Au début de sa pratique il y a 15 ans, la neuropsychologue Marie-Josée Caron recevait peu de demandes d’évaluation du quotient intellectuel. Aujourd’hui, c’est courant que des parents, flanqués de leur héritier, viennent la consulter à sa clinique Neuropsy Enfant, à Montréal, pour obtenir la confirmation de ce qu’ils soupçonnent : leur enfant a des besoins particuliers en raison de son intelligence supérieure à la moyenne.
Certains veulent qu’il puisse fréquenter une classe pour surdoués. D’autres mettent sur le dos de cette grande intelligence les difficultés sociales et les problèmes de comportement de leur gamin, prompt à s’opposer à son professeur et à ses camarades. « La douance intellectuelle fait davantage l’objet de recherches, les médias en parlent plus et les gens consultent plus », constate Marie-Josée Caron.
La volonté de créer des classes pour enfants à haut potentiel intellectuel (HPI), annoncée en 2020 par le ministre de l’Éducation d’alors, Jean-François Roberge, alimente aussi la demande. Certaines écoles (le Ministère n’est pas en mesure de préciser combien) en ont ouvert et exigent un test d’intelligence pour qui voudrait les fréquenter.
Il n’y a pourtant pas plus de petits génies qu’avant. Et ils n’ont en général pas plus de problèmes que les autres, assure Mathieu Pilon, neuropsychologue et professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke, spécialiste de la douance.
Bien qu’un consensus ne soit pas acquis, la majorité des chercheurs s’entendent pour dire qu’un enfant doué présente un quotient intellectuel de 130 ou plus (la moyenne est de 100). C’est le cas de 2 % des enfants. Leur cerveau traite les données plus rapidement que celui des jeunes de leur âge, ce qui facilite leurs apprentissages. Ils comprennent vite, mémorisent les informations aisément et font plus de liens entre elles.
Quant aux enfants avec un très haut potentiel intellectuel (THPI), soit un QI de 145 ou plus, ils sont plus rares : 1 sur 1 000. « En général, leur avance sur les autres saute aux yeux, tellement elle est hors du commun », dit Marie-Josée Caron. Ils parlent très tôt, terminent leurs travaux encore plus vite que les « bollés » et s’ennuient devant l’insuffisance de la stimulation en classe. La solution consiste souvent à trouver une école offrant un programme enrichi ou à faire sauter un niveau, parfois deux.
Le TDAH et les troubles d’apprentissage ont la même prévalence chez les doués que dans le reste de la population.
La suggestion de sauter un niveau vient d’ailleurs presque toujours de l’enseignant, bien placé pour voir que l’enfant a une sacrée longueur d’avance sur ses copains. « La plupart du temps, le professeur a raison », affirme la neuropsychologue. Cette dernière doit alors évaluer le quotient intellectuel du jeune, mais aussi sa maturité affective et ses acquis scolaires, pour confirmer que c’est la chose à faire.
Une évaluation complète totalise habituellement six heures, morcelées en deux ou trois rencontres, et coûte de 2 000 à 2 500 dollars en moyenne. Sauf exception, ce type d’évaluation n’est accessible que dans le privé.
Un autre genre de clientèle vient cogner à la porte des neuropsychologues depuis quelques années : des parents dépassés par les difficultés de leur enfant et qui croient que sa grande intelligence est peut-être en cause. Une croyance alimentée en partie par les premières recherches sur la douance, un domaine encore relativement récent.
S’il est vrai que les jeunes avec un THPI se sentent en décalage par rapport à leurs amis, la majorité de ceux avec un quotient entre 130 et 145 « fonctionnent bien au quotidien, explique Mathieu Pilon, alors on ne les verra jamais dans le bureau d’un psychologue ». Ils se développent correctement, réussissent en classe et se font des amis sans difficulté, aidés par leur habileté à décoder les interactions sociales. Curieux, ils trouvent des sources de stimulation en dehors de l’école et, si cette dernière répond minimalement à leurs attentes, ils s’y adaptent assez facilement.
A contrario, ceux qui consultent ont souvent un autre problème, comme de l’anxiété, de l’hyperactivité, un trouble de l’opposition, etc. C’est cette sous-population que les chercheurs ont d’abord étudiée, et ils ont fini par croire que la douance venait toujours avec des défis… Avant de comprendre, dans la dernière décennie, qu’une grande partie de la population douée intellectuellement leur échappait, car elle ne consultait pas.
