« Des grosses boules et un p’tit cul ! »

Invités à décrire la fille idéale, des adolescents de 14 et 15 ans n’ont eu que ces mots. Est-ce parce que 40 % d’entre eux consomment de la pornographie en ligne ? Visite dans un monde de fantasmes. 

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Illustrations : Sébastien Thibault

Max avait 12 ans quand il a commencé à regarder de la por­nographie en ligne. Ni ses parents ni ses professeurs n’osaient répondre franchement à ses questions sur l’amour et la sexualité. L’adolescent de Québec a donc fait son éducation sexuelle en visitant des sites pour adultes, puis il a tenté de reproduire avec des filles ce qu’il y avait vu. « Je me suis beaucoup essayé. Des fois, ça marchait, des fois non », me raconte-t-il sans honte, assis dans la salle des profs d’une école secondaire de Québec, déserte en ce jour de congé scolaire.

Aujourd’hui âgé de 17 ans, le jeune homme à la dégaine de rappeur se désole de l’effet désastreux de cet univers sur les rapports amoureux des jeunes de sa génération. « On dirait que tout le monde pense juste au sexe, les gars comme les filles. Il n’y a plus vraiment d’amour… Juste du sexe. »

Dans le grand buffet du Web, l’univers du XXX est l’un des mieux garnis, et les jeunes ne se font pas prier pour s’y servir. La proportion d’élèves canadiens du secondaire qui cherchent activement de la pornographie en ligne est passée de 16 % en 2005 à 23 % en 2013, selon l’OSBL pancanadien Habilo­Médias. L’organisme, qui analyse les comportements à l’égard des nouvelles technologies, a sondé 5 436 élèves d’un bout à l’autre du pays pour mener sa grande enquête « Jeunes Canadiens dans un monde branché », dont le volet sur la sexualité et les relations amoureuses a été publié en mai dernier.

Les résultats : 40 % des garçons du secondaire ont admis avoir cherché de la pornographie en ligne, comparativement à 7 % des filles. Beaucoup en font une activité régulière : 14 % des garçons disent en visionner au moins une fois par jour, 14 % le font une ou plusieurs fois par semaine et 7 % une ou plusieurs fois par mois.

Ces images laissent des traces dans la tête des gars et dans leurs conversations. Cathy Tétreault, souriante blonde dans la quarantaine, directrice de l’organisme Centre Cyber-aide, à Québec, le constate lorsqu’elle se rend dans les écoles pour parler de cyberdépendance et d’hypersexualisation. En décembre dernier, elle a demandé à des garçons de 3e secondaire (âgés de 14 ou 15 ans) de lui parler sans censure de la fille idéale. Ils ont décrit le prototype de l’actrice porno, « une belle fille avec des grosses boules et un p’tit cul ».

Ce monde fantasmatique, où le condom brille par son absence, creuse un fossé entre les croyances des jeunes et la réalité. « Ils pen­sent, par exemple, que c’est une bonne idée d’avoir une relation anale pour éviter que la fille ne tombe enceinte ; mais ils oublient la transmission des maladies, dit Cathy Tétreault. Quand l’infirmière qui m’accompagnait leur a dit qu’il était normal que, la première fois, l’érection dure 30 secondes plutôt qu’une heure et que la fille n’allait probablement pas hurler de plaisir, nous avons entendu des rires nerveux dans la classe. Beaucoup semblaient soulagés. »

Certains garçons oseraient peut-être poser encore plus de questions si le sujet était abordé par de jeunes hommes, auxquels ils peuvent s’identifier, pense le sociologue Simon Louis Lajeunesse, de l’École de service social de l’Université de Montréal. Des hommes bien dans leur peau, qui pourraient aborder ces délicates questions de façon franche et non culpabilisante. « On ne peut pas empêcher les jeunes de voir de la pornographie, dit-il. Mais on peut les accompagner, pour les aider à distinguer le vrai du faux. »

Difficile de déterminer les conséquences dans la « vraie vie » des excursions numériques des adolescents sur ces sites explicites. « On dirait que les jeunes filles sont maintenant prêtes à tout pour plaire. Certaines accep­tent de faire des fellations même si elles n’en ont pas envie, d’autres envoient des photos d’elles nues, sans mesurer les conséquences de ce geste », s’inquiète Cathy Tétreault.

Contrairement à une idée répandue, l’âge du premier rapport sexuel n’a cependant pas diminué. La plus récente analyse de l’Institut de la statistique du Québec, publiée en juillet, révèle que seulement un jeune sur cinq a une première relation sexuelle avant l’âge de 15 ans, soit exactement la même proportion qu’il y a 10 ans.

