Dans la tête des Québécois

À 40 ans, ils se disent jeunes et ne s’estiment vieux qu’après 68 ans. Entre la jeunesse et la sagesse, les Québécois veulent que l’État se préoccupe plus de l’éducation que de la qualité de vie des aînés. Portrait d’une société dont les priorités changent.

Illustration: Sébastien Thibault
Illustration: Sébastien Thibault

Les Québécois ont changé radicalement la manière dont ils envisagent l’avenir. La tendance ressort très nettement du sondage exclusif Léger / L’état du Québec / L’actualité, mené auprès de 1 001 adultes québécois, surtout en matière d’éducation et de vieillissement.

«C’est la première fois qu’un de nos sondages montre que les Québécois semblent véritablement conscients de l’importance de l’éducation», dit Christian Bourque, vice-président et associé de Léger Recherche Stratégie Conseil, qui a réalisé le sondage Les Québécois, l’éducation et la vieillesse. Près de 6 répondants sur 10 préfèrent voir le Québec s’occuper en priorité de l’éducation plutôt que de la qualité de vie des aînés.

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Il s’agit d’un changement majeur au Québec, où le taux de diplomation au secondaire (74 %) demeure sous la moyenne canadienne (85 %). «Comparés aux Canadiens anglais, les Québécois francophones ont toujours été à la traîne en ce qui concerne l’importance de l’éducation, dit Christian Bourque. L’éducation pourrait même devenir l’enjeu principal des prochaines élections québécoises — du jamais-vu!»

Pour en apprendre davantage sur les défis du Québec: L’état du Québec 2017, Del Busso Éditeur, 336 p., 24,95 $.
Pour en apprendre davantage sur les défis du Québec: L’état du Québec 2017, Del Busso Éditeur, 336 p., 24,95 $.

Selon Égide Royer, professeur associé au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval, «les Québécois sont en train de prendre conscience que l’éducation, c’est aussi important que la santé, sinon plus». Près de 90 % d’entre eux estiment qu’elle constitue «surtout un investissement» pour l’État. «La question n’est plus tant de savoir si c’est un investissement ou non, mais combien on investit!» dit Christian Bourque.

Toutefois, les Québécois ne se montrent guère satisfaits du système d’éducation lui-même. Plus de la moitié des répon­dants affirment que l’école prépare mal ou même très mal les jeunes au marché du travail. Et ils sont plus nombreux encore à croire qu’elle contribue mal à en faire des citoyens actifs et informés. Bref, les Québécois croient au potentiel de l’école… mais pas à l’école québécoise! «Ils ont une très bonne opi­nion des enseignants, mais une mauvaise opinion de l’école, qu’ils considèrent comme mal gérée», explique Christian Bourque.

Autre revirement important: 75 % des Québécois sont désormais favorables à l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. «Historiquement, les politiciens n’ont pas proposé cette mesure parce qu’ils adhéraient à la vieille perception selon laquelle il serait “injuste” de “forcer un pauvre petit de 16 ans” à endurer l’école contre son gré», dit Égide Royer, qui se réjouit du changement de vision que révèle le sondage, lui qui a conseillé le Parti libéral, le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec dans l’élaboration de leurs programmes en matière d’éducation. «En Ontario, l’école est obligatoire jusqu’à 18 ans, ainsi qu’au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et dans une vingtaine d’États améri­cains. Pourquoi le Québec, avec un taux de réussite scolaire aussi faible, ne hausserait-il pas l’âge de la scolarisation obligatoire?» demande-t-il.

Illustration: Sébastien Thibault
Illustration: Sébastien Thibault

Autre mesure que le professeur de l’Université Laval aimerait voir importée: l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, un ordre professionnel dont l’équivalent n’existe pas au Québec. «La majorité des enseignants au Québec sont bons, dit-il. Mais au lieu d’avoir toutes sortes de mesures qui n’ont pas d’effet, comme l’aide aux devoirs, il faudrait se concentrer sur la qualité de l’enseignement, ce qui n’est pas une question de convention collective ou de conditions de travail. C’est une question d’évaluation par les pairs.»

LAT16_SONDAGE_exergue1Les Québécois sont plus partagés en matière de scolari­sation précoce — la fameuse maternelle quatre ans. Seule­ment 4 sur 10 sont favorables à l’idée de la rendre obligatoire. Or, c’est ce à quoi s’attelle le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx: il a créé 100 nouvelles classes pour la rentrée 2016.

