La méfiance est toujours de mise quand un incident incroyable est rapporté sur les réseaux sociaux. J’ai donc d’abord douté quand j’ai appris que des écolières étaient sciemment intoxiquées en Iran. Comment un geste aussi pervers pouvait-il être vrai ?
Les témoignages se sont multipliés, puis le gouvernement iranien a lui-même reconnu les faits. Selon des données officielles, plus de 5 000 élèves d’écoles de niveau primaire et secondaire ont été empoisonnées depuis novembre un peu partout au pays.
Sur les vidéos qui circulent, on voit leurs malaises, leurs nausées, leur difficulté à respirer, victimes, semble-t-il, de bombes contenant un gaz non identifié à ce jour, lancées dans les cours d’école. Quelque 230 établissements ont été touchés, disent les autorités.
Le président iranien, Ebrahim Raïssi, a enfin ordonné une enquête la semaine dernière. Elle a mené à de premières arrestations ce mardi, mais sans autres précisions. D’autres empoisonnements ont d’ailleurs eu lieu le même jour à Téhéran.
En dépit de la condamnation de ces attaques lundi par l’ayatollah Ali Khameini, guide suprême de la République islamique d’Iran, la suspicion règne dans la population. Ces intoxications se glissent bien dans l’arsenal déployé par les autorités pour casser la révolte en cours depuis septembre.
Rappelons-nous, la mort de la jeune Mahsa Amini, tombée sous les coups de la police parce que son voile était mal ajusté, avait aussitôt entraîné des manifestations monstres, lancées par des Iraniennes en colère. Rapidement, des adolescentes s’étaient jointes aux protestataires, prenant même à partie la direction de leurs établissements scolaires. Beaucoup croient maintenant que les empoisonnements servent à leur faire peur, tout comme à leurs parents. Il ne s’agit pas d’empêcher ces filles d’étudier, puisque l’éducation est obligatoire pour tous en Iran, quoique dans des établissements non mixtes. Mais il faut en finir avec l’école comme lieu de manifestations.
Que cette répression se fasse au prix de la santé de fillettes indigne sans pourtant surprendre. Les morts se comptent par centaines depuis le début des manifestations, et le bilan des personnes qui ont été détenues ces derniers mois est évalué à 20 000. Et il faut voir la désinvolture avec laquelle les autorités ont traité l’histoire des intoxications !
Il y a eu d’abord un long silence. Puis elles ont fait valoir la « nature faible » des victimes. Le ministre iranien de la Santé a ensuite parlé de la « légèreté » du poison répandu dans les écoles. Le ministre de l’Éducation vient pour sa part d’affirmer que 95 % des victimes ont en fait cédé à une psychose collective.
Pourtant, des pressions seraient exercées sur les familles pour ne pas qu’elles témoignent de la situation, rapporte la BBC. De même, des journalistes et des dissidents qui ont critiqué la lenteur du gouvernement à réagir ont été arrêtés ce lundi.
Tout cela parce que des femmes veulent circuler tête nue ! Qu’on puisse les voir de pied en cap dans l’espace public, sur un pied d’égalité avec les hommes, est pourtant la première étape de leur reconnaissance comme des êtres humains complets. Les Iraniennes, et les hommes à leurs côtés, arriveront-elles à rester mobilisées pour un droit aussi élémentaire ?
L’exutoire de la révolte échappe toutefois aux Afghanes, encore plus écrasées par des diktats religieux implacables.
Dans leur cas, l’effacement de l’espace public est total depuis le retour des talibans au pouvoir à l’été 2021. Étouffées sous leur burqa, elles n’ont plus le droit d’étudier dès qu’elles atteignent l’âge de 12 ans, et on leur interdit de travailler ; depuis l’automne dernier, on les empêche de fréquenter les parcs publics, les gymnases ou les hammams.
Les femmes ayant toujours été séparées des hommes dans les bains publics, l’enjeu n’a rien à voir ici avec la ségrégation sexuelle. L’explication donnée était bien plus cynique. Le porte-parole du ministère afghan de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice (ça ne s’invente pas !) affirmait en novembre : « Chaque maison a une salle de bains, donc cela ne pose aucun problème aux femmes [pour se laver]. »
Voyons-y en fait une guerre à la solidarité féminine. Il faut empêcher les femmes de se fréquenter, même à des fins de loisirs : tout à coup que l’envie leur viendrait d’imiter les Iraniennes !