Les activités à caractère sexuel exercées en groupe, telles que les concours de masturbation ou de fellation, ne seraient pour leur part pratiquées que par de 3 % à 6 % des jeunes, selon une étude de 2009 dirigée par Martin Blais, professeur de sexologie à l’Université du Québec à Montréal.

Pour connaître l’influence de la pornographie sur la vie sexuelle des jeunes hommes, rien de tel que de parler aux principaux intéressés, comme l’a fait le chercheur Simon Louis Lajeunesse dans le contexte d’une étude dont les résultats ont été publiés en 2013 dans la revue Sexologies. Il a recruté 20 étudiants universitaires, âgés de 18 à 25 ans, qui avaient tous régulièrement visionné du matériel pornographique dès le début de l’adolescence pour accompagner leurs moments de plaisir solitaire. Ceux qui avaient une conjointe en regardaient encore une ou deux fois par semaine, pendant environ 27 minutes par séance, toujours seuls. Chez les célibataires, c’était trois fois par semaine, pour une durée moyenne de 42 minutes chaque fois.

Lorsque le chercheur leur a demandé s’ils aimeraient être en couple avec l’une des bombes sexuelles admirées à l’écran, ils ont tous répondu non ! « Ils m’ont dit qu’ils ne pourraient pas la pré­senter à leur mère, s’amuse le chercheur. Cela montre l’impor­tance de la culture familiale, bien plus forte que l’influence de la porno. Tous ces jeunes hommes souhaitaient être fidèles et avoir des enfants ! »

Ils perçoivent ces images comme un moment d’évasion permettant de visualiser des fantasmes qu’ils n’ont pas forcément l’intention de réaliser.

La pornographie n’est pas pour autant inoffensive. « Le souci de la performance, très présent, trouve un écho chez les gars. Et ça, ça les fait souffrir », note Simon Louis Lajeunesse. La porno a un autre effet insidieux, tant chez les garçons que les filles : la valorisation extrême des stéréotypes. À ce chapitre, la pornographie gaie, peuplée d’hommes hyper-virils, n’est pas mieux que la porno hétéro, souligne le chercheur.

Mais un nouveau mouvement prend de l’ampleur au Québec, comme ailleurs dans le monde : de jeunes hommes décident de se sevrer de la porno. Ils estiment que consommer ces images jour après jour finit par instiller en eux des attentes irréalistes qui minent leurs relations amoureuses.

Le Royaume-Uni a opté pour la prévention et a pris les grands moyens pour que les adolescents cessent d’avoir accès au matériel explicite en ligne : depuis la fin de 2013, les principaux four­nisseurs Web doivent offrir un filtre qui bloque par défaut l’accès aux contenus pornographiques. Les clients d’âge majeur peuvent refuser ce service. La députée fédérale conservatrice Joy Smith, du Manitoba, songe à déposer un projet de loi pour que le Canada importe ce modèle.

Ces filtres présentent cependant un effet pervers : ils blo­quent parfois l’accès aux sites d’information sur la santé et la sexualité, dont les jeunes ont grandement besoin. Car les jeunes ont soif d’entendre parler non seulement de sexe, mais d’amour, de séduction, d’intimité, de désir et de pudeur, croit le sociologue de la sexualité Michel Dorais, auteur de l’essai La sexualité spectacle (VLB éditeur, 2011). « L’antidote à la porno n’est pas la censure, dit-il. C’est l’information. Plus les jeunes sont ignorants, plus ils sont vulnérables. »

Paroles de jeunes

Six jeunes de 14 à 23 ans, trois filles et trois garçons de différents quartiers de Québec. Je les ai rencontrés un jour de juin, grâce au coup de pouce de la directrice du Centre Cyber-aide, qui en croise beaucoup dans les écoles qu’elle visite pour parler de cyberdépendance et d’hypersexualisation. Ils m’ont fait part de leurs propres expériences et de ce qu’ils voyaient autour d’eux.

« La pire affaire que j’aie vue, c’était sur un site illégal. Un ami m’a dit : ça te tente-tu de voir l’affaire la plus bizarre que tu as vue de toute ta vie ? Pour moi, bizarre, ça ne veut pas dire sexuel, alors j’ai accepté… C’était un gars qui se rentrait un tournevis dans l’urètre, il tripait. Mon ami trouvait ça ben drôle, mais moi, j’ai vomi. »
– Garçon, 17 ans

« La première fois que j’ai vu de la porno, j’étais avec un de mes ex. J’avais 16 ans, c’est lui qui m’a fait regarder ça. Je n’étais vraiment pas à l’aise ! Il ne me demandait pas de faire ce qu’il y avait dans la vidéo, mais en même temps, je savais que c’était ça qu’il y avait dans sa tête. Pour les positions, il disait : “On ne peut pas faire celle-là, c’est trop plate et ça ressemble trop à ce que les adultes font.” »
– Fille, 19 ans

