Par conséquent, il a déjà été exclu des refuges de la Mission Old Brewery, de la Maison du Père et de la Mission Bon Accueil. Ses dettes judiciaires s’élevaient à 40 000 $ auprès de différents tribunaux avant même ses démêlés reliés au couvre-feu.
La juge Masse a noté entre autres « le préjudice irréparable que les personnes en situation d’itinérance subiront à défaut d’accorder la suspension partielle de la mesure », soulignant notamment que celles-ci, lorsque le couvre-feu est en vigueur, « cherchent à se cacher des policiers afin de ne pas recevoir de contravention […] et sont susceptibles de mettre leur santé et leur sécurité en danger dans les conditions hivernales actuelles ».
Le 18 janvier dernier, Raphaël André, 51 ans, a été découvert dans la toilette portable installée à quelques mètres du refuge La Porte ouverte, à Montréal, fermé pour cause d’éclosion de cas de COVID-19. Selon l’interprétation des proches interviewés par plusieurs quotidiens de la métropole, Raphaël André s’y serait réfugié afin d’éviter des démêlés judiciaires.
Les conséquences du couvre-feu ajoutaient à la surjudiciarisation, ce phénomène par lequel les sans-abris accumulent nombre d’infractions liées à leur vie dans la rue. Le système judiciaire est déjà considéré comme un réseau de portes tournantes pour les personnes itinérantes. Celles-ci sont arrêtées par des policiers pour des infractions liées à leur condition sociale, telles que la consommation d’alcool ou de drogues sur la voie publique.
Lorsqu’elles omettent de se présenter au tribunal pour faire face à ces accusations, un mandat est lancé par défaut à leur endroit. Or, par sa nature même, le décret sur le couvre-feu permettait aux policiers de les arrêter pour la simple raison de ne pas l’avoir respecté. Elles pouvaient donc se retrouver de nouveau emprisonnées, et étaient susceptibles de plaider coupable dans le but d’être relâchées sous promesse de payer leurs arriérés judiciaires. Or, la plupart des sans-abris aux prises avec la justice accumulent des dettes de contraventions hors de mesure avec leur capacité de payer.
Déjà en 2008, le Barreau du Québec estimait dans un mémoire déposé à l’Assemblée nationale que « l’approche pénale et judiciaire portait atteinte aux droits et libertés des personnes en situation d’itinérance, en plus de représenter des coûts exorbitants pour le système de justice et de s’avérer ultimement inefficace et contre-productive ». Il s’agit, en quelque sorte, d’une spirale sans fin pour des milliers de sans-le-sou.
« On met en place plein de solutions en aval pour régler quelque chose qu’on aurait pu régler plus facilement et plus efficacement en amont », indique Donald Tremblay, directeur général de la Clinique juridique itinérante.
Ces solutions en amont consistent notamment à dégager plus de ressources financières et humaines afin de leur procurer un logement. Une personne chez elle risque évidemment moins de devenir criminelle que quelqu’un qui élit domicile dans un parc.
Des exemples existent déjà, comme celui de Projet Logement Montréal, et montrent la voie à suivre. Depuis 2016, ce consortium composé de la Maison du Père, de la Mission Bon Accueil, de la Mission Old Brewery et de l’Accueil Bonneau accompagne les personnes en situation d’itinérance afin de leur trouver un logement, agissant à titre d’entremetteur, de médiateur entre elles et de possibles propriétaires.
Quelque 400 personnes ont trouvé un domicile décent et bien entretenu depuis la création du programme, par lequel le bénéficiaire contribue à hauteur de 25 % de son revenu pour payer son logement. Le reste est assumé par une subvention fédérale. Un service de paiement du loyer fait partie du cheminement afin de rassurer les propriétaires. Le taux de maintien dans le logement s’élève à 87 % depuis les débuts du programme.
si on appelle les gens des sans-abris et bien c’est qu’ils n’ont rien…comment voulez-vous qu’ils payent une amende quelconque…aucune logique…on doit les aider pas leur nuire
Policiérer le phénomène I S A (Itinérants Sans Abri), comme il vient d’être essayé de le faire, au moyen d’un couvre-feu devant indûment s’appliquer à eux; en essayant de (leur) faire croire qu’il n’y aurait pas, sur Terre ou à Montréal particulièrement, plus grand ami que la police, a fait long feu. Et pour cause. Policiérer n’est pas mieux que judiciariser en cette aire.
