Il a suffi d’une déclaration de Sean Fraser, nouveau ministre fédéral du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, pour attirer l’attention sur un groupe dont on parle peu : les étudiants étrangers.
Il y a quelques jours, M. Fraser a associé la crise du logement à la présence de ces jeunes sur le territoire canadien, suggérant dans la foulée de plafonner leur nombre. Ses propos ont soulevé l’ire des milieux collégiaux et universitaires, et agacé le gouvernement du Québec, qui a rappelé que le domaine de l’éducation est de sa compétence.
Le premier ministre Justin Trudeau a rapidement recadré son ministre en soulignant que « ça ne sert à rien de blâmer une personne ou un groupe de personnes pour un problème qui se développe depuis des décennies au Canada ». Les étudiants internationaux sont ainsi retournés dans l’ombre.
Il reste que les propos de M. Fraser sont intéressants sous deux aspects.
D’abord, on a peu retenu qu’il s’est attardé à un cas particulier : les établissements d’enseignement qui tirent de juteux profits d’étudiants étrangers. Ils leur imposent d’importants droits de scolarité sans pour autant voir à leur bien-être, comme l’accès à un endroit où se loger.
Sean Fraser a même employé le terme « exploitation » pour dénoncer la manière dont certaines écoles profitent d’étudiants « vulnérables » plutôt que d’assurer « une éducation de qualité à de futurs résidents permanents et citoyens canadiens ».
Ce problème est réel. Au Québec, il a été pris à bras-le-corps par le gouvernement caquiste.
Ces dernières années, tant des reportages qu’une enquête de l’Institut de recherche en économie contemporaine, publiée au printemps 2021, ont révélé à quel point l’inscription d’étudiants étrangers était devenue un marché très lucratif pour certains établissements.
Des dizaines de collèges privés non subventionnés, offrant essentiellement des formations en anglais, connaissaient une croissance fulgurante, alors que dans bien des cas, la qualité de l’enseignement et des installations n’était pas au rendez-vous. Le ministère de l’Éducation s’en inquiétait, au point de demander à l’Unité permanente anticorruption de fouiller des dossiers précis.
Au final, Québec a obtenu d’Ottawa qu’il ne soit plus possible qu’une formation courte dans de tels collèges puisse accélérer l’obtention du statut d’immigrant. La mesure, annoncée l’an dernier, entre en vigueur ce vendredi 1er septembre. Le gouvernement coupe ainsi les ailes à des établissements qui faisaient miroiter une immigration rapide comme argument de vente.
Cela dit, les cégeps du Québec, les collèges ailleurs au Canada et les universités de tout le pays comptent de plus en plus sur les étudiants internationaux pour tenir en vie certains programmes… et équilibrer leurs finances. En novembre dernier, un rapport de la vérificatrice générale de l’Ontario s’en est formellement inquiété.
Il montrait que les étudiants étrangers versaient 45 % du total des droits de scolarité perçus par les universités de la province, contre 29 % cinq ans plus tôt. Du côté des collèges, le rapport notait qu’en moins de 10 ans, les inscriptions d’étudiants étrangers avaient grimpé de 342 %, comptant maintenant pour 68 % des droits de scolarité perçus. Cette dépendance financière envers une clientèle aussi mouvante est préoccupante, concluait la vérificatrice générale.
Ce souci, légitime, ne doit toutefois pas faire oublier les formidables atouts de la mobilité internationale pour un étudiant, deuxième point que je veux souligner.
Des études à l’étranger, c’est la porte ouverte à la découverte, à l’effervescence intellectuelle, à la confrontation des cultures et des idées. C’est vrai pour les étudiants qui partent comme pour ceux qui les accueillent. Si vrai que les universités québécoises offrent depuis des décennies des programmes d’échanges à leurs étudiants. En Europe, le programme Erasmus, mis en place en 1987, incite avec succès les jeunes de 33 pays à aller étudier ailleurs.
Dans cet esprit de rencontres, je ne comprends pas pourquoi il faudrait limiter le nombre d’étudiants à recevoir — à condition évidemment de respecter les critères d’admission de programmes d’études rigoureux. Le ministre Fraser aurait plutôt dû souligner le besoin de résidences étudiantes.
Ses déclarations m’ont d’autant plus agacée qu’en général, tant à Ottawa qu’à Québec, on ne considère l’apport des étrangers que par les bras : bras des travailleurs agricoles, des préposés aux bénéficiaires, des ouvriers de la construction… Les cerveaux, on n’en parle pas. Pour une fois qu’on le fait, c’est pour les transformer en boucs émissaires ! Pourtant, c’est le gouvernement Trudeau lui-même qui a ouvert les portes aux étudiants.
Jusqu’en 2015, année où Justin Trudeau a été élu premier ministre, le Canada délivrait en moyenne 99 000 permis d’études par année. Le nouveau gouvernement libéral a élargi ce programme, et le nombre d’étudiants internationaux a dès lors fait des bonds fulgurants. On compte aujourd’hui 807 000 détenteurs d’un visa d’étudiant sur le territoire canadien — dont 93 000 au Québec. Les structures pour les loger n’ont toutefois pas suivi.
