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L’ÉGALITÉ TU SANCTIFIERAS
Il appartient au pape de « créer » des cardinaux. En général, précise le droit canonique, il choisit des évêques « remarquables par leur doctrine, leurs mœurs, leur piété et leur prudence ». À quand une cardinale qui pourrait voter pour le pape et être elle-même candidate à la papauté ?
La question n’est pas si saugrenue. Le droit canonique prévoit qu’un cardinal soit un prêtre et, s’il n’est pas déjà évêque, qu’il le devienne. Mais il n’est pas interdit de penser que cet article puisse être modifié. Il pourrait stipuler qu’un cardinal n’est pas forcément un « presbytre » (prêtre), mais un « religieux », ce qui pourrait ouvrir la voie… à une religieuse.
Certes, cela ne serait pas facile. Mais cela poserait moins de difficultés que l’ordination d’une femme prêtre. « Le cardinalat ne relevant pas du droit divin, explique Gilles Routhier, professeur de théologie à l’Université Laval, il n’y a pas d’exigence théologique absolue pour qu’un cardinal soit prêtre, même si la longue tradition juridique en ce sens a du poids. »
Bien que ce soit faux, on répète que le Vatican procède à un examen minutieux de l’anatomie du cardinal que ses homologues ont désigné. On raconte (et on met en scène, notamment dans la série télévisée canadienne Les Borgia) que le futur pape doit s’asseoir cul nu sur une chaise percée. Après lui avoir palpé l’entrejambe, le diacre de service lance : « Duos habet et bene pendentes » (il en a deux, et bien pendantes).
Le Saint-Père qui ouvrirait les portes du Collège des cardinaux à une femme les aurait forcément bene pendentes ; il lui faudrait surtout une formidable colonne vertébrale.
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ROME TU ORGANISERAS
On peut comparer la curie romaine, chargée d’aider le pape dans sa gestion de l’Église, à un « gouvernement ». Sous la houlette d’un « premier ministre » (secrétaire d’État), elle com-porte neuf « ministères » (congré-ga-tions) et une quinzaine de conseils et commissions. Pour-tant, les évêques et cardinaux qui les chapeautent ne se réunissent que deux fois l’an ! Il n’existe aucun « conseil des ministres » où ils pour-raient, chaque semaine, confronter les points de vue.
Les « ministres » rencontrent le Saint-Père indivi-duel-lement. Seule une force de la nature peut enchaî-ner autant de réunions. « Le travail qu’on demande au pape est surhumain », dit Frédéric Mounier, cor-res-pondant à Rome du quotidien français La Croix. Un cardinal qui participera au conclave va plus loin : le pape, dit-il, est le « prisonnier » de la curie.
Le futur patron s’attaquera-t-il à une réforme administrative ? Aux yeux de nombreux cardinaux, elle s’impose, même si elle risque d’en indisposer plus d’un.
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LA VOIX TU HAUSSERAS
Le nouveau pape devra, à la manière d’un Jean-Paul II, savoir parler à la foule et à ceux qui la composent, ce qui suppose une bonne connaissance des médias. Il ne lui suffira pas, comme l’a fait Benoît XVI, d’ouvrir un compte Twitter. L’enjeu n’est pas technologique ; le futur souverain pontife devra retrouver une autorité morale qui chancelle parfois.
Le Vatican ne cesse de dénoncer – depuis la contraception jusqu’à la guerre en Irak -, mais avec quels résultats ? S’il veut participer à la « conversation », il devra répondre à une question fondamentale : le Saint-Père est-il là pour parler aux catholiques ou pour parler en leur nom, surtout de ceux, nombreux, qui n’ont pas voix au chapitre ? Est-il d’abord prophète ou missionnaire ?
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VERS LA CROIX DU SUD TU TE TOURNERAS
Il ne faut pas se laisser berner par l’apparente toute-puissance de l’Église en Améri-que latine : son influence recule – le mariage gai est désormais légal, tant à Mexico qu’à Buenos Aires – et elle subit les coups de butoir des évangélistes.
Le Brésil reste le plus grand pays catholique du monde, mais pour combien de temps ? De 2003 à 2009, le taux de la population catholique y est passé de 74 % à 68 %, selon une étude de la Fondation Getulio Vargas. Les Brésiliennes, mécontentes des positions de l’Église sur la contraception, le divorce et l’avortement, seraient les premières à claquer la porte.
