Chaque fois que j’entends des hommes de pouvoir invoquer leurs filles pour justifier leur appui à une mesure féministe, je grince des dents. « En tant que pères », ils souhaitent ce qu’il y a de mieux pour leurs filles, disent-ils ; « en tant que pères », ils peuvent témoigner des obstacles qui se dressent devant elles. Barack Obama et Justin Trudeau, notamment, sont friands de la formule.
Franchement : faut-il vraiment avoir engendré une fille pour être sensible à la réalité de la moitié de la population qu’on gouverne ? Nos dirigeants ne sont-ils motivés à combattre les inégalités entre les sexes qu’à partir du moment où la chair de leur chair risque d’en souffrir ?
Eh bien, il s’avère que ça aide. De récentes recherches montrent que la relation père-fille peut être transformatrice pour les hommes de pouvoir. La naissance d’une fille façonne leurs valeurs et, par ricochet, teinte les décisions qu’ils prennent dans leur vie professionnelle, au bénéfice de toutes les femmes.
La plus récente étude sur ce thème, publiée en décembre dans le Journal of Financial Economics, montre que l’arrivée d’une fille dans la famille d’un PDG se répercute sur la culture de l’entreprise tout entière.
Les chercheurs se sont intéressés à 416 patrons de grandes sociétés américaines cotées en Bourse. Lorsqu’un PDG est le père d’une fille, le score de son entreprise s’améliore de 9 % sur une échelle de responsabilité sociale, par rapport à la médiane. C’est surtout le volet de la diversité qui s’en ressent, et en particulier les mesures de conciliation travail-famille, les politiques LGBTQ et la présence de femmes dans des postes de direction. Le fait d’avoir un fils, en revanche, ne change rien sur ce plan.
Une autre équipe s’est penchée spécialement sur les sociétés d’investissement en capital de risque, secteur à forte prédominance masculine. Selon un rapport publié en mai 2017 par deux chercheurs de Harvard, le fait d’avoir une fille peut vaincre la résistance des investisseurs à l’idée d’embaucher des femmes, dans ce milieu où ils ont plutôt tendance à s’entourer de gens qui leur ressemblent.
Ainsi, lorsque les associés principaux ont plus de garçons que de filles, la proportion de femmes qu’ils engagent comme associées reste sous la barre des 9 %. Mais quand il y a plus de filles que de garçons parmi les enfants des patrons, le taux de recrutement des femmes atteint presque 12 %. C’est un tiers de plus.
Et tout le monde en bénéficie. Car en incitant leurs pères à embaucher plus de femmes, les filles stimulent, par la même occasion, le rendement de l’entreprise. Les chercheurs ont en effet remarqué que lorsqu’on ajoute une fille à la progéniture des associés, le taux de succès de leurs investissements grimpe de 3 % (une hausse appréciable par rapport au taux de succès de 29 % en général).
Voir des filles grandir aiderait donc certains leaders, par osmose ou par amour, à s’ouvrir au potentiel des femmes dans leur milieu de travail. Les voir affronter un monde si souvent injuste à leur égard donnerait aussi aux pères une nouvelle compréhension des embûches auxquelles les femmes doivent faire face. Cette prise de conscience peut même être assez puissante pour supplanter leurs affiliations politiques.
Par exemple, à la Cour d’appel des États-Unis, les juges d’allégeance républicaine se rangent plus souvent dans le camp progressiste s’ils sont pères d’au moins une fille que s’ils n’en ont aucune. C’est précisément dans les litiges civils touchant les droits des femmes — lorsqu’il est question de discrimination en emploi, de droits reproductifs ou d’avortement, entre autres — que l’influence de leur fille se fait sentir : la proportion de leurs décisions qui penchent du côté progressiste augmente alors de 8 %, dit l’étude publiée en 2015 dans l’American Journal of Political Science.
D’ailleurs, une autre chercheuse l’a constaté chez les élus du Congrès américain. Quel que soit leur parti, plus ils ont de filles, plus ils votent libéralement sur les questions qui concernent les femmes, et particulièrement sur leur santé reproductive, selon des travaux parus en 2008 dans The American Economic Review.
