
Journée portes ouvertes dans une synagogue ultra-orthodoxe, entrevues accordées à des journaux de langue française, embauche d’un cabinet de relations publiques… Rien de bien étonnant pour le Québécois moyen. Mais pour les hassidim – « les pieux », en yiddish -, ça l’est !
Depuis sa fondation, au 18e siècle, en Europe, le mouvement hassidique veut célébrer Dieu dans la joie, les chants, les enfants. Ses adhérents se méfient de la modernité, tant idéologique que technologique. Ils aiment vivre entre eux, pour pratiquer leur mode de vie sans trop d’interférences avec le monde « moderne ». Pas de Star Académie ou de Loft Story dans leurs foyers. La télévision, avec ses images sexuelles, y est mal perçue. Tout comme l’égalité entre les hommes et les femmes, idée moderne s’il en est.
Mais tous les hommes en noir de Montréal ne se ressemblent pas. Le mouvement – entre 10 000 et 12 000 personnes au Québec – est fragmenté en plusieurs groupes, chacun dirigé par une figure charismatique, un rebbe. Chaque groupe porte le nom du village d’Europe d’où le fondateur est parti pour immigrer en Amérique après avoir survécu au génocide nazi.
Au Québec, il y a les Belz de la rue Hutchison, les Satmar de la rue Ducharme, les Ger, les Vizhnitz, les Breslov… Parfois aussi froids entre eux qu’avec les Tremblay du quartier.
Les Loubavitch de Snowdon – borsalino plutôt que chapeau de fourrure – sont les plus ouverts à la modernité. Les Tosh de Boisbriand, les plus banlieusards. Les 18 familles qui ont quitté la rue Jeanne-Mance dans les années 1960 pour s’y installer sont désormais plus de 250… familles ! Chacune ayant sept ou huit enfants, on bâtit bien des maisons.
Au cœur du quartier montréalais d’Outremont, c’est plus compliqué. Le projet de réfection (et d’agrandissement de 37 m2) d’un bâtiment centenaire, auquel les Belz voulaient ajouter un vestibule et des toilettes et dont ils souhaitaient approfondir la cave, aura tout de même eu l’effet positif de créer des passerelles.
Les Amis de la rue Hutchison – un groupe de discussion mixte qui inclut des hassidim et est animé par une Québécoise dont le père est palestinien – continueront de se réunir. Les Belz vont modifier leur concept.
Les plus éclairés des hassidim savent que pour mieux vivre au Québec, ils devront apprendre à interagir en français et s’adapter. Quelques groupes francisent d’ailleurs leurs écoles. Par exemple, celle de la rue Durocher, à Outremont, se conforme de plus en plus aux exigences du ministère de l’Éducation.
Trop peu d’hommes hassidim de Montréal parlent le français. Près de 30 % ont émigré, adultes, de Brooklyn. Les jeunes filles de Montréal – qui, elles, parlent le français – trouvent souvent mari à Brooklyn (dans la même communauté que la leur). Elles « importent » alors non seulement un époux anglophone, mais un New-Yorkais, avec son côté caustique et son manque de respect, parfois, des règlements municipaux… ou de la convivialité québécoise.
Mais les signes d’ouverture sont là. Il faut continuer.
Les opposants à la réfection de la synagogue ne sont pas des antisémites. Ce sont des voisins irrités, voulant s’assurer qu’ils auront encore une place, demain, dans ce quartier qui est aussi le leur.
Les uns et les autres ne se connaissent encore trop que par le seul miroir grossissant de leurs différences. À Outremont, des hassidim évitent de croiser les regards, par peur d’être rejetés (des décennies de rejet et un million de morts sous les nazis, ça laisse des traces). Leurs voisins, eux, ne savent pas toujours comment traverser le mur des longs manteaux.
Mais il le faudra bien. Les hassidim seront bientôt la force la plus importante du judaïsme québécois. La population juive non orthodoxe stagne, alors que celle des orthodoxes est en plein boum. Ces gens sont favorables à la laïcité de l’État. Leurs ancêtres ont trop connu ailleurs des États qui voulaient leur imposer une religion autre que la leur. Tablons là-dessus.