Ceux qui voient l’avenir en gris vous le diront : pas facile de l’imaginer en Technicolor quand ce mode de fonctionnement n’a pas été fourni à la naissance. « J’y travaille », affirme, sourire en coin, le psychologue suisse Yves-Alexandre Thalmann, auteur de nombreux livres sur le bien-être et le bonheur, dont Devenir optimiste grâce à la psychologie narrative (Marabout, 2013). Une façon de dire que même les réalistico-pessimistes de son espèce peuvent y arriver… et que cette habileté doit être entretenue.

La génétique dicterait environ la moitié de cette attitude, selon les plus récentes études en psychologie. L’autre moitié viendrait de l’influence de notre entourage, des circonstances de la vie… et de notre propre manière d’interpréter les événements. « C’est une marge de manœuvre énorme ! » s’enthousiasme Marine Miglianico, cofondatrice de la Clinique de psychologie positive de Montréal. Née dans les années 1990 sous l’impulsion de l’ancien président de l’Association des psychologues des États-Unis Martin Seligman, la psychologie positive cherche à cerner les fondements du bien-être chez l’humain.
Contrairement à ce que prônent les apôtres de la pensée positive, une pseudo-science bien différente de la psychologie positive, il ne suffit pas de penser que tout ira bien pour que cela advienne comme par magie. L’actualité a demandé à trois psychologues cliniciens et à une professeure-chercheuse des trucs pour apprendre à retourner la médaille afin d’en voir le côté le plus étincelant.
Soumettre ses certitudes à l’épreuve des faits
Les pessimistes endurcis sont généralement convaincus que leur façon de voir est plus réaliste que celle des optimistes. La première étape consiste donc à prendre conscience que ces certitudes reposent souvent sur une interprétation des événements, souligne Yves-Alexandre Thalmann, psychologue clinicien et professeur de psychologie dans un collège de Fribourg. Un fait (ne pas avoir été invité à une réunion) devient le terreau d’une foule d’explications, plausibles (« on veut m’écarter du projet ») mais pas forcément fondées (la réunion portait sur un aspect qui ne nous concerne pas). « Cette histoire qu’on se raconte est susceptible d’être modifiée », dit le psychologue. S’efforcer de considérer l’éventail des possibilités aide à avoir un point de vue moins négatif, et il est préférable d’aller à la source pour connaître le fin mot de l’histoire, lorsque c’est faisable.
Entraîner ses perceptions
Là où un optimiste voit un problème particulier et temporaire (« mon discours n’était pas terrible parce que j’ai mal dormi »), le pessimiste voit un échec généralisé et durable (« je suis nul pour parler en public »). Martin Seligman a montré que nous pouvions nous entraîner à percevoir autrement les raisons de nos succès et de nos défaites. Le père de la psychologie positive a constaté autre chose : les optimistes s’attribuent volontiers le mérite de leur réussite, ce qui leur donne confiance en leurs capacités et en l’avenir. Alors que les pessimistes n’y voient souvent qu’une chance passagère. Ces derniers auraient avantage à se péter les bretelles !

Utiliser les parenthèses
Lors d’un coup dur, il peut être utile de se souvenir que la vie a déjà été plus sereine et que des jours meilleurs viendront. Marc-André Dufour, psychologue clinicien à Québec et auteur du livre Se donner le droit d’être malheureux (Trécarré, 2020), a cette jolie formule : « Mettre sa vie entre parenthèses. Comme en mathématiques, il faut résoudre la parenthèse avant de poursuivre le reste de l’équation. »
Agir sur son environnement immédiat
S’attaquer à de grandes causes (militer contre la guerre et les inégalités) est noble, mais peut engendrer un sentiment d’impuissance. Entreprendre des actions concrètes et aux effets mesurables autour de soi — comme être bénévole dans son quartier — aide alors à retrouver foi en l’humanité. « Il s’agit de se demander : “À mon échelle, qu’est-ce que je peux faire ?” » dit Marc-André Dufour. Cela contribue à donner un sens à sa vie, un des piliers du bonheur. L’engagement dans des initiatives et des relations qui ont un sens à nos yeux augmente le sentiment de bien-être et est corrélé avec l’optimisme, confirme la psychologue Marine Miglianico.
Pratiquer la gratitude… mais pas trop
L’humain s’habitue à ce qui va bien et n’y prête plus attention. « Cela s’appelle l’adaptation hédonique », précise Marine Miglianico. Noter le soir venu trois éléments positifs vécus dans la journée ramène ceux-ci à notre conscience. « Après un certain temps, on remarque pendant la journée ce qu’on souhaite noter le soir. Cet entraînement nous aide à porter notre regard sur ce qui va bien », ajoute la psychologue. L’exercice perd cependant en pertinence s’il se fait sur le pilote automatique. Fréquence idéale : deux fois par semaine, selon la chercheuse Sonja Lyubomirsky, qui a mené de nombreuses recherches dans le champ de la psychologie positive à l’Université de Californie à Riverside. Changer de thématique (travail, famille, monde) renouvelle aussi le processus.
Utiliser la visualisation… mais pas seulement
Imaginer que l’on est déjà la « meilleure version de soi-même » pour entrevoir la vie avec confiance, c’est bien. Mais les gens qui pratiquent de telles visualisations arrivent en général moins à atteindre leurs objectifs que ceux qui n’en font pas, a découvert la chercheuse Gabriele Oettingen, spécialiste de la motivation, rattachée aux universités de New York (NYU) et de Hambourg. À force de rejouer ce scénario mental, le cerveau croit en effet que le but est déjà atteint, explique Yves-Alexandre Thalmann. « Et la motivation à faire des efforts diminue », observe-t-il. Il est donc essentiel de penser aux obstacles qui se dresseront sur la route et d’établir un plan d’action.
Quand l’objectif est complexe, comme changer de boulot, on gagne à élaborer des plans A, B et C, souligne Joëlle Carpentier, professeure au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM et spécialiste de la psychologie positive. « En imaginant plusieurs chemins possibles, on garde espoir malgré les embûches. »

Admettre que la vie est tragique
Deuil, maladie, accident : nous finissons tous un jour ou l’autre par être frappés par le malheur. Le reconnaître d’emblée peut s’avérer un chemin vers la sérénité. Marc-André Dufour le constate souvent auprès de clients déprimés et pessimistes : inutile d’essayer de les convaincre que la vie est fantastique, ils n’y croient plus et tentent de vous prouver le contraire. Il leur parle alors de Viktor E. Frankl, un psychiatre autrichien enfermé trois ans dans un camp de concentration, qui a publié en 1946 le livre Découvrir un sens à sa vie. Cet homme a imaginé la notion d’« optimisme tragique ». Il s’est assuré de profiter au maximum des bons moments, aussi fugaces soient-ils, et des moindres parcelles de beauté — un oiseau, un ciel étoilé —, choses d’autant plus précieuses que notre temps sur terre est compté.
Cet article a été publié dans le numéro de décembre 2022 de L’actualité.