
Qui donc achète de l’air ? Au sens propre ? D’après son site, Amsterdam Craft Air Company offre un demi-litre d’air pour 15 euros, soit un peu plus de 22 dollars. Attention, pas n’importe quel air. L’air chargé des effluves des coffee shops, de l’odeur des ormes, celle des canaux de l’Amstel et du red-light district… l’atmosphère authentique d’Amsterdam en bouteille.
L’entreprise, qui a déjà mis en vente l’eau du canal de la métropole néerlandaise, dit offrir « le meilleur mélange d’air authentique d’Amsterdam ». Rien de moins. Le produit est offert en deux arômes et la bouteille est transparente, question que l’air soit visible. Chaque contenant est numéroté pour augmenter la perception d’exclusivité du produit.
L’étiquette nous recommande de garder le contenant scellé pour ne pas perdre ses précieux effluves. Les ingrédients : 78 % d’azote, 21 % d’oxygène et 1 % d’autres gaz présents dans l’environnement hétéroclite de la ville. À peu de chose près les mêmes ingrédients que l’air de Sorel ou de Thurso… Mais sans le caractère mythique. Sans l’histoire. Sans une once d’authenticité de marché aux puces. Sans l’étiquette design. Et sans une facture salée.
On parle de seulement une dizaine de ventes jusqu’à maintenant, mais le simple fait d’offrir de l’air haut de gamme fait sourciller. L’entreprise dit à la fois offrir un souvenir… et une critique de tout ce qui est étiqueté « artisanal ». Mais pas besoin d’être un disciple de la simplicité volontaire pour réaliser que ce n’est pas une aubaine.
Des marques comme celle-ci cherchent à profiter de notre propension aux choses uniques et authentiques. Un penchant qui mène parfois à certaines bizarreries de consommation. Par exemple, un chandail du CH neuf vaut plus cher qu’un d’occasion… sauf s’il a été abîmé par Radulov sur une bande du Centre Bell. Il en va de même pour une guitare de star. Une photo autographiée. Ces objets acquièrent une histoire, une rareté, et deviennent chargés d’un nouveau sens.
La quête d’authenticité ne s’arrête pas aux memorabilia et autres caprices de collectionneur ; elle fait partie de notre consommation courante. On paie plus pour un latte que pour un café au lait. Et on juge la qualité dudit latte à l’expérience vécue en succursale. À défaut de pouvoir aisément évaluer la qualité des produits, on utilise souvent des raccourcis. Un barista à la barbe hirsute nous assure qu’on ne paie pas cinq dollars pour un café filtre. Un serveur asiatique crédibilise notre comptoir à sushis préféré. L’accent français du conseiller en vin de la SAQ ne nuit pas non plus. Et pour aller prendre un verre, quoi de mieux qu’un pub irlandais.
Mais l’authenticité est fabriquée. C’est une conception pour laquelle on paie souvent très cher. Par exemple, les pubs irlandais n’ont pas toujours été aussi présents qu’aujourd’hui. Derrière, il y a un effort de commercialisation et de mise en boîte. Plusieurs entreprises vendent des kits à assembler pour construire d’« authentiques » pubs irlandais. Depuis 1990, ces kits ont permis de construire des milliers d’établissements comprenant les essentiels d’un bon pub : un comptoir imposant, des chaises qui pèsent une tonne, un réseau de tuyaux cuivrés qui culminent en une station de pompage de bière et des artéfacts irlandais. De vieilles affiches, des photos d’Irlandais célèbres, de vieilles bouteilles d’alcool, des outils brassicoles anciens, etc. Tous les pubs du monde se ressemblent. Le design est vendu en vrac.
De façon intéressante, le patrimoine est revisité régulièrement. Ce qui était un bibelot représentatif de l’Irlande il y a 10 ans a été remplacé par une version repensée de ce qui est, aujourd’hui, la parfaite vieillerie. On choisit de nouvelles antiquités pour moderniser l’image ancestrale. Avec tous ces changements au patrimoine, il semble difficile de construire un pub crédible sans enrichir un brocanteur irlandais… ou un brasseur. C’est que Guinness, la stout la plus connue du monde, a tissé de solides partenariats avec les exportateurs de pubs. Faire partie de ce qui est « authentique » est un immense avantage pour une marque.
Si vous décidez d’ignorer votre petit Pierre-Yves McSween intérieur et de vous procurer un produit authentiquement authentique, notez qu’il faut prévoir un supplément de près de 40 dollars pour le transport de la pinte d’éther d’Amsterdam. À plus de 60 dollars le 500 ml d’air, je recommande de passer outre l’air d’Amsterdam et d’opter pour une bière dans un pub presque authentiquement irlandais. Le plaisir risque de durer plus longtemps.