Entre-temps, de nombreux mythes ont commencé à circuler. Selon ces croyances, ces enfants seraient hypersensibles, auraient de la difficulté à gérer leurs émotions et leurs relations avec leurs pairs. Ils seraient provocateurs et sujets à l’échec scolaire en raison de leur ennui et de leur perte de motivation. Bref, la douance a fini par être synonyme de troubles de l’adaptation.
Or, ces problèmes ne sont pas liés à la douance elle-même. « Cela ne fait pas si longtemps que la communauté scientifique a compris qu’un enfant pouvait avoir à la fois une douance et un trouble neurodéveloppemental ou affectif », dit Marie-Josée Caron. Ils ont même trouvé un nom pour cet état : la double exceptionnalité.
Ces jeunes doublement spéciaux vivent avec de grandes forces et de grandes faiblesses, comme elle l’explique dans un livre destiné aux parents, 10 questions sur… La douance et la double exceptionnalité chez l’enfant et l’adolescent (Éditions Midi Trente, 2021). Ils ont donc besoin que l’école les soutienne en leur offrant les services d’un psychoéducateur, d’une orthopédagogue ou d’un autre spécialiste, selon le problème rencontré, tout en misant sur leurs forces.
Mathieu Pilon le confirme : le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) a la même prévalence chez les doués que dans le reste de la population. Les troubles d’apprentissage aussi ; un enfant peut à la fois avoir un gros QI et être dyslexique ou dysorthographique.
Si certains de ces troubles sont détectés dès le début du primaire, d’autres peuvent passer sous le radar pendant longtemps. C’est le cas du déficit de l’attention sans hyperactivité. « Ces jeunes finissent par consulter quand leurs ressources intellectuelles ne leur permettent plus de compenser leurs difficultés à se concentrer et à s’organiser », souligne Mathieu Pilon, ce qui survient la plupart du temps lors du passage au secondaire. Et c’est généralement plus long pour les filles (qui peuvent souffrir en silence d’anxiété et de dépression) que pour les garçons (qui exprimeront plus souvent leur désarroi par des troubles du comportement). Un parent qui constate que son enfant éprouve des difficultés a tout intérêt à consulter un psychologue ou un neuropsychologue, conseille le professeur.
Mathieu Pilon mène un projet de recherche auprès de jeunes de 6 à 16 ans aux profils différents. Des résultats préliminaires indiquent que ceux qui ont un TDAH et une douance ne présentent pas plus de problèmes associés (comme un trouble de l’opposition ou de l’anxiété) que ceux qui ont seulement un TDAH. Mais ils ont des besoins, que leurs parents peinent parfois à reconnaître. Un volet de l’étude portera d’ailleurs sur le stress vécu par les parents de ces enfants doublement exceptionnels.
« On gagnerait à mieux former les professeurs et les intervenants scolaires pour qu’ils se sentent outillés afin de répondre aux besoins de ces enfants », dit Mathieu Pilon.
Une consœur, Line Massé, professeure au Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, a justement créé un MOOC (cours en ligne ouvert aux masses) gratuit sur ce sujet, destiné au milieu scolaire et aux parents.
Selon Mathieu Pilon, le Québec est en retard comparativement à l’Ontario et aux États-Unis en matière de services offerts aux enfants doués ou doublement exceptionnels. « Mais c’est en train de changer », se réjouit-il. À preuve, l’intérêt grandissant pour la douance.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2023 de L’actualité.
NA
Article intéressent, HPI associé adjoint autre troubles… mais volontairement on évite d’y inclure leTSA , pourquoi ? On sait que les autiste certain du moins ont une douance … mais silence radio … très déçu, on manque une belle opportunité ici de rendre ses lettres de noblesses au autistes
J’ai hâte qu’on parle des enfants qui sont particulièrement doués pour les relations humaines, qui ont plus d’empathie que les autres, qui sont talentueux créativement, et/ou qui ont une intelligence émotionnelle importante. Peut-être qu’en les valorisant, nous aurions une société plus égalitaire (moins compétitive) et plus créative et stimulante pour l’être humain dans son ensemble.