Il s’agit d’un malentendu, selon Christa Japel, professeure au Département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM. «Les Québécois pensent, avec raison, que les CPE font déjà le travail de la maternelle quatre ans. Mais l’initiative du ministre cible plus particulièrement les enfants de milieux défavorisés, où les frais de garderie, même modestes, sont trop élevés pour les parents.»

Christa Japel et sa collègue France Capuano ont suivi l’évolution de 300 enfants entrés en maternelle quatre ans, à temps plein ou à temps partiel, en septembre 2013. Les résultats ne sont pas encore publiés. «Nous sommes les premiers à étudier la question au Québec, mais ailleurs, plusieurs études ont confirmé les bienfaits pour ces enfants. Il est plus facile de convaincre les parents de les amener à l’école gratuite qu’au CPE, qui coûte de l’argent» , explique Christa Japel.

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Quant à la valeur de l’éducation postsecondaire, il existe une différence notable entre la perception des jeunes et celle de leurs aînés. Seulement 78 % des 18 à 34 ans croient qu’ils ont plus de chances d’avoir un emploi bien rémunéré s’ils poursuivent leurs études au cégep ou à l’université. Chez les 55 ans et plus, 95 % en sont convaincus.

Ce scepticisme des jeunes ne serait pas une particularité québécoise, selon Ross Finnie, directeur de l’Initiative de recherche sur les politiques de l’éducation à l’Université d’Ottawa. Depuis 20 ans, il étudie ce qu’il appelle le «mythe du barista instruit» — la croyance selon laquelle les étudiants dans des domaines autres que les filières technique ou scientifique finissent par travailler dans un café au salaire minimum. «C’est une croyance répandue dans la société nord-américaine. Mais c’est totalement faux», dit Ross Finnie, qui vient de publier les résultats d’une étude entreprise en 1999 en partenariat avec Statistique Canada. Il a suivi le parcours de 20 000 jeunes de 14 collèges et universités du pays pendant et après leurs études. «Peu importe la matière étudiée, les diplômés universitaires finissent toujours par gagner plus que leurs pairs sans diplôme, même les étudiants en arts plastiques! C’est incontestable.» Une étude parue en 2014, de Thomas Lemieux, professeur d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique, a démontré que tous les diplômés universitaires, quelle que soit leur spécialité, gagnent de 10 % à 75 % de plus que les non-diplômés.


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Si les jeunes ont certains doutes sur la valeur des études postsecondaires, leur vision du marché du travail est nettement plus positive que celle de leurs aînés: 42 % des moins de 25 ans sont convaincus que les étudiants actuels bénéficieront de meilleures conditions d’emploi que les générations précédentes, alors que tous âges confondus, seulement 28 % sont de cet avis. «Contrairement à ce que bien des gens croient, les jeunes n’ont pas peur du travail, dit Christian Bourque. Ils sont à l’aise avec les bouleversements constants du milieu du travail.»

Cependant, les attentes des jeunes par rap­port à la retraite sont franchement moroses. Chez les moins de 44 ans, trois sur quatre affirment qu’ils auront une moins bonne retraite que leurs parents. «Les jeunes sont conscients qu’il y aura beaucoup de “vieux” à soutenir et qu’ils n’auront pas beaucoup d’argent à investir dans leur propre retraite, dit Christian Bourque. Ils mettent en doute la viabilité des programmes: beaucoup croient qu’ils n’existeront plus quand eux arriveront à l’âge de la retraite.»

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Encore là, il n’y a pas de particularité qué­bécoise. Selon une étude menée auprès de 19 000 jeunes de 25 pays par le consultant en ressources humaines américain ManpowerGroup, les deux tiers des personnes de cette génération s’attendent à travailler encore après 65 ans. Et même jusqu’à 70 ans ou plus, disent 32 % d’entre elles. L’étude conclut d’ailleurs: «La montre en or à 50 ou 60 ans, ça ne dit absolument rien à cette génération.»

LAT16_SONDAGE_exergue2Quant à savoir ce que c’est que vieillir, les perceptions varient grandement. Cela tient peut-être au fait que les Qué­bécois de 65 ans ne se considèrent pas comme vieux. Si on demande à quel âge une personne cesse d’être jeune, la réponse moyenne est de 42 ans! Et à quel âge devient-on vieux? À 68 ans. Mais alors, qu’est-ce que l’on est entre 42 et 68 ans?

«Entre 42 et 68 ans, on est adulte! dit Christian Bourque. Mais il semblerait que plus on est vieux, plus on considère que la vieillesse arrive tard.» Ce phénomène est bien décrit dans une étude britannique intitulée It’s All in the Mind (tout cela est dans la tête), du groupe de recher­che sur les consommateurs The Big Window. Les résultats ont montré qu’il y a une différence considérable entre l’âge réel des gens et l’âge qu’ils s’attribuent. Seuls les 30 à 35 ans «se voient» comme ayant leur âge réel. Les plus jeunes ont tendance à se vieillir, et les 70 ans et plus se perçoivent comme étant 20 ans plus jeunes qu’ils ne le sont en réalité!