« On en regarde parfois en gang. On va chez un ami après l’école et on en visionne sur Internet. Moi, je n’en regarde pas vraiment tout seul. Les vrais contacts avec ma blonde, c’est plus agréable. Ça fait presque deux ans qu’on est ensemble et on a attendu plusieurs mois avant l’acte complet. On était d’accord sur le fait qu’il ne fallait pas sauter d’étape. »
– Garçon, 17 ans

« À l’école, les gars se disent sur quels sites ils vont et ils s’échangent les adresses. J’en connais un qui perd pas mal d’argent avec ça. Il y a une section payante sur les sites, cet ami est abonné et il paie chaque mois. Il a accès à la haute définition, à plus de catégories. »
– Garçon, 17 ans

« On n’essaie pas nécessairement de reproduire ce qu’on voit. J’ai déjà vu une vidéo où ils étaient trois ; je me suis déjà fait offrir de le faire à trois et j’ai dit non. »
– Garçon, 18 ans

« La première fois que j’ai vu de la porno, c’était vers 12 ans. Je n’ai jamais été accro. Quand je trouvais que j’y allais trop souvent, j’étais capable d’arrêter. Ça n’a pas été une addiction pantoute. »
– Garçon, 18 ans

(Tous les jeunes ont été rencontrés dans une école de Québec. Leur nom a été omis ou modifié pour préserver leur anonymat.)

Jeunes pornographes

Les parents doivent discuter avec leur ado non seulement de la pornographie que celui-ci pourrait voir… mais aussi de celle qu’il pourrait produire ! Au Canada, 15 % des élèves de 11e année (5e secondaire) disent avoir déjà envoyé un sexto, une image d’eux-mêmes dénudés, au moyen de leur téléphone cellulaire ; le quart d’entre eux affirment que la personne qui l’a reçu l’a retransmis par la suite.

En novembre 2013, 10 adolescents de Laval, âgés de 13 à 15 ans, ont été arrêtés et accusés de distribution de pornographie juvénile. Ils avaient demandé des sextos à des filles de leur école et échangé les photos obtenues.

La Chambre des communes s’apprête à adopter une loi sur la cybercriminalité qui rendra illégale la distribution d’images intimes sans le consentement de la personne filmée ou photographiée. La peine ira d’une amende jusqu’à un maximum de cinq ans de prison.

25 %

des ados francophones du Québec affirment chercher de la pornographie tous les jours ou toutes les semaines, comparativement à 12 % des adolescents du reste du Canada.

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Parler sexe à l’école

Il faut enseigner autre chose que la façon de mettre un condom sur un pénis en bois !

Depuis la réforme de l’éducation au secondaire, en 2005, les cours de formation personnelle et sociale, dans lesquels la sexualité était abordée, ont progressivement été abolis pour laisser plus de place aux matières de base, telles que le français et les maths.

L’éducation à la sexualité aurait dû dès lors reposer sur divers professionnels de l’école, principalement sur les enseignants d’éthique et culture religieuse et de sciences ainsi que sur les infirmières scolaires. « On souhaitait que tous les membres du personnel se sentent concernés, pour qu’ils puissent intervenir non seulement en classe, mais aussi à la cafétéria et dans la salle des casiers, s’ils sont témoins de gestes déplacés ou d’insultes à connotation sexuelle », dit Francine Duquet.

Professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, elle est la grande architecte de l’approche, qui devait être mise en place partout dans le réseau de l’éducation. Dans certains milieux, cela a fonctionné. Par exemple, des élèves traduisent avec leur professeur d’anglais les paroles de leur vidéoclip préféré, et réfléchissent ensuite aux stéréotypes que celui-ci véhicule en compagnie de leur prof d’éthique.

« Quand toute l’équipe de l’école collabore, on a une force de frappe vraiment intéressante », dit Francine Duquet, qui a formé quelque 3 000 membres du personnel scolaire à utiliser les outils didactiques d’« Oser être soi-même ».

La réforme reste toutefois inachevée… Selon un bilan effectué en 2013 par le ministère de l’Éducation, 6 écoles secondaires sur 10 offrent une éducation sexuelle digne de ce nom, portant sur au moins quatre grands thèmes, tels que les stéréotypes sexuels, les rapports égalitaires, l’image corporelle, la vie affective ou la santé sexuelle.

Ailleurs, on se contente d’aborder le minimum de sujets imposés par le Ministère — soit la puberté, la reproduction et la prévention des maladies transmissibles sexuellement — dans les cours de sciences de 2e secondaire. « On nous a montré comment mettre un condom sur un pénis en bois, c’est à peu près tout », dit Héloïse, aujourd’hui âgée de 19 ans.

