Le regard nostalgique, Stéphane Bertrand touche une de ses tomates comme si c’était la dernière fois. « Dans quelques mois, tout ça sera du cannabis », lance-t-il au milieu d’une de ses immenses serres, à Mirabel, où il cultive le fruit rouge depuis 27 ans.
Le propriétaire des Serres Bertrand, plus grand producteur de tomates roses en Amérique du Nord, en a surpris plus d’un en décembre dernier. En conférence de presse, il annonçait son association avec le géant ontarien Canopy Growth pour faire pousser 60 000 kilos de marijuana par année dans ses serres.
Situé à Smiths Falls, en Ontario, Canopy Growth fournit le marché médical depuis 2014 avec des installations réparties dans sept provinces, dont le Québec, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan.
Les Serres Vert Cannabis, nouveau nom de la coentreprise, prévoient recevoir un permis de production du ministère de la Santé du Canada d’ici avril, mais elles ont déjà commencé à adapter les lieux pour recevoir les plants de marijuana. Dans la moitié des serres, on ne voit plus aucune trace de tomates. C’est la grande opération nettoyage.
Jusqu’à présent, Santé Canada n’a accordé que six permis de production au Québec, comparativement à 48 en Ontario. Le fait que les Québécois soient les moins favorables à la légalisation du cannabis au pays est l’une des raisons évoquées pour ce retard, tout comme les démarches laborieuses auprès de l’État, qui prennent généralement plusieurs années.
Devant ce manque de producteurs homologués, beaucoup craignent que le Québec ne fume de l’herbe venue d’ailleurs lorsqu’elle sera légalisée à des fins récréatives, en juillet prochain.

Les Serres Vert Cannabis veulent apaiser les inquiétudes. L’entreprise prédit qu’avec ses 700 000 pi2 de serres, elle pourra répondre à 40 % de la demande québécoise.
Stéphane Bertrand et Adam Greenblatt, gestionnaire de la marque Canopy Growth au Québec, m’accueillent dans les serres à Mirabel — où la chaleur tropicale tranche avec la température glaciale extérieure — pour parler tomates, pot, ainsi que de la place du Québec dans un marché évalué à six milliards de dollars par année au Canada.
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Quelle a été votre réaction quand Canopy Growth vous a contacté pour la toute première fois ?
Stéphane Bertrand : Je n’ai pas été gêné de ça [Rire]. J’ai plutôt été à l’écoute. Il y avait des réticences au début, c’est normal. Mais quand je suis allé visiter leurs installations, j’ai vu leur sérieux et leurs besoins. C’est vraiment un laboratoire que je suis allé voir. Tout ce qu’ils font dans le marché médical en ce moment, c’est ce qui m’a plu.

