Document interne sur les crimes sexuels : l’appareil militaire dans le déni

Une évaluation interne des programmes et politiques des Forces canadiennes en matière de violence sexuelle — préparée à la demande du chef d’état-major Tom Lawson, en avril dernier — conclut que les mesures prises par l’armée sont «efficaces» et qu’aucun changement majeur n’est requis, selon ce même document obtenu par L’actualité.

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Photo : Adrian Wyld / La Presse Canadienne

Une évaluation interne des programmes et politiques des Forces canadiennes en matière de violence sexuelle, préparée à la demande du chef d’état-major Tom Lawson, en avril dernier, conclut que les mesures prises par l’armée sont «efficaces» et qu’aucun changement majeur n’est requis, selon ce même document obtenu par L’actualité.

Cette évaluation — très positive — semble contredire les propos du général Lawson, prononcés quelques semaines plus tard, lors de sa comparution devant le Comité permanent de la défense de la Chambre des communes, où il s’est dit «troublé» en ajoutant qu’il y avait des problèmes à corriger. Alors que Tom Lawson indique prendre ce fléau au sérieux, son appareil militaire lui suggère de ne rien modifier en profondeur.

La révision interne avait été commandée par le patron des Forces canadiennes dans les heures suivant la parution de l’enquête de L’actualité (reprise par Maclean’s) sur les agressions sexuelles dans l’armée, à la fin du mois d’avril. Le magazine révélait que chaque jour, cinq hommes ou femmes sont agressés sexuellement dans les Forces canadiennes.

Au fil de cette enquête d’un an — 16 pages dans le magazine, avec chiffres et témoignages —,  il a été découvert qu’il y a parfois des obstacles importants auxquels font face les victimes qui portent plainte, et que la justice militaire a un taux de condamnation des agresseurs moins élevé que dans la société civile.

Les réactions ont été rapides et nombreuses, de sorte que le chef d’état-major, Tom Lawson, a d’abord demandé un portrait de la situation à son appareil militaire, le 24 avril dernier. Trois jours plus tard, il recevait un document de 10 pages, que L’actualité a obtenu.

À sa lecture, on constate que la majorité du document aborde des programmes et des politiques des Forces qui touchent le racisme et la diversité ethnique, ou encore, le harcèlement au travail (autre que sexuel). Il n’y a que quelques paragraphes sur la violence sexuelle et les agressions — pourtant au cœur de la demande d’évaluation du général Lawson. Le fait que ce soit rédigé par la Direction des plaintes contre les droits de la personne, qui couvre un large spectre, explique probablement ces constats généraux.

Dans le document, on peut y lire la conclusion suivante :

«En général, nous évaluons que le cadre de nos programmes et politiques en milieu de travail est efficace. […] Nous croyons que les mécanismes ont un effet positif pour améliorer la situation à long terme, particulièrement en matière de prévention du harcèlement et l’acceptation de la diversité.»

Le document poursuit en affirmant ceci :

«Une révision significative n’est pas considérée comme nécessaire, mais quelques améliorations possibles ont été identifiées, notamment en ce qui concerne le suivi du harcèlement.»

La révision interne affirme qu’il est «clair» qu’il existe un «robuste programme de prévention du harcèlement et de résolution des plaintes», basé sur des faits et de la recherche. Or, l’enquête du magazine révélait au contraire que les Forces canadiennes font peu de recherche sur la violence sexuelle — contrairement à d’autres pays, comme les États-Unis, qui produisent un rapport annuel sur le sujet et qui ont mis en place un comité permanent tentant de trouver des solutions aux problèmes.

La recherche des Forces canadiennes tient souvent à des sondages. Le plus récent a été mené en 2012 (les résultats commencent à être publiés), alors que le précédent remontait à 1998.

La première page du document interne des Forces canadiennes sur la révision des programmes et politiques en matière d'agression sexuelles, remis au chef d'état-major Tom Lawson le 27 avril dernier. Oe document fait 10 pages en tout.
La première page du document interne des Forces canadiennes sur la révision des programmes et politiques en matière d’agression sexuelle, remis au chef d’état-major Tom Lawson, le 27 avril dernier. Le document fait 10 pages au total.

Les deux lieutenants-colonels et le major qui ont préparé la révision interne soulignent toutefois que le nombre d’organisations, de ministères et d’unités militaires impliqués dans ces politiques «complique» l’obtention d’un portrait complet de la situation.

Quelques paragraphes plus loin, ils soutiennent qu’il n’y a «aucun écart» entre les politiques des Forces canadiennes et la réalité, et que les programmes sont «régulièrement mis à jour».