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TES FRÈRES TU ACCUEILLERAS
En 2000, le cardinal Joseph Ratzinger déclarait que les Églises protestantes n’étaient pas « des Églises au sens propre », ce qui avait provoqué la colère des protestants. Cinq ans plus tard, après son accession à la papauté, Benoît XVI insistait sur l’unité des chrétiens. Le dialogue avec les Églises protestantes, toutefois, n’a que peu progressé. Un journal catholique a même parlé de « panne œcuménique ».
Le Vatican reprocherait-il à l’Église anglicane d’ordonner des prêtres gais et des femmes évê-ques ? Il s’est cependant montré ouvert aux ex-prêtres anglicans qui, pourtant mariés et avec enfants, ont pu devenir des prê-tres catholiques. (Le mariage des prêtres risque de vite revenir sur le tapis. Le cardinal britannique Keith O’Brien s’est récemment prononcé en sa faveur avant d’être accusé de harcèlement sexuel, ce qui a provoqué l’annulation de sa participation au conclave.)
Benoît XVI s’est rapproché des Russes orthodoxes et des Grecs orthodoxes, déclarant, à l’occasion d’une rencontre avec le patriarche de Constantinople, que catholiques et orthodoxes avaient « la même structure fondamentale ».
Les relations avec les autres grandes religions ont connu des hauts et des bas. Les juifs se sont émus de voir le pape réhabiliter, en 2007, une prière appelant à leur « conversion ». Les musulmans lui ont reproché, en 2006, son discours de Ratisbonne (Allemagne). Il avait cité un empereur byzantin du XVe siècle : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines… »
Cette intervention avait provoqué des émeutes dans le monde musulman, ce qui avait incité Benoît XVI à nuancer ses propos. Un forum permanent de dialogue catholico-musulman a ensuite vu le jour (en 2008). Les sujets qu’il peut aborder sont légion. Le Saint-Père a insisté sur l’importance des « droits inaliénables de l’homme et de la femme et de leur égale dignité ».
Difficile de ne pas faire un rapprochement avec une parabole : pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère (musulman) et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil (catholique) ? Le successeur de Benoît XVI devra se poser la question.
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L’IMPURETÉ TU REJETTERAS
Chargée du dialogue avec les intégristes catholiques, la Commission pontificale Ecclesia Dei cherche à attirer dans le giron de l’Église la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre. Les disciples de celui-ci ont, jusqu’à maintenant, rejeté les conditions du Saint-Siège, notam-ment la reconnaissance de Vatican II. Ces ultraconservateurs reprochent à ce concile (1962-1965) d’avoir, en modernisant l’Église, entraîné la chute des vocations.
Beaucoup de ces intégristes communient à l’autel de l’extrême droite. En 2008, Mgr Richard Williamson déclarait que des juifs n’étaient pas morts dans des chambres à gaz pendant la Shoah, propos qu’il a par la suite nuancés, mais n’a jamais rétractés. L’année suivante, le père Floriano Abrahamowicz reconnaissait qu’elles avaient existé, ajoutant toutefois : « pour désinfecter ».
Le dialogue avec les négationnistes contredit ce que l’Église a pu dire sur les juifs, comme étant, pour les catholiques, des « frères aînés ». Le futur pape devra décider s’il faut mettre un terme à cette comédie.
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TA MAISON TU OUVRIRAS
Depuis 1992, l’Organisation mondiale de la santé ne considère plus l’homosexualité comme une maladie. Toutefois, selon le catéchisme (« mode d’emploi » du catholicisme), l’homosexualité, « objectivement désordonnée », est une « épreuve » pour les gais, assimilés à des malades, que l’Église souhaite accueillir malgré tout.
Et si Rome, libre de refuser la science, relisait l’Ancien Testament ? Le Cantique des cantiques, poésie sensuelle, voire érotique, laisse à penser que la reproduction n’est pas l’unique finalité de la sexualité (comme le soutient le Saint-Siège) : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! Car ton amour vaut mieux que le vin. »
« Il devient urgent de permettre aux croyants – homosexuels ou non – de vivre sereinement leur sexualité, et d’offrir aux homos une Bonne Nouvelle [NDLR : Nouveau Testament] débar-rassée d’une doctrine aux relents homophobes », soutient David et Jonathan, un mouvement français d’homo-sexuels chrétiens.