Pourquoi passer des tomates au cannabis ?
Stéphane B. : Il y a beaucoup plus de responsabilités à faire pousser du cannabis. Je vais avoir de meilleurs emplois. Les apports sur le marché sont aussi beaucoup plus importants que pour les tomates. En tant qu’homme d’affaires, c’est ce que je vois. Il y a plus de volume à aller chercher.
Adam Greenblatt : Plusieurs personnes nous ont demandé pourquoi nous ne cultiverions pas à la fois des tomates et du cannabis. C’est à cause de la rigueur du contrôle de la qualité du cannabis qu’on ne doit pas mélanger les deux. C’est plus logique de consacrer cette serre à 100 % au cannabis. Les Serres Bertrand vont continuer de cultiver des tomates roses dans la serre située à Lanoraie [dans Lanaudière].
Est-ce que ça allait mal dans le secteur des tomates ?
Stéphane B. : Non, pas du tout. Je n’ai jamais eu l’intention de faire pousser du cannabis. J’ai été recruté par Canopy Growth pour mes qualités de producteur. C’est ça, la game. C’est aussi pour la pérennité de l’entreprise. Le salaire minimum, c’était une inquiétude pour moi. S’il monte à 15 dollars demain, ça se peut que je ne passe pas au travers.
À quel point le cannabis est-il plus payant ?
Stéphane B. : Le chiffre d’affaires actuel est de 10 millions par année. Et on vise 100 millions dès l’année prochaine.
Adam G. : C’est donc 10 fois plus payant. Facilement. Mais les normes de salubrité sont très différentes. Les tomates, tu les récoltes, tu peux les laver sous l’eau. Le cannabis, c’est une fleur. C’est délicat, super-collant. Les microbes peuvent se coller sur la plante, et tu ne peux pas seulement la rincer. Pour assurer sa salubrité, ça exige beaucoup de finesse et de main-d’œuvre.
Comment transforme-t-on des serres de tomates en serres de cannabis ?
Stéphane B. : Là, on est à l’étape d’installer des clôtures et des caméras. Santé Canada l’exige par mesure de sécurité.
Adam G : On investit 15 millions pour adapter les serres. Il faut construire des laboratoires qui vont servir à faire des analyses de produits, et des séchoirs. Les fleurs de cannabis doivent être séchées. Il faut pouvoir assurer l’entreposage, aussi. Ça reste à déterminer, mais il nous faudra de la technologie pour faire de l’extraction, des produits dérivés, de l’emballage. Le produit final est plus délicat. On ne parle pas de mettre une douzaine de tomates dans une boîte. Ce sont de petites fleurs dans de petits pots.
Le cannabidiol (CBD), c’est le prochain Tylenol.
L’avenir est-il aux produits dérivés ?
Adam G : Oh oui. Plus de 50 % du marché est consacré aux produits dérivés dans les endroits où le cannabis est légal. Les gens fument de moins en moins de cocottes de marijuana. Ils consomment des vaporisateurs, des concentrés, des résines, des produits comestibles, des gélules, des timbres transdermiques. Toute la nourriture qui contient de la marijuana sera autorisée la deuxième année de la légalisation : les boissons, les biscuits, les beignes, les salades… Ça s’en vient.
Monsieur Bertrand, vous cultivez un fruit, symbole de la santé. Le délaisser pour ce type de produits a-t-il fait partie de votre réflexion ?
Stéphane B. : Non. Le défi était de faire un produit haut de gamme. C’est plus ça qui m’a appelé.
Adam G. : C’est un produit thérapeutique. Oui, les tomates, c’est un aliment. Mais quelle est sa valeur dans la réduction de la douleur ? Dans l’amélioration de la qualité de vie d’une personne malade ? Le cannabidiol (CBD) [NDLR : un ingrédient dans le cannabis exempt des propriétés psychoactives de son cousin le THC], c’est le prochain Tylenol. Pour moi, ça a plus de valeur qu’un fruit.
Certains producteurs attendent depuis des années leur permis de Santé Canada. Le processus est-il si compliqué ?
Adam G. : Il faut que ce soit un peu compliqué. Ça demande une certaine rigueur pour être dans l’industrie du cannabis. Mais ça ne veut pas dire que les gens sont exclus. Un des plus grands obstacles, ce sont les mesures de sécurité imposées aux producteurs par Santé Canada. C’est ce qui était le plus critiqué, parce que c’est très coûteux pour les start-ups. Santé Canada est en accord avec ce point de vue, et vient tout juste d’assouplir ses directives pour faciliter l’entrée des nouveaux acteurs.
Canopy Growth a-t-il d’autres emplacements québécois en vue ?
Adam G. : Nos yeux sont toujours ouverts ici.
Qu’est-ce qui est intéressant au Québec ?
Adam G. : Dans cette coentreprise, les serres existaient, l’infrastructure était là. En matière d’investissement, on ne doit pas verser des centaines de millions pour construire [de nouvelles serres].
Le Québec, comme marché, est intéressant. Il représente 25 % de la population.
C’est un partenaire ontarien, mais c’est une entreprise québécoise.
Il y a aussi les tarifs d’électricité qui sont plus bas qu’ailleurs.
Adam G. : Oui. Pour tous ces facteurs. Pour encourager la transition des consommateurs qui s’approvisionnent actuellement dans le marché illicite au Québec, il va falloir de la production québécoise. Un marché vif, responsable et local. C’est très important en tant que participant dans le marché québécois d’avoir un produit qui vient d’ici.
C’est néanmoins une entreprise ontarienne qui devient l’actionnaire majoritaire des Serres Vert Cannabis.
Stéphane B. : C’est un partenaire ontarien, mais c’est une entreprise québécoise.
Avec seulement six producteurs homologués, beaucoup craignent que le cannabis ne soit pas produit localement. Qu’en pensez-vous ?
Adam G. : C’est exagéré pour plusieurs raisons. La culture de cannabis à des fins récréatives n’est pas encore légale. De plus, l’efficacité de Santé Canada à accorder des permis augmente. Le Ministère a beaucoup appris en inspectant les lieux de production de Canopy Growth depuis quatre ans. Santé Canada veut aussi créer une classe de microcultivateurs dans le cannabis récréatif. Il y a de la place pour des acteurs plus grands et pour les petits.
Qui sont les producteurs homologués au Québec ?
Avec seulement 4 000 pi2 exploitables au départ, Agri-Médic ASP, à Laval, souhaite offrir un produit « purement québécois ». La marque « Québec Gold Marijuana », le nom d’une célèbre souche de cannabis sur le marché noir, a même été déposée par son propriétaire, Stéphane Papineau. Il a reçu son permis de Santé Canada en décembre dernier, après un peu plus de quatre ans d’attente.
Il ne faut pas se leurrer. Si la légalisation se fait le 1er juillet, on va avoir 95 % du pot qui va venir de l’Ouest. Peut-être 5 % du Québec.
Le propriétaire d’Agro-Biotech, Yan Dignard, a aussi attendu quatre ans avant de mettre la main sur son permis de production. Celui qui est fabricant de fertilisants depuis plusieurs années compte commencer sa production en mars dans son bâtiment de 75 000 pi2 sur la Rive-Nord (Montréal).

Hydropothicaire, à Gatineau, se spécialise dans la marijuana à des fins médicales depuis 2014.Elle a décroché la plus grande part de l’entente avec la SAQ: elle lui fournira 20 000 kilos la première année. L’entreprise cotée en Bourse, qui embauche 100 personnes, souhaite agrandir ses installations à 1,3 million de pieds carrés.
De son côté, Canopy Growth fournira 12 000 kilos à la société d’État.
IsoCanMed a construit une usine de 65 000 pi2 à Louiseville, dans la MRC de Maskinongé. En 2016, le maire de la ville, Yvon Deshaies, avait ouvertement manifesté son intérêt pour accueillir un lieu de production de cannabis thérapeutique dans sa municipalité afin de faire mousser l’économie régionale. Une sortie publique qui a poussé IsoCanMed à cibler Louiseville pour démarrer son projet.
Le Québec est un bon endroit pour investir, avec une main-d’œuvre qualifiée et éduquée, et des coûts d’électricité plus bas qu’ailleurs.
Aurora Cannabis a conclu une entente de 5000 kilos avec la SAQ. Elle fait partie des grands acteurs du cannabis médical au pays. Au Québec, l’entreprise albertaine possède des lieux de production à Pointe-Claire et à Lachute. Elle prévoit bâtir de nouvelles installations à Valleyfield cette année.
Vert Cannabis, à Saint-Lucien, près de Drummondville, appartient à Canopy Growth. Les plants de cannabis de cet emplacement de 7 000 pi2 serviront d’ailleurs à produire les bébés plantes des Serres Vert Cannabis.
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