***
Stéphane Mailhiot est vice-président de la stratégie à Havas Montréal et chroniqueur médias et marques à Radio-Canada.
Si on se réfère à la « bande annonce » que vous nous offrez de visionner pour Amsterdam Craft Air Co, il faut admettre que cet air « amsterdamois » est digne d’un produit haut-de-gamme, puisque récolté longuement et amoureusement par un drone — qui tel un vol nuptial -, capte et s’imprègne de tous les effluves joyeux de cette ville mythique édifiée presque en dehors du temps.
Sans compter que la « pilote » du drone qui récolte cette bouteille jetée dans l’air (un peu vicié) est telle qu’elle en son apparence absolument irrésistible. Sans compter toujours que ses douces mains auront qui plus est effleurées cette bouteille d’air impur envoyé à grand frais….
Alors je conçois que c’est exactement le produit indispensable aujourd’hui qu’il faut actuellement se procurer. Sans quoi, c’est le chaos, on risque de se trouver propulsé irrévocablement dans ce désert où vivent (sans la moindre chance de retour) tous les pauvres « has been » !
À noter d’ailleurs que d’avoir une bouteille remplie d’air encapsulé et qu’on n’ouvre pas, c’est un vieux principe inspiré entre autre du Voodoo, c’est une force invisible et induite qui permet de s’éloigner du mauvais sort. J’ai moi-même d’une de ces bouteilles à l’intérieure de laquelle flottent (évidemment ?) les effluves de la Louisiane.
Dans toutes sortes de mythes et de légendes, les lanternes ou autres amphores du genre, referment en leur « non vide », des esprits ou des génies. Ces principes sont associés à des formes empruntées du paganisme ; je conjecture qu’il en va symboliquement tout pareillement de de l’air d’Amsterdam. Ces fétiches sont purement magiques et nous réfèrent au mécanisme de la pensée.
En fait le goût pour le « toc », le vrai-faux authentique. J’ai bien l’impression que cela doit plus ou moins remonter avec la nuit des temps. Ce qui est singulier, c’est ce besoin que la plupart des gens ont de vivre une expérience authentique ou d’éprouver dans leur intimité ce sentiment d’authenticité.
Ainsi cette authenticité est-elle purement fabriquée ou vient-elle nous chercher pour ce que nous sommes ?
Plusieurs philosophes se sont intéressés à cette question. Parmi lesquels Krisnamurti ou des anthropologues comme Claude Lévi-Strauss. D’une certaine manière cela nous renseigne sur notre quête spirituelle. Celle entre autre d’apprécier un ordre structurel qui perdure dans le temps ; puis en quelques sortes celui de ressentir le sens sacré qui finalement commande à l’acceptation de tout processus de vie.
C »est ironique qu’un « pubeux » semi-critique ce manque d’authenticité quand l’industrie de la pub a mené, depuis plusieurs année, cette ridicule croisade du « fake-real ».
On en soupe partout, de la télé réalité au faux bois de grange magané dans les restos branchés partout dans le monde – nous sommes une société riche qui s’ennuie profondément.
Savez-vous ce qui m’attriste le plus? Ce n’est pas que quelqu’un aille l’audace de vendre de l’air en bouteille à un prix ridiculement élevé. C’est que des gens ressentent le besoin d’en acheter et ce peux importe la raison ou presque.
À part pour une sorte de farce dans le style des emballages de rien (https://www.amazon.com/Cub-JA0027-Gift-of-Nothing/dp/B019HDSCPU), pourquoi acheter une bouteille pleine d’air? Il y a donc quelque part des gens prêt à dépenser 15euro pour une bouteille d’air « exclusive »!
Dans ce cas, faites quelque chose d’utile: apporter une bouteille vide avec un bon bouchon, allez faire un don du montant que vous voudrez à la cause que vous voudrez. Bouchez votre bouteille et inscrivez sur l’étiquette: Air du jour où « M (mme) votre nom », à fait un don de « xx »$ à « tel cause », Embouteiller le « date » à « l’endroit », Cuvé exclusive.
Jamais personne n’aura eu une bouteille aussi exclusive que la votre. Surtout si vous êtes le tout premier à le faire.
Vous pourrez même en faire plusieurs et les collectionner…
Allez-y! Et tâcher d’en obtenir une pour chaque organisme de votre région.
Pour faire Amsterdam… pas d’air avec une odeur de Pot Café, au prix qu’ils vendent l’air… Quand à la SAQ, mon conseiller a un langage québécois un ti-peu châtié, il est un ti-peu bourru, et ses conseils son excellents.
Souvenir d’enfance sur la côte est américaine. L’air se vendait en canette…
C’est pas nouveau!
En passant: « à date » est un anglicisme (encore un autre). En français, on dit: « jusqu’à présent ».
Un anglicisme qui a le don de nous arracher les oreilles comme le vulgaire « bon matin »…