Le document souligne que «toutes les recrues reçoivent un certain nombre de périodes d’instruction en ce qui concerne leurs responsabilités et obligations» en matière de harcèlement. L’enquête de L’actualité démontre toutefois, après avoir assisté à des cours destinés aux recrues à la base de Saint-Jean-sur-Richelieu, que le volet sur le harcèlement sexuel ne dure que 10 minutes et que les nouveaux soldats ne reçoivent aucune information sur les recours en cas d’agression sexuelle.

Le paragraphe 28 du document interne avance qu’il y a «un besoin d’uniformiser et d’améliorer la cohérence dans l’entraînement des soldats», y compris chez les officiers. «Le leadership est la meilleure façon d’améliorer le climat de travail et de répondre au harcèlement», peut-on y lire. La révision interne affirme qu’il y a peut-être un manque d’information et de précisions destinées aux troupes en ce qui a trait aux comportements criminels, notamment en matière d’agression sexuelle.

La révision interne ne contient rien sur le processus d’enquête de la police militaire, les obstacles possibles, l’indépendance des enquêtes ou le système de justice parallèle en vigueur au sein des Forces canadiennes.

Le colonel à la retraite et maintenant avocat spécialisé en droit militaire, Michel Drapeau — à qui nous avons soumis le document —, estime que ce rapport est «une insulte aux victimes d’assaut et démontre le manque de sérieux du ministère à vouloir traiter ce problème».

Un déni de la réalité, dit-il, de la part d’un appareil militaire qui refuse de voir qu’il a un problème sur les bras. «Le rapport indique que le ministère a publié une abondance de règles, de directives, d’ordres et d’autres commandements, et qu’il n’existe aucune tolérance. Mais le problème ne se situe pas à ce niveau», explique-t-il en entrevue.

Il poursuit : «Présentement, il y a deux grands problèmes. D’abord, plusieurs victimes d’assauts sexuels dans les Forces canadiennes ne portent pas plainte, car elles ont peur des représailles par la chaîne de commandement. Ensuite, ceux qui rapportent de tels crimes ne sont pas traités avec toute la compétence et la diligence nécessaires pour leur donner confiance que l’assaillant va devoir répondre de ses actes», affirme Michel Drapeau, qui a déjà représenté des victimes dans le passé.

Il craint que ce rapport interne ne soit un «avant-goût» de l’enquête externe indépendante que le chef d’état-major a demandée après avoir reçu ce document interne. «Le ministère va s’assurer que les reportages soient placés sur une voie d’évitement et sombrent dans l’oubli», dit le colonel à la retraite.

Le contraste est toutefois frappant entre ce rapport positif et le témoignage du chef d’état-major Lawson lors de sa comparution, en mai dernier, devant le Comité permanent de la défense, où il s’est fait chauffer les oreilles par les députés.

Le général Lawson a alors dit qu’il a senti le besoin d’exiger un examen externe indépendant afin de faire toute la lumière sur ce phénomène et sur les moyens appropriés pour le combattre. «Notre analyse montre que les femmes seraient moins enclines à signaler le harcèlement dont elles sont victimes, que ce soit parce qu’elles ont peur des répercussions sur leur carrière ou parce qu’elles craignent que leur plainte ne soit pas prise au sérieux. C’est important et ça montre qu’il doit y avoir plus d’actions de ma part», a dit le général Tom Lawson.

«Des éléments laissent croire qu’il existe des barrières systémiques qui empêchent les gens de porter plainte, et qu’il pourrait y avoir une meilleure standardisation de la manière dont la chaîne de commandement réagit aux allégations», a-t-il ajouté. Il n’y a pourtant aucune trace de ces conclusions dans le document interne des Forces canadiennes.

Le chef d’état-major a reconnu que les agressions sexuelles dans l’armée sont des crimes qui ne sont pas suffisamment divulgués aux autorités. «Il y a peut-être un écart entre nos politiques officielles, nos procédures et la réalité sur le terrain. Nous devons agir», a-t-il dit.

La personne qui dirigera l’examen indépendant sera un «Canadien distingué» qui possède une formation juridique, a soutenu le chef d’état-major. Cette personne sera nommée d’ici la fin du mois de juillet et aura tout le temps nécessaire pour mener à bien son enquête, a-t-il promis, ajoutant qu’elle pourra s’adresser à qui elle veut au sein des Forces — y compris à des présumées victimes d’agressions —, et ce, dans tous les départements. Un exercice qui pourrait prendre plusieurs mois.