Devant le déferlement des images auxquelles ils sont exposés, les jeunes ont pourtant plus de questions qu’auparavant. Les enseignants et infirmières scolaires sont parfois désarçonnés par les questions de jeunes de 11 ou 12 ans, qui se demandent s’ils doivent « éjaculer dans la face des filles ».

Le 18 septembre dernier, Cathy Tétreault, directrice du Centre Cyber-aide, a déposé à l’Assemblée nationale une pétition demandant au ministère de l’Éducation de remettre à l’horaire des cours d’éducation à la sexualité. Le ministre Yves Bolduc s’est dit ouvert à l’idée.

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Il est peut-être encore temps de retourner à notre ancien système d’éducation avec les améliorations ajustées pour les besoins d’aujourd’hui par des gens qui ont des valeurs et des connaissances approfondies em la matière.Les enfants c’est comme des arbres ,ils doivent être aidés et tuteurés au départ.À 17 ou 18 ans essaiyez de les redressir et vous allez constater que c’est 99% mission impossible.

Bonjour à toutes et à tous, ce sondage a été effectué auprès de 7 classes d’élèves de troisième secondaire par l’équipe du Centre Cyber-Aide. Son objectif était d’accéder au point de vue et au degré de conscience des adolescents relativement au phénomène de l’hypersexualisation. Au nombre plus exact de 134 jeunes, âgés de 14 à 17 ans ( 70 répondants sont de sexe féminin, alors que 64 sont de sexe masculin). Ce sondage terrain était dans l’objectif de répondre à l’inquiétude concernant l’hypersexualisation de la société, un tremplin vers la sexualité précoce et les agressions sexuelles chez les adolescents et la proximité avec les cyberprédateurs. Ce phénomène de société, largement inspiré par le monde de la pornographie, est fondamentalement sexiste. Il utilise habituellement le corps des femmes et des jeunes filles, quelques fois celui des hommes et des jeunes garçons. Il peut avoir des conséquences importantes, notamment sur les manières de penser et d’agir, sur la sexualité et sur les relations hommes-femmes.Concernant les réponses émises par les jeunes à ce questionnaire, il est possible d’y relever certains faits saillants. Tout d’abord, 28% des élèves ont affirmé n’avoir jamais entendu parler du phénomène de l’hypersexualisation. D’autre part, les filles expriment majoritairement que la beauté, selon elles, fait référence à de beaux yeux, une belle personnalité, un beau visage, prendre soin de soi, ou encore à un gars qui est grand, drôle et musclé. Les garçons, quant à eux, expriment que la beauté, pour eux, renvoie à un beau visage, au corps de la femme, ainsi qu’à une belle personnalité. De plus, certains garçons ont indiqué que les courbes et le style (habillement) d’une femme correspondent aussi à ce qu’ils définissent comme étant des éléments associés à la beauté. Notre invitation à parler librement était adressée à tous les jeunes mais seuls les garçons ont parlé avec un langage «direct»: grosses boules et petits culs. Nous ne voulons pas dépeindre les adolescents négativement, mais il est certain que nous devons développer le jugement critique des jeunes quant à l’hypersexualisation de l’espace public. Nous travaillons auprès des jeunes âgés de 9 à 17 ans en ce qui concerne l’utilisation inadéquate des technologies d’information et de communication via Internet. Plusieurs conséquences peuvent en découler: la cyberdépendance, la cybercriminalité (la cyberintimidation et la pornographie juvénile par le sexting). Oui c’est une responsabilité sociale, oui l’hypersexualisation de l’espace public a une responsabilité dans certaines problématiques. Oui les parents doivent s’impliquer à l’éducation de la sexualité chez leurs enfants mais pour plusieurs raisons plusieurs ne le font pas. Je suis aussi l’initiatrice de la pétition déposée le 18 septembre 2014. La Commission parlementaire m’a convoquée en Audition privée le 21 octobre 2014. Vous trouverez le court mémoire déposé sur le site de l’Assemblée Nationale. N’hésitez pas é m’écrire vos inquiétudes ou vos commentaires. Nous désirons que les parents soient les premiers avisés aux conséquences de l’utilisation inadéquate des TIC. « Nous ne diabolisons pas Internet. Nous ne combattons pas la vague des nouvelles technologies. Elles sont accessibles, c’est facile et agréable de naviguer sur le net. Toutefois, les risques qui y sont liés sont bien réels et doivent être connus. Nous voulons outiller les jeunes et les adultes pour que l’utilisation d’Internet demeure ludique et constructive. »
Cathy Tétreault, directrice générale Centre Cyber-aide.