Bien sûr, ce sont encore les femmes qui prennent les décisions les plus favorables à la condition féminine dans chacun de ces milieux, et les données des chercheurs que je viens de citer le confirment. Élever une fille ne fait pas des hommes de meilleurs ambassadeurs du féminisme que les femmes elles-mêmes. Et si on tient à l’égalité des sexes, ce sont elles d’abord qu’il faut porter au pouvoir.
Mais au moment où on se creuse la tête pour savoir comment impliquer les hommes dans la lutte pour l’égalité, ces recherches nous rappellent qu’à la base de tout progrès social il y a les relations humaines et l’essentielle empathie qu’elles font naître. Cultivons-les.
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’août 2018 de L’actualité.
L’étude a été menée auprès de leaders américains, malheureusement dans les pays où la femme n’a sa place qu’auprès des enfants et ne peut sortir seule ni faire quoi que ce soit sans en être autorisée par un homme, le fait d’avoir des filles ne doivent pas changer le leadership de ces hommes de pouvoir, car ils ont une vision de la femme autre que celle des americains. Il y a encore plusieurs pays occidentaux où la femme ne peut avoir un appartement ou une chirurgie à l’hôpital sans la signature de son mari. Nous n’avons pas besoin de nous rendre plus loin qu’en Europe de l’Ouest où les femmes de certains pays sont stagiaires une grande partie de leur vie, sont secrétaires même avec des PHD en poche et les hommes sans grands diplôme pullulents dans les CA et les postes décisionnels. Je suis plutôt d’accord avec le paragraphe où vous dites que le fait de refuser de gouverner avec la moitié de la population mondiale vous fait grincer des dents, moi ça me fait plus que grincer des dents.
Ce qui me surprend un peu, c’est qu’on ne parle pas ici de l’influence des épouses sur les hommes de pouvoir, l’influence des maîtresses, l’influence considérable des escortes. Sont-ce des sujets tabous ou des questions négligeables ?
Est-ce que les hommes de pouvoir vivent dans une bulle qui les place à l’abri des tendances, puis qui s’ouvrent tout-à-coup spontanément au monde par la naissance d’une fille ? Ne suivent-ils pas l’actualité ?
Pourquoi par exemple — notamment en Chine -, est-ce qu’on privilégie encore la naissance d’un garçon ? Cela signifierait-il que les dirigeants asiatiques seraient tous des arriérés ?
Je suis aussi surpris qu’une autre équipe ne se soit penchée que sur les sociétés d’investissement en capital risque et pas sur l’ensemble des sociétés d’investissement. Cela signifierait-il que la prédominance serait spécifiquement masculine dans les seules sociétés œuvrant dans le capital risque ?
J’aimerais bien comprendre ce que signifie ici le mot « prédominance », au Québec nous avons des normes définies par : la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui prennent en compte plusieurs critères.
Sur la littérature que j’aie parcourue en rapport avec le sujet, il appert que le taux de diplomation soit un caractère déterminant de l’emploi et le rôle des femmes (comme aussi des hommes) dans toutes les professions. Ainsi dans des professions telles qu’analystes financiers qui ne connaissent pas de chômage. Toutes les filles qui obtiennent un diplôme obtiennent un emploi souvent avant même l’obtention de leur diplôme.
La qualité de la scolarité, les diplômes obtenus dans plusieurs filières professionnelles sont des éléments plus déterminants dans l’objectif recherché de parité et de transformation des entreprises de toutes tailles que pour le « boss » la naissance d’une fille en particulier.
Comme le monde scientifique tire une partie de ses revenus sur le nombre de publications, il y a une fâcheuse tendance à multiplier les études sur toutes sortes de sujets sur la base de critères étroits qui visent à démontrer des choses qui étonnement ne se démontrent pas toujours systématiquement. Il y a de plus en plus en scientifiques qui dénoncent la « pseudo-science », des distinctions qui ne sont pas toujours faites par le public et par les journalistes.