L’autre paradoxe, c’est que tant à Ottawa qu’à Québec, on souhaite que les jeunes venus étudier ici restent au pays. Avoir un diplôme canadien facilite donc l’obtention du statut d’immigrant. Selon Statistique Canada, depuis l’an 2000, le tiers des étudiants étrangers se sont installés pour de bon.
Cela me fait tiquer. Il me semble au contraire que si nous aspirions à un monde moins inégalitaire, il faudrait inciter les étudiants à retourner dans leur pays d’origine, surtout s’il est fragile, afin que les connaissances acquises ici servent là-bas. Sinon, nous favorisons une désertion intellectuelle qui renforce le désespoir des plus démunis.
Chacun a évidemment son libre arbitre, et il ne s’agit pas d’obliger quiconque à retourner dans un pays qui ne lui convient plus. Mais je trouve l’Occident bien hypocrite de s’affoler de l’arrivée de gens qui fuient leurs pays désorganisés, alors que nous puisons sans vergogne dans les forces vives et scolarisées d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie…
Je crois donc que les étudiants internationaux doivent être généreusement accueillis, et il faut pour ce faire ouvrir des résidences afin de les loger — ce qui contribue aussi à la vitalité de régions, villes et quartiers. Mais c’est la circulation des jeunes qu’il faut prioriser, pas leur accaparement à notre profit. Les liens noués serviront ensuite à créer des ponts — intellectuels, politiques, commerciaux — entre les pays, au bénéfice de chacun.
De l’idéalisme ? Pourquoi pas. Il me gêne moins que nos débats sans fin sur l’immigration qui évacuent les problèmes à sa source.
Encore un cadeau à l’intelligence collective. Merci de nous donner régulièrement de votre matière grise, madame Boileau. Votre capacité d’analyse est stupéfiante autant que simplement évidente.
J’imagine que vous ne le ferez pas et je vous comprendrais, … mais SI vous étiez prête à vous engager en politique, tout en sachant que le « meilleur » parti politique n’existe pas … vers lequel vous dirigeriez-vous, … cad vers le « meilleur du moins pire » ?
Vous pouvez me répondre en privé si vous préférez ne pas vous exposer ici.
Mes respects madame Boileau
Merci, Madame Boileau, pour votre texte sur les étudiants étrangers que le Canada et le Québec accueillent de plus en plus. Les deux paragraphes suivants m’ont particulièrement intéressé:
Cela me fait tiquer. Il me semble au contraire que si nous aspirions à un monde moins inégalitaire, il faudrait inciter les étudiants à retourner dans leur pays d’origine, surtout s’il est fragile, afin que les connaissances acquises ici servent là-bas. Sinon, nous favorisons une désertion intellectuelle qui renforce le désespoir des plus démunis.
Chacun a évidemment son libre arbitre, et il ne s’agit pas d’obliger quiconque à retourner dans un pays qui ne lui convient plus. Mais je trouve l’Occident bien hypocrite de s’affoler de l’arrivée de gens qui fuient leurs pays désorganisés, alors que nous puisons sans vergogne dans les forces vives et scolarisées d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie…
Quand j’étais jeune coopérant en Afrique, nous nous intéressions beaucoup à « la fuite ou à l’exode des cerveaux » et nombreux furent les jeunes de ma génération qui sont allés enseigner dans les pays dits du tiers-monde avec l’espoir qu’une amélioration des niveaux d’instruction allait aider les populations de ces pays à se prendre en main et à vraiment s’autodéterminer. Ce que je vois aujourd’hui, c’est que, tout idéalistes que nous fûmes, nous avons été tout autant bien naïfs. Boko Haram fait des siennes partout et les coups d’État se succèdent – aujourd’hui même on nous en annonce un de plus, au Gabon.
Les pays occidentaux – nous incluant – pratiquent une forme de colonialisme maquillé en toutes sortes de belles explications comme l’enrichissement culturel, lesquelles induisent une entrée accélérée dans la société de consommation des pays riches et la possibilité de bénéficier plus rapidement d’un enracinement permanent dans ces mêmes pays riches, au détriment accéléré des pays d’origine. Les difficultés du logement découlant de cette arrivée massive d’étudiants étrangers sont un bien petit prix à payer, me semble-t-il, par rapport aux bénéfices futurs anticipés avec l’acquisition d’une résidence permanente.
Votre réflexion mériterait d’aller beaucoup plus loin. Je termine donc mon commentaire en formulant l’espoir de vous lire de nouveau, prochainement, à ce sujet.
Voilà une analyse intelligente. Merci Madame Boileau. Le débat lancé par le ministre Fraser est tellement ridicule et de bas niveau. Avant de pointer du doigt les étudiants étrangers pour la pénurie de logements qu’ils occasionnent, n’aurait-il pas dû nommer les airbnb de ce monde et les rénovictions ?