L’éducation coûte cher aux Québécois, 21 milliards de dollars par an, ce qui en fait le deuxième poste de dépenses de l’État après la santé. Or, ce système peine à atteindre sa propre cible : un élève sur quatre n’obtient pas son diplôme d’études secondaires en sept ans ou moins, alors que Québec vise un sur cinq.
De nombreux chantiers attendent le prochain gouvernement en matière d’éducation. Deux devraient être priorisés, selon bien des experts, puisqu’ils apporteraient des changements majeurs à court et à moyen terme : la démocratisation des programmes particuliers et l’« enseignement efficace ». Dans les centres de services scolaires (CSS) et les écoles qui ont déjà pris ce virage, les résultats confirment que ce sont là des pistes prometteuses pour améliorer la réussite et faire baisser les taux de décrochage.
Depuis 1986, une panoplie de programmes particuliers — sport-études, programme international, robotique, alouette ! — ont été créés dans le secteur public pour concurrencer les écoles privées. Des programmes réservés aux bons élèves, dont les parents ont les moyens d’acquitter la facture. Cela a entraîné une école à trois vitesses, la plus inégalitaire au pays, selon un rapport du Conseil supérieur de l’éducation (CSE), publié en 2016. « C’est un risque qu’on avait soulevé dès 2007 », explique la psychopédagogue Monique Brodeur, présidente du Conseil et ancienne doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM. « Nous prônons l’accessibilité à tous les programmes particuliers depuis cette année-là », ajoute-t-elle. Le manque de mixité, toujours selon le rapport du CSE, aggrave les taux de décrochage très élevés des élèves du programme normal, en plus de créer des tensions au sein du corps enseignant.
« Le système a perdu de vue ses idéaux d’équité, de justice et d’égalité », affirme Claude Lessard, sociologue de l’éducation maintenant retraité. Cet ancien président du Conseil supérieur de l’éducation est actuellement président du conseil d’administration de l’École ensemble, un organisme voué à l’élimination de la ségrégation scolaire, sauce québécoise. Stéphane Vigneault, coordonnateur de l’organisme, estime qu’« il faut rétablir au secondaire la même mixité qui existe au primaire ».
Les experts sont d’accord : pour arriver à démocratiser les programmes particuliers, on doit systématiser l’enseignement efficace, qui devrait de toute façon être implanté partout, puisqu’il apporte de nombreux bénéfices.
Le point de rencontre de ces deux grands remèdes à l’échec s’observe à Princeville, ville de 6 500 habitants à l’est de Drummondville. En 2013, Liette Provencher, alors directrice de l’école secondaire Sainte-Marie, y a mis sur pied 11 programmes particuliers (aujourd’hui 15) — harmonie, basketball, anglais, informatique, santé globale, sciences, etc. —, auxquels l’ensemble des enfants ont accès selon leurs goûts, leur intérêt et les places disponibles, peu importe leurs notes. Et ce, sans que les parents aient à dépenser plus de 250 dollars chaque fois, les frais s’élevant souvent à beaucoup moins.
« On n’améliorera pas les taux de réussite et la persévérance scolaire sans créer une école motivante pour tous », croit Liette Provencher, aujourd’hui retraitée. Tous les profs de Sainte-Marie ont adopté l’enseignement dit « efficace », qui, en gros, utilise les évaluations non seulement pour noter les élèves, mais aussi pour savoir ce qui cloche dans la classe et ce qu’ils doivent enseigner autrement.
L’enseignement efficace, c’est le fruit du travail de chercheurs en pédagogie, dans les pays anglophones d’abord, puis ailleurs, qui ont établi ce qui marche réellement en se basant sur des données probantes, selon des protocoles de recherche sur de grands groupes, comme on en voit en médecine et en psychologie. Par exemple, concernant la question des devoirs au primaire, les études sont formelles : c’est inutile, et ça peut même nuire. Ce qui donne de bons résultats, c’est un enseignement directif, basé sur la lecture, où l’enseignant profite d’une formation continue et assure une rétroaction constante avec sa classe.