Cela suffira-t-il à réconcilier le Vatican et les gais ? On peut en douter, surtout dans les pays où les homosexuels sont persécutés, notamment l’Ouganda, pays africain à majorité catholique. Dans le débat sur le projet de loi visant à durcir les peines contre l’homosexualité, les évêques ougandais ont tenu un discours ambigu. Mgr Cyprian Lwanga a dénoncé la peine de mort, prévue pour les homosexuels « récidivistes » (sic). Mais il s’est réjoui de voir le gouvernement « protéger la famille traditionnelle »… Sur la question de l’homophobie, le futur pape devra trancher : bénir ou châtier ?
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LES CRIMES TU DÉNONCERAS
Le cardinal Roger Mahony participera-t-il au conclave ? À par-tir des années 1980, lorsqu’il était archevêque de Los Angeles, il a protégé plus d’une centaine de prêtres pédophiles au lieu de remettre les présumés coupables à la justice. Même après que son diocèse eut versé 600 millions de dol-lars américains à plus de 500 victimes, en 2007, Mahony a tout fait pour mettre à l’abri leurs agresseurs.
L’affaire fait grand bruit en Californie. « L’Église ne doit plus se contenter d’excuses et doit expliquer pourquoi les prêtres qui ont abusé des enfants et leurs supérieurs hiérarchiques qui ont dissimulé la vérité n’en ont pas payé les conséquences », sou-tenait le Los Angeles Times dans un récent éditorial.
La Caramella Buona, une association de victimes de pédophilie en Italie, note que la hiérarchie béné-ficie encore d’un traitement de faveur : en 2011, lors-que le père Ruggero Conti, prêtre romain, a été con-damné dans une affaire de pédophilie à 15 ans de prison, son évêque et protecteur n’a pas été inquiété.
Quant à la présence de Roger Mahony au conclave, « le bon sens voudrait que le cardinal se tienne loin de Rome », selon Roberto Mirabile, pré-sident de La Caramella Buona.
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LES MÈRES TU HONORERAS
Au Vatican, l’ordination des femmes est un sujet tabou, mais pas chez les catholiques, où la question déclenche les passions. En 1987, Mgr Jean-Guy Hamelin, évêque de Rouyn-Noranda, appelait à une « pleine participation des femmes à la vie en Église ». Une décennie plus tard, des catholiques québécois signaient un « manifeste » dans lequel ils disaient leur « indignation » devant le refus de l’ordination des femmes.
Ce débat n’est pas nouveau. Au IVe siècle, le concile de Laodicée interdisait de donner des responsabilités aux femmes, ce qui autorise à penser qu’elles en avaient eu jusque-là. De nos jours, la hiérarchie catholique fait valoir que le Christ n’a pas choisi de femme comme apôtre ; le camp adverse, que des femmes faisaient partie de ses disciples, dont Marie et Marie-Madeleine (chargée d’annoncer la résurrection du Christ).
Le père Joseph Moingt, jésuite et théologien, écrivait dans un récent numéro de la revue Études : « Aucun principe d’exclusion ne peut être tiré des paroles ou exemples de Jésus. »
Si le futur pape ne s’engage pas dans un processus de réforme, de nouvelles ordinations « sauvages » sont à prévoir : on trouve déjà, en Allemagne, une évêque, laquelle a été excommuniée.
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L’ORIENT TU OBSERVERAS
La Chine aime tellement l’Église qu’elle en a deux : une Église officielle (Association patriotique des catholiques chinois) et une « souterraine », fidèle au Saint-Siège. Le Vatican entretient des rapports complexes avec Pékin. Il apprécie peu le fait que l’Église officielle ordonne des évêques. Sans parler des tracasseries administratives. Les évêques d’obéissance romaine, par exemple, ne sont pas toujours autorisés à participer aux synodes.
Tous reconnaissent cependant que les persécutions visant l’Église « souterraine » ne sont plus ce qu’elles étaient (quoiqu’une centaine de catholiques soient derrière les barreaux pour leurs croyances, selon Portes ouvertes, une ONG chrétienne).
Pékin espère que le futur pape « adoptera une attitude pragmatique créant les conditions d’une amélioration des relations bilatérales ». Ses vœux ont des chances d’être exaucés.