MONTRÉAL — Mélissa Leblanc, de Beaconsfield, dans l’ouest de l’île de Montréal, a reçu la visite des policiers le 5 avril parce que des proches lui avaient chanté «bonne fête» de leurs voitures garées de l’autre côté de la rue.
Corey Yanofsky, un scientifique de données d’Ottawa, a écopé une amende de 880 $ pour s’être tenu au mauvais endroit en allant promener son chien la semaine dernière. Obi Ifedi, lui aussi d’Ottawa, marchait dans un parc avec sa fille, le 4 avril, lorsqu’il a été approché par un policier municipal. Il soutient qu’il a finalement été plaqué au sol et en a été quitte pour une lèvre enflée et des amendes de plus de 2000 $.
Ces cas ne représentent qu’une petite proportion de tous ces Canadiens qui ressentent l’impact des mesures sanitaires que les gouvernements ont mises en place depuis mars pour empêcher la propagation de la COVID-19, mais qui limitent aussi leurs libertés individuelles.
Des experts en criminologie et en droit n’adhèrent pas à la croyance populaire voulant que les citoyens se sentiront plus en sécurité si la police a le pouvoir d’imposer de lourdes amendes à ceux qui ne suivent pas les règles.
Ils soutiennent plutôt que les directives des autorités de la santé publique ne sont pas claires, et que la manière dont elles sont appliquées est contre-productive — en plus de faire oublier l’échec de l’État à mieux se préparer à cette grande pandémie. Par ailleurs, les lourdes amendes affectent de manière disproportionnée les plus démunis, les personnes racisées et les communautés marginalisées — qui peuvent en plus être victimes d’abus de pouvoir des policiers, voire de profilage.
M. Ifedi, un père au foyer originaire du Nigéria, soutient que sa fille et lui avaient quitté le parc d’Ottawa après en avoir reçu l’ordre. Mais il allègue que le policier les a suivis et a continué à les haranguer. M. Ifedi aurait dit au policier qu’il n’y avait aucune affiche indiquant que le parc était fermé: «il n’a pas aimé que je lui réponde», a soutenu M. Ifedi mardi en entrevue.
L’avocat David Fraser relate que la Police régionale de Halifax laisse croire que ses agents pouvaient arrêter des véhicules transportant deux personnes ou plus afin de vérifier les déplacements «non essentiels» — alors que rien dans les ordonnances de santé publique n’accorde à la police de pouvoirs accrus pour arrêter des véhicules ou interroger des citoyens.
Le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, Mark Furey, a donné le 30 mars aux policiers le pouvoir discrétionnaire de passer de la sensibilisation à la coercition pour faire respecter les consignes de santé publique. Or, selon Me Fraser, les policiers sont déjà en général «beaucoup plus présents dans les communautés minoritaires que dans les communautés riches».
Une cartographie des infractions
Les chercheurs en criminologie Alex Luscombe et Alexander McClelland «cartographient» actuellement l’application policière des consignes sanitaires à travers le Canada. Leur projet recueille des données à partir de reportages journalistiques, de communiqués de presse de la police et de publications sur les réseaux sociaux.
Entre le 4 et le 13 avril, leurs recherches indiquent qu’il y a eu au moins 735 infractions aux lois sur la santé publique et l’état d’urgence; la plupart se sont produites au Québec (324), en Nouvelle-Écosse (228) et en Ontario (161).
Alex Luscombe, doctorant en criminologie à l’Université de Toronto, soutient que les contraventions nuisent de manière disproportionnée à ceux qui n’ont pas la possibilité de s’isoler confortablement ou qui n’ont pas été correctement informés de la propagation de la COVID-19. À sa connaissance, il n’existe aucune étude en criminologie qui indiquerait que les contraventions constituent un moyen de dissuasion efficace contre les mauvais comportements. La vitesse au volant existe toujours, plaide-t-il.