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Dans tous les cas, les Québécois comptent écouler leurs vieux jours en restant le plus actifs possible. L’activité de choix à la retraite: voyager, la priorité de 6 personnes sur 10. Petite contradiction chez les 25 à 34 ans: les trois quarts comptent voyager à la retraite, mais 6 sur 10 veulent s’occuper de leurs petits-enfants! Le groupe des 45 ans et plus est beaucoup moins enthousiaste sur ce point, puisque seulement 36 % disent vouloir passer leurs vieux jours à s’occuper de leurs petits-enfants. «C’est peut-être que les plus vieux sont plus réalistes par rapport au niveau d’énergie que ça demande», dit Christian Bourque.

LAT16_SONDAGE_joiesAutre constat: tandis que 52 % des répondants sou­tiennent que vivre plus vieux est une chance, presque le tiers affirment que vieillir est un fardeau! «Le discours public du “comment bien vieillir” a commencé à changer dans les années 1980», dit Martine Lagacé, professeure agrégée au Département de communication de l’Université d’Ottawa et spécialiste des attitudes de la société québécoise envers le vieillissement. «On valorise maintenant le fait de continuer ses activités, de faire du bénévolat, de voyager, d’avoir l’air jeune, mais surtout, d’être autonome, dit-elle. Ceux qui sont incapables de suivre ce modèle-là considèrent qu’ils vieillissent mal et qu’ils deviennent un fardeau.»

Parmi les sources d’inquiétude quant à l’avenir et au vieillissement, l’argent arrive deuxième, après la santé. C’est que les Québécois ne sont pas particulièrement bien préparés financièrement pour cette retraite en version hyperactive! Moins de la moitié affirment avoir un plan pour financer leurs vieux jours — chez les 55 ans et plus, c’est 65 %.

Sans surprise, les Québécois repoussent graduellement l’âge prévu de cette fameuse retraite. Ils affirment vouloir se retirer du marché du travail à 62 ans. C’est un an de moins qu’en réalité, selon Retraite Québec. Il s’agit d’une tendance lourde et pas uniquement québécoise: les Canadiens rêvaient de prendre leur retraite à 59 ans en 1994, selon Statistique Canada; en 2007, ils visaient 61 ans… «Ceux qui prennent leur retraite à 60 ans viennent pour la plupart du secteur public ou de la très grande entreprise, dit Pierre Lefebvre, professeur associé au Département des sciences économiques de l’UQAM. Les autres la reportent de plus en plus.»

Méthodologie: Sondage Web réalisé par Léger Recherche Stratégie Conseil du 21 au 27 juillet 2016 auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 Québécois âgés de 18 ans ou plus. À l’aide des données de Statistique Canada, les résultats ont été pondérés selon le sexe, l’âge, la langue parlée à la maison, la scolarité et la présence d’enfants dans le ménage, afin de rendre l’échantillon représentatif de l’ensemble de la population à l’étude.

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« Une étude parue en 2014, de Thomas Lemieux, professeur d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique, a démontré que tous les diplômés universitaires, quelle que soit leur spécialité, gagnent de 10 % à 75 % de plus que les non-diplômés.»

10 % c’est très très peu quand on considére le coût des études et les quatre années perdues (au mieux), quatre années c’est quasiment ces 10 % de revenus supplémentaires.

De même, les études tendent à prouver que la maternelle massive n’apporte pas de gain durable en général : les enfants des classes moyennes récupèrent vite les retards, ceux des classes supérieures sont peut-être même bridés par des classes de maternelles alors qu’en famille ils ont toutes les stimulations nécessaires dans un milieu plus rassurant.

Vous écrivez : «Une étude parue en 2014, de Thomas Lemieux, professeur d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique, a démontré que tous les diplômés universitaires, quelle que soit leur spécialité, gagnent de 10 % à 75 % de plus que les non-diplômés.»

Mais la conclusion de Lemieux (2014) est très différente ! Il dit plutôt qu’il est facile de trouver un groupe de diplômés universitaires qui gagnent à peine plus que des diplômés de l’école secondaire… Déduisez les frais liés aux études universitaires…

«This means it is relatively easy to find a group of university graduates who earn barely more than high school graduates, despite the fact the
average return for all university graduates is much larger. »