Dessine-moi un suspect

Logiciels et techniques donnent un bon coup de pouce quand vient le temps de concocter des portraits-robots. Mais des études confirment qu’il faut aussi une touche d’humanité pour réveiller les sens et la mémoire des témoins.

Dessine-moi un suspect
Photo : J. V. Canto Roig/iStock

Ça commence toujours par un appel de son patron, à la Sûreté du Québec, qui lui demande d’aller rencontrer un témoin. Cette affaire, un matin d’octobre 2004, n’allait pas commencer autrement. Pénélope Deniger saute dans sa voiture en direction de Wentworth-Nord.

La veille, dans ce village des Laurentides, une femme dans la quarantaine a été témoin d’un meurtre. La mission de Pénélope Deniger : la faire parler, dans l’espoir de pouvoir tracer un portrait-robot du suspect.

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« L’idée est d’extirper les détails de la mémoire du témoin et de les reproduire le plus fidèlement possible », dit la portraitiste, âgée de 35 ans.

À la Sûreté du Québec, de 15 % à 20 % des 150 portraits que Pénélope Deniger dresse chaque année mènent à l’identification du suspect. C’est bien au-delà de la moyenne de 4 % obtenue avec des logiciels traditionnels comme celui qu’utilise la portraitiste, moyenne révélée par des chercheurs britanniques.

La mémoire, c’est connu, est une faculté qui oublie. Mais de récentes études ont mis en relief un autre facteur qui explique la difficulté d’identifier un criminel à partir d’un portrait-robot. Les techniques qui permettent de créer celui-ci reposent sur la description, par le témoin ou la victime, du visage trait par trait (cheveux, nez, menton, etc.).

Or, lorsque l’être humain voit un visage, il l’analyse de façon globale. D’où le peu de ressemblance des portraits-robots avec l’apparence réelle des suspects. Des psychologues ont récemment mis au point des logiciels qui exploitent l’analyse globale des visages, mais les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.

Alexandre Beaudoin, conseiller technique en identification judiciaire à la Sûreté du Québec, parcourt le monde pour se tenir à jour sur les tout derniers développements dans ce domaine. Oui, dit-il, la vision globale contribue à nous faire reconnaître un visage. Mais pour beaucoup de personnes, la vue d’un trait particulier permet de se rappeler un détail qui jouera un rôle important. « Pensez au gardien de but de la Ligue nationale de hockey Jaroslav Halák. Tout de suite, ce sont ses yeux marquants qui vous viennent à l’esprit. »

À la Sûreté du Québec, on est conscient des limites du portrait-robot. Pour les policiers, c’est d’ailleurs un outil comme un autre, « une aide à l’enquête », souligne Alexandre Beaudoin. N’empêche qu’on a investi gros dans les moyens informatiques, notamment dans la création d’une base de données, qui contient des milliers de photos de criminels et de parties de visages, que l’on met à jour régulièrement pour tenir compte des changements de la mode. Avec des résultats intéressants.

Environ trois dessins sur quatre exécutés par Pénélope Deniger ont un taux de ressemblance de 70 % avec le malfaiteur, ce qui est considéré comme très bon, dit-elle. Cela assure un pourcentage d’identification des suspects plus élevé que la moyenne.

La portraitiste utilise un logiciel complexe, qui lui permet de faire défiler devant le témoin des centaines de photos d’yeux, de nez, de cheveux, de bouches, de mâchoires. Puis, comme pour un casse-tête, elle reconstitue un visage avec les morceaux choisis.

La façon de faire de la Sûreté du Québec contribue beaucoup à la réussite du processus. Depuis quelques années, les témoins sont interrogés en deux temps. Ils passent d’abord une « entrevue cognitive », menée par des enquêteurs qui utilisent des polygraphes. Cette technique permet de réveiller les sens.

On installe le témoin dans un fauteuil confortable, dans une salle à la lumière tamisée. Ensuite, on lui demande de raconter son histoire du début à la fin. Ce n’est qu’après que la portraitiste entre en scène. « Ça remplace l’hypnose. Le témoin est alors beaucoup mieux disposé pour se dévoiler », dit le lieutenant Clermont Talbot, 50 ans.

Dans le dossier de Wentworth-Nord, les résultats ont été positifs. Pénélope Deniger a pu dessiner à l’ordinateur un portrait qui concordait à 80 % avec le visage du meurtrier. Et quelques semaines plus tard, les policiers ont pu identifier le coupable. L’homme a été jugé et con­damné à huit ans de prison.