Son collègue Alexander McClelland, boursier postdoctoral à l’Université d’Ottawa, étudie la criminalisation des personnes atteintes de maladies transmissibles, en particulier le VIH. Même s’il est encore tôt dans la pandémie, il s’attend à ce que cette crise produise des habitudes policières similaires à celles qui avaient émergé lors de la crise du sida: les personnes racisées, les pauvres et les Autochtones sont surreprésentés dans les affaires criminelles liées au VIH, soutient-il.
Quant à Mélissa Leblanc, dont la fête d’anniversaire avait tourné au vinaigre, elle soutient que la police, qui avait reçu la dénonciation d’un voisin, l’a menacée d’une amende de 1500 $ et d’une peine de prison si elle «récidivait». Elle s’en est tirée finalement avec un avertissement, mais elle s’inquiète pour le climat tendu dans lequel la police évolue actuellement.
«Je sais qu’ils étaient stressés», a-t-elle admis en entrevue. «Mais ils n’avaient pas à se défouler sur moi.»
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Sachant que n’importe qui peut me dénoncer parce que j’ose rire et parler avec un voisin ou un ami, même en maintenant une distanciation sociale, ne m’apporte pas la sécurité, mais la méfiance et l’inconfort. On se sent épié.
Les délateurs et les policiers qui s’en prennent aux gens comme ceux que décrit l’article sont des misérables qui en veulent à ceux qui ne le sont pas. Pas des citoyens responsables. Sous un régime totalitaire, ce serait les mêmes qui enverraient le voisin qu’ils jalousent en prison. Je suis outrée que le gouvernement Legault ait accordé ce genre de pouvoirs à la police.
Les régimes autoritaires adorent utiliser la police pour tenir la population sous contrôle et c’est à peu près ce que fait le gouvernement Legault. Or la police n’a pas le droit d’imposer des amendes. Ils peuvent donner une contravention (un constat d’infraction) mais c’est aux tribunaux d’imposer des amendes si une personne est déclarée coupable.
J’ai travaillé plusieurs décennies dans le milieu de la « justice » et j’ai été témoin d’un nombre important d’abus de pouvoir de la part de policiers. La plupart agissent selon l’éthique et la loi mais certains aiment bien faire montre de leur pouvoir et il arrive qu’ils franchissent la ligne rouge. On en est rendu au Québec à avoir des policiers qui entrent dans des maisons sans mandat ou encore qui font des checkpoints sur les routes pour intercepter les gens. Ces agissements sont fort probablement illégaux car ils enfreignent les droits fondamentaux protégés par la charte des droits et libertés.
Quand on a des gouvernements qui deviennent fortement autoritaires, avec les meilleurs intentions du monde, on risque aussi les débordements du côté des policiers. Le gouvernement Legault est tombé dans ce piège et cela risque d’enclencher d’autres abus d’autorité envers les citoyens. On verra bien ce que les tribunaux vont en penser car il n’y a pas l’ombre d’un doute que ces agissements vont se retrouver devant les tribunaux.
Je ne vois pas pourquoi vous vous en prenez spécifiquement à monsieur Lehault quand on voit que tous les gouvernements, américains, européens et même asiatiques ont agi de la même façon. Je craindrais bien plus des gouvernements comme la Chine qui ont instauré la ¨traçage par téléphone ¨ aussi appelé ¨géolocalisation¨. Ça c’est un antécédent dangereux qui risque fort de demeurer, pour n’importe quelles et toutes les raisons.
Malgré quelques bévues, notre premier ministre a agi avec diligence et efficacité par rapport à bien d’autres chefs d’état (pensez seulement au fédéral).
Pour le reste, j’en arrive à peu près aux mêmes conclusions que vous dans mon autre article plus bas. Les tribunaux vont être engorgés pendant plusieurs mois suite à la COVID-19.
Au fond de moi, j’ai l’impression qu’après la crise de la COVID-19, bien des amendes et contraventions seront déclarées invalides et irrecevables pour simple raison d’entrave à la liberté personnelle de circuler et aussi pour excès de zèle policier.
Qu’une personne ne puisse pas aller d’une région à une autre ne prouve en rien qu’elle empêche la propagation de l’épidémie, quand les personnes ont appris les règles de base de la contamination.
La panique crée un manque de penser; penser nous fait éviter la panique.