En Afghanistan, le contrôle des talibans est tel que c’est uniquement par petits groupes que les femmes arrivent de temps en temps à protester contre le sort qui leur est fait : peu nombreuses, donc facilement dispersées. Dès lors, leur colère ne parvient pas à prendre de l’élan, ce qui ajoute au désespoir qui règne.
Tous les 8 mars, j’essaie de noter les avancées des femmes, sans fermer les yeux sur les écueils qui les guettent toujours et qui prennent de nouvelles formes — la drogue du viol et le cyberharcèlement en étant des exemples frappants. Mais en Occident, ces attaques contre les femmes sont condamnées sur la place publique. À force de prises de conscience et d’éducation, je continue de croire que ça ira mieux demain.
Mais quand je tourne mon regard vers le vaste monde, que je vois le nombre d’États qui persistent à cacher les femmes — de l’Arabie saoudite au Yémen, pour suivre l’ordre alphabétique — et qui serrent la vis de leur prison, la bataille me semble démesurée.
D’autant que notre indifférence me sidère. Dans les médias, le sort des Iraniennes ou des Afghanes est traité en brèves ; bien des groupes féministes détournent le regard parce que le concept de « dévoiler » est devenu litigieux ; les gouvernements s’en tiennent à une pieuse indignation, dont les effets sur le terrain sont aussi peu concrets que mon intellectuelle solidarité.
Alors moi qui l’ai déjà tant célébré, cette année je dois me l’avouer : ce 8 mars n’est pas une fête.
Votre titre et vos deux derniers paragraphes, chapeau, madame, bravo! Excellent.
8 mars est plus un rêve qu’une fête dans plusieurs pays et c’est bien triste
Oui, préoccupons-nous donc, pour vrai, de ces pauvres Iraniennes et
Afghanes, qui ne l’ont pas mais vraiment pas « faciles », pour employer
un euphémissime.
Par ailleurs…
SI perdurent, si se reproduisent, si… ‘reprennent’ de plus bel, si inexorablement
et si abominablement
d’aussi indus traitements
c’est que ne pourrait-il y avoir en la nature même, autant qu’en culture
quelque chose en favorisant de tels navrants retours ou perdurations ?
Vois-je en effet, aujourd’hui, cet autre titre ici, de M. Fortin :
« Sauvons les garçons »
et cela ne peut ne pas m’en rappeler un autre paru aussi
in L’actualité il y a… 31 ans : « Pitié pour les garçons ! »
Qui, d’ailleurs, avait fait la une et produit tout un tabac (durable).
En ce lendemain de la Journée internationale des droits des femmes
il pourrait faire bon de manifester quelque « ‘pitié’ pour les garçons »…
Ayant fait une revue de ce qui s’était dit alors, à propos (du titre) de cet article
coup de poing in L’actualité, j’ai découvert un commentaire, fait ici aussi
en l’édition papier (1 avril 1992, p. 67), par une Mme Christine L’Heureux
qu’ai-je trouvé si intéressant et encore tant… d’actualité, que le reproduis-je
ci-dessous, intégralement, moyennant votre ‘OK’, n’est-ce pas.
En complément, suggérerais-je aussi l’épique « La violence des agneaux »
de M.-R. Sauvé, paru en 2019 chez Québec Amérique.
Il n’est pas qu’en Ukraine, en effet, que « s’exprime » de la violence;
comme n’y a-t-il pas que des garçons agents de bagarres en cours d’écoles;
comme il n’y a ‘plus que’ des hommes abusant sexuellement d’écoliers;
quoique, par ailleurs, les pires et significativement plus nombreuses agressions
sexuelles demeurent évidemment masculines et à l’encontre de la gent féminine, bien sûr.