Dans le passé, il était prétendu que la naissance d’un enfant : mâle ou femelle était un élément déterminant dans l’évolution de la famille. Cela avait un caractère responsabilisant. Pour un chef d’entreprise, l’expérience de la paternité avait pour effet d’accroitre la responsabilité sociale de l’entreprise et la responsabilité de l’employeur envers ses employés.
Pour conclure, j’aimerais dire que ce qui actuellement va au discrédit des femmes, c’est qu’il naît sur cette terre désormais moins de femmes que d’hommes, que le faible taux de reproduction des occidentaux ouvre chez nous la porte à toujours plus d’immigration de personnes qui attachent une place plus prépondérante à la croissance de la famille qu’à l’égalité des sexes.
Il y a fort à croire que dans un futur proche, ce soit la démographie qui l’emporte sur toute pseudo-considération d’égalité dans pratiquement toutes les professions à une époque où la plupart des femmes doivent faire le choix déchirant entre avoir une belle carrière ou avoir des enfants.
Une réalité dans laquelle et pour laquelle les chefs d’entreprises devraient apporter la plus grande attention, car à quoi cela sert-il d’avoir une fille si leur employés et employées captifs de leurs emplois n’en font finalement pas ?
Je ne sais trop que penser de cette étude… Il me vient en tête Vladimir Poutine, lui qui a trois filles et qui a lui-même signé une loi autorisant la violence domestique d’un mari envers son épouse…
@ Magali Trembly,
J’aimerais apporter, un complément à vos propos. L’initiative de faire voter une loi visant à décriminaliser la violence domestique (cela concerne aussi les enfants) ne vient pas de Poutine. Comme le précisait le journal britannique « The Guardian », cette initiative vient de la sénatrice ultra-conservatrice : Elena Mizoulina. Il ne s’agit pas d’une loi, plutôt d’un amendement au Code criminel et pénal russe.
Ce qui pourrait dépasser cependant quelque peu l’entendement, c’est que le Douma (Chambre basse russe) a adopté cet amendement presque à l’unanimité 380 pour/contre 3. Que cet amendement était porté par quatre députées et rapporté par l’une d’elle : Olga Batalina.
Il convient cependant de mettre en contexte cet amendement. En Russie, la violence faite aux femmes et aux enfants est sévèrement punie, tous les hommes et les femmes vont systématiquement en prison (passibles de 2 ans), ils ont aussi un dossier criminel qui les suit partout. Les prisons sont surpeuplées ; lorsqu’ils ou elles sortent de prison, il est plutôt rare que cela arrange la situation.
Le projet de la sénatrice Mizoulina (juriste et membre du Conseil constitutionnel), visait à décriminaliser une première infraction bénigne, il prévoit une amende (Code pénal) pouvant aller jusqu’à 30 000 roubles (environ 600$, ce qui en Russie représente une bonne somme d’argent) ou des travaux communautaires (jusqu’à 120 heures) ou une peine de prison de 10 à 15 jours. En cas de seconde infraction, la loi continue de s’appliquer comme avant. S’il y a blessures lors de la première infraction, les dispositions initiales du Code criminel s’appliquent.
Pour être promulguée en vertu de la Constitution, les lois doivent être obligatoirement signées par le Président. Il ne semble pas en effet comme vous l’écrivez que Poutine se soit opposé à cet amendement, pas plus qu’il ne s’oppose en général à toutes les lois qui sont votées par le Parlement. Cela dit, je ne sais pas si la loi a été déjà signée… ?
Au Canada les dispositions sont plus souples. Pourquoi reprocher à la Russie de libéraliser ses lois pour se mettre au diapason des autres nations ?
Noémie Mercier devrait se tenir loin de ces études économiques qui pour la plupart du temps sont inspirées par la théorie néoclassique appuyée trop souvent sur des hypothèses qui s’éloignent de la réalité.
Par exemple, madame Mercier aurait beaucoup de peines à nous expliquer comment « l’arrivée d’une fille dans la famille d’un PDG se répercute sur la culture de l’entreprise tout entière » à l’aide d’une fonction d’utilité – élément choyé par les économistes néoclassiques – comme il est décrit dans l’étude qu’elle recense.