Le mandat qui lui sera confié est déjà arrêté, mais il n’a pas été rendu public. Le ministre de la Défense, Rob Nicholson, a été consulté et se dit «à l’aise» avec les termes choisis, a affirmé le général Lawson, sans donner plus de détails.

La page couverture du numéro de L'actualité paru à la fin du mois d'avril. Il est possible de l'acheter sur sa tablette (Ipad ou Android) avec l'application gratuite de L'actualité.
La page couverture du numéro de L’actualité paru à la fin du mois d’avril. Il est possible de l’acheter sur tablette (Ipad ou Android) avec l’application gratuite de L’actualité.
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Cette enquête interne ne parle pas du sujet demandé et traite du fait qu’il existe plusieurs politiques anti raciste et anti-harcèlement de toute sorte. La question n’était pas si c’est règles existent mais bien du fait qu’elle ne soient pas appliquées et qu’il existe de grave conséquences et représailels pour celles qui dénoncent. Il ne parle pas non plus des enquêtes policière (militaire) et du faible de taux de condamnation chez les accusés d’agressions sexuelles, en comparaison avec le civil.

Il est effectivement triste que par faute de plusieurs, la population se dit la chose suivante en les croisant à l’épicerie par exemple » combien de filles as-tu violé toi? » « Combien d’agresseurs as-tu aidé à s’en sortir pattes blanches toi? » « Ton grade t’a protégé de combien d’actes disgracieux toi? » C’est ce qui passe dans ma tête chaque fois que j’en croise un en uniforme. Que dire des policiers militaires »combien de victimes d’agression sexuelle as-tu reviré de bord toi? ».
C’est un fléau et sérieusement, c’est pire encore que ce que vous vous imaginez dans vos pires cauchemards, c’est irréel, c’est digne d’un film, je vous le dit.

Le général Lawson a bien raison. Il est évident que le problème est systémique, il vient de l’intérieur. Les rangs inférieurs créent de l’obstruction par opportunisme, afin d’éviter d’éclabousser les uns et les autres. Dans le cas des agressions sexuelles, une piste de solution consisterait à soustraire les plaintes du processus de justice militaire pour les confier aux tribunaux civils. Mais la culture du « ce qui se passe dans l’armée doit rester dans l’armée » est-elle trop puissante? À l’instar du sport professionnel, l’appareil militaire ferait-il partie d’un monde parallèle? Et pendant ce temps, on « néglige » les victimes.

Assez incroyable, cette disparité de conclusions entre l’Actualité et l’État major . J’ai lu en entier l’article très étoffé de L’Actualité.et j’y crois à 100%, selon l’approche discutée et les preuves indiscutables publiées.

L' »examen » additionnel à être chapeauté par un « Canadien distingué » saura-t-il faire éclater la vérité et faire ressortir la réalité des choses? J’ai nettement l’impression qu’une chasse gardée à l’interne contribue à maintenir l’image vierge (sans jeu de mots) des Forces armées.

Au premier coup d’oeil de la page couverture, je me suis sentie profondément troublée par l’image d’une puissance incroyable,une fragilité féminine et de la sexualité.. Quel impact émotif et pourtant je ne suis pas une victime… Une petite culotte rose avec une paire de botte puissante. J’y ai vu, la fragilité féminine et le pouvoir masculin. Ces femmes s’enrôlant dans l’armée pour protéger deviennent des victimes elles-même de leur compagnon de combat. Ces soldats qui agressent ces femmes militaires ou extérieures à leur confrérie devenant des victimes, c’est insoutenable, Ce pouvoir masculin n’est-t-il pas là pour protéger et non agresser. Quel enseignement reçoive ces militaires, nous sommes dans la croyance que ces hommes sont nos protecteurs, notre sécurité physique et pourtant, il s’y trouve des criminels parmi eux. Loin de moi l’idée de penser ou d’affirmer que 100% de nos soldats sont des monstres, mais la monstruausité vient aussi d’un pouvoir de cacher, de minimiser les impacts que ces horribles gestes créent aux victimes. Des vies sont brisées. Alors, il est temps que la haute direction, la gestion intermédiaire, se tiennent debout et nous montrent la puissance de faire éclater la réalité; alors la population pourra à nouveau être fière de ses soldats. Lorsque je rencontre des soldats, ma première pensée est « Qui sont-ils pour se tenir la tête droite, peut-être que l’un d’entre eux est un criminel déguisé en dignes soldat. Je suis maintenant incapable d’avoir de l’admiration pour l’être qui porte ce costume j’ai perdu ce que je pensais d’eux, je les voyais nobles et maintenant, quelques chacals ont détruit ce merveilleux sentiments de sécurité.