L’historique des relations police-itinérants n’étant guère de nature à amener ces derniers à accréditer tout de go, comme ça, sans crainte aucune, et avec, donc, la plus grande confiance spontanée possible, cette néo-philo — (que la police ne serait dorénavant là que pour les aider à trouver refuge-chaleur-sécurité [de nuit tout au moins]) —; maints d’entre eux ne pouvaient ne plus en avoir peur, ne plus appréhender d’être… ‘appréhendés’, pour X, Y, Z raisons. Si bien que…
… sans surprise, ç’a achoppé. Ç’a dû être ‘démantelé’ cette approche. Et pas n’importe comment ni par n’importe qui; par une juge de Cour supérieure, s.v.p.
Démantèlement, juridique celui-là, non moins fracassant, non moins éloquent qu’un autre, matériel, physique, mais en même temps ultra-symbolique et psychologique, qu’avait été la démantibulation d’un site-lieu de rencontres d’itinérants au centre-ville de Montréal, il y a quelques décennies. (On avait littéralement détruit leur « home », leur ‘maison’).
Pas ‘facile’, cette problématique. Absolument et résolument pas facile. Complexe et ardue.
Non seulement, en effet, ne saurait-elle être ‘réglée’ par contrainte seule ou par voie de ‘négociations’ seules; par menace — (telle celle d’« attacher à un poteau » quelque itinérant donné…) —, ou en entreprenant de décentrer la présence d’ISA ‘en ville’ – en les repoussant et disséminant un peu partout (ailleurs) aux quatre coins de la Ville [comme ç’a été fait]; mais, à terme ou ultimement, elle NE peut l’être – ‘réglée’ – cette problématique. Comme la prostitution, il y en a toujours eu et il y en aura toujours – des itinérants, ‘vagabonds’, ‘clochards’ ou mendiants.
(Profitons de ce qu’on ait encore le droit d’écrire ou prononcer ces mots!… Adviendra peut-être, en effet, que, comme pour les mots débutant en ‘n’ ou en ‘s’, il ne soit plus loisible de les utiliser sans risquer d’être condamné à devoir s’y réfugier, soi, dans l’itinérance ?…).
Bref, ce sujet n’est pas vendeur. Pas sexy. Pas « winner », comme dirait LE Ministre.
Mais n’a-t-on guère le choix, néanmoins, d’en débattre. Un peu…
Comme ç’avait d’ailleurs été fait, il y a une douzaine d’années à l’Assemblée nationale, lors de Consultations particulières sur le phénomène de l’itinérance au Québec (auxquelles est-il fait référence en l’article ci-dessus).
L’apport, alors, du Barreau avait été on ne peut plus percutant. Démontrant qu’une judiciarisation en cette aire ne s’avère pas seulement non « efficace » — (concept préféré de l’actuel PM/Q) —, mais se révèle même à tel point contreproductive qu’elle engendrerait elle-même — (tenez-vous bien!) — et reproduction et production, accroissement donc, d’itinérance !…
C’est que, pour n’en donner qu’un exemple, considérant le décalage existant le plus souvent entre le moment d’une infraction et sa sanction subséquente; lorsqu’arrive le moment de ‘punition’ de qqn, en raison d’errance considérée indue, acheminé en prison; eh bien, parfois avait-il eu le temps de se réintégrer socio-familialement! et « fonctionner », donc, déjà, tout à fait comme un « bon citoyen ‘normal’ », « correct ». Si bien que… En l’envoyant en tôle, au lieu de le laisser tranquille, on l’induit ainsi à se replonger en milieu favorisant bien davantage ré-enfoncement en l’indésirable qu’en son affranchissement. N’est-ce pas?…
De telle sorte que, mis à part le cas de « vrais itinérants »*, mieux vaudrait d’une part moyenner et user de pédale douce, plutôt que de trop (mal) sévir; et d’autre part, laisser la police continuer d’être police, au lieu d’ambitionner d’en faire des travailleurs sociaux (ou) communautaires. Chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
* Les « vrais itinérants » sont les personnes qui ne sont pas exclues, poussées ‘out’, pour une raison ou pour une autre, par une personne ou par d’autres; mais qui se sortent, elles-mêmes, ‘out’, sans ‘raison’ ou motif autre qu’elles se sentiraient ou se trouveraient mieux (en) ‘dehors’, non «fichées», «‘libres’»; qu’à l’intérieur du «système» (ou) d’une société (‘normale’ ou normée). Vis-à-vis ceux-là et celles-là, vrai, cette problématique-là, d’[itin]errance, en est toute une.
Il faudrait peut-être aussi que les organismes qui acceuillent les personnes sans domiciles fixes ne les expulsent pas pour leur donner une réelle chance de s’en sortir…