« Un système organisé autour de l’enseignement efficace peut faire mentir tous les déterminants socioéconomiques », dit Dominic Bertrand, directeur général du CSS Marguerite-Bourgeoys, à Montréal. Avec 70 500 élèves dans 102 établissements, le deuxième CSS en importance au Québec affichait un taux de diplomation de 88,2 % en 2020, soit un peu plus de 13 points de mieux que la moyenne des écoles publiques francophones du Québec !
« L’éducation ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des enseignants. Il faut que toute la machine y adhère et collabore », précise Linda St-Pierre, PDG du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), un OSBL voué à l’innovation pédagogique qui décortique depuis des années les principes de l’enseignement efficace.
À Princeville, même si le temps consacré aux matières de base a été amputé de 15 minutes par période pour faire de la place aux programmes particuliers, le taux d’échec aux examens ministériels est passé de 27 % à 8 % de 2014 à 2018, et l’établissement a progressé de 155 places pendant la même période au palmarès des écoles de l’Institut Fraser. « Les élèves ne revenaient pas en après-midi. Maintenant, ils restent », raconte Liette Provencher. L’ambiance s’en trouve aussi améliorée. « Chaque élève appartient à deux groupes : sa classe d’apprentissage et sa classe de profil. Ça crée une vraie mixité et un sentiment d’appartenance beaucoup plus fort. »
L’école secondaire La Ruche, à Magog, qui accueille 1 700 élèves, a entrepris la même démarche en 2014. Elle offre un choix de 15 « concentrations » à tous ses élèves du premier cycle. Son directeur général, Martin Riendeau, insiste sur le fait que cette école est réellement le point de rencontre de l’enseignement efficace et de la mixité. « Les deux vont de pair. »
Consacrer moins de temps aux élèves qui n’ont pas de problèmes permet d’offrir plus d’attention à ceux qui en ont. « Un élève qui éprouve des difficultés en maths va finir par travailler plus qu’au programme normal », dit Michel Grandmaison, professeur d’éducation physique et responsable de la concentration basketball-multisport. Le rattrapage se fait en partie sur le temps de leur concentration, alors les élèves s’investissent plus pour se mettre à niveau et retourner à ce qu’ils aiment aussi vite que possible.
Cette année, des élèves ont réalisé des publicités vidéos pour les commerces de la ville. « Même ceux qui ont des difficultés scolaires peuvent vivre une réussite, et ça, c’est très important », affirme David Hinse, enseignant d’univers social et responsable de la concentration production vidéo.
Alors qu’il y a 10 ans, de 35 % à 40 % des élèves du territoire de La Ruche fréquentaient les écoles privées de Stanstead et de Sherbrooke, ce chiffre a fondu à 15 %. Les trois autres écoles secondaires du CSS des Sommets ont repris la formule. Et La Ruche l’étendra à la 3e secondaire à la prochaine rentrée, puis aux niveaux 4 et 5 en 2024, espère-t-on.
Le CSS des Chênes, à Drummondville, va implanter l’approche de Liette Provencher pour l’ensemble des 6 000 élèves de ses cinq écoles secondaires en 2024. « La mixité, on l’a déjà au primaire, je ne vois pas pourquoi ça ne se ferait pas au secondaire, dit Lucien Maltais, directeur général du CSS. Ce n’est pas normal qu’on choisisse des élèves en musique sur la base des notes ou des moyens de leurs parents. Dans la vraie vie, ce n’est pas ça qui fait un musicien. »
La démocratisation des programmes particuliers et l’enseignement efficace, « c’est l’approche gagnante », juge Catherine Haeck, économiste de l’éducation à l’UQAM. « L’enseignement efficace permet de faire beaucoup sans augmenter nécessairement les ressources et les moyens. Et je vois également de très grands bénéfices éthiques à la démocratisation des programmes particuliers. »
Cet article a été publié dans le numéro d’octobre 2022 de L’actualité.
Voulez-vous dire que les élèves qui participent à ces programmes savent lire, écrire sans fautes, et compter à la fin de leurs études?
Correction:
Au centre de service scolaire des chênes, pour le programme de musique, ce ne sont pas les résultats scolaires qu’on regarde pour accepter les élèves. C’est une audition qui regarde l’intérêt du jeune.