Enfin, côté masculinité(s)-féminité(s), jamais n’oublierai-je la leçon m’ayant été
« servie »
personnellement, en bureau privé, par ma directrice de thèse, lors de la
rédaction de celle-ci en… 1995 :
qu’elle, ce pourquoi, principalement, souhaitait-elle que le référendum fût
« gagné »
eh bien, c’était pour… les gars, pour les hommes québécois…
(moi, en tout cas, ai ‘compris’ ce qu’elle voulait dire par là) … !
« Plaidoyer pour les contes de fées »
« « La littérature jeunesse est devenue plate à mourir.
Ah ! les pauvres petits, semble dire votre article (Pitié pour les garçons, février 92). La féministe en moi réagit. Mais en continuant votre article, L’éditrice de livres pour enfants a pris la relève: ah ! pauvres enfants ! C’est vrai que la littérature jeunesse est devenue plate à mourir avec des histoires aseptisées.
Je m’ennuie quand je lis des livres pour enfants. Le sens profond de la vie dans ces livres se résume à se brosser les dents le matin et à s’habiller pour aller à l’école. Point. Les livres pour enfants ne sont plus là que pour amuser ou pour éduquer. C’est rassurant… et ça se vend.
Je m’ennuie des contes de fées de mon enfance qui ne trichaient pas avec les émotions et qu’on a rayés de la carte, sous prétexte qu’ils sont violents et qu’ils présentent des personnages stéréotypés. La société a beau vouloir interdire la violence ou les stéréotypes, les enfants, eux, vont chercher les scénarios dont ils ont besoin pour se construire comme homme et comme femme. Nos enfants préfèrent jouer au Nintendo, écouter les Ninja Turtles ou jouer avec des Barbie plutôt que de nous écouter leur raconter des histoires qu’ils vivent tous les jours.
Avez-vous déjà essayé de maigrir ? La bouffe devient alors une préoccupation obsédante… J’ai peur qu’il en soit de même pour les enfants qui auront été saturés d’écologie, de pacifisme et de modèles de comportements non stéréotypés. A force de refouler des émotions, on prend le risque qu’elles resurgissent de façon plus explosive dans quelques années. Je suis scandalisée de voir à quel point nous continuons à raconter des histoires aux enfants. Comme si la vie n’était faite que de jolies choses toutes gentilles et toutes douces. Les enfants eux, le savent bien qu’il y a encore des ogres et des sorcières qui ne les aiment pas et qui rêvent de les manger tout crus. Que les gros méchants loups ne sont pas disparus. Que de mensonges !
Sur un mode symbolique, les contes de fées peuvent aider l’enfant à découvrir son identité, en lui montrant le chemin à suivre pour développer son caractère. On y apprend la «vraie» vie avec toutes ses difficultés et ses horreurs… On y apprend que l’existence humaine est faite de joies et de victoires, mais aussi de luttes et d’épreuves. » »
Réponse à la question silencieuse :
« Pourquoi ‘ça’ » :
https://lactualite.com/societe/en-ce-8-mars-qui-se-soucie-des-femmes-cachees-en-iran-en-afghanistan/?unapproved=836522&moderation-hash=83166fdd7288c3b3bdc7115bacbe2f05#comment-836522
pcq tant qu’n’y aura-t-il pas idoine éducation des… garçons
Afghanes et Iraniennes continueront de laisser indifférent le
monde.
Vous écrivez « notre indifférence me sidère». Eh bien, soyez sidérée car ici même nous vivons une crise épouvantable en ce qui a trait aux femmes et filles autochtones, cela dans une indifférence tout-à-fait sidérante. Depuis des décennies les femmes et filles autochtones sont les victimes disproportionnées de violence, sexuelle, familiale et autre, d’assassinats et de disparitions dans l’indifférence générale sauf quand un Robert Pickton doit faire face à la justice pour le meurtre de ce qu’on croit être une cinquantaine de femmes dans la région de Vancouver.
Ici, au Québec, il y a quelques années disparaissaient deux jeunes femmes anichinabées à Kitigan Zibi et la police s’est trainée les pieds sous le prétexte que les jeunes filles autochtones avaient tendance à fuguer, un stéréotype éculé et raciste; on ne les a jamais retrouvées. Des meurtres de femmes autochtones il y en a beaucoup à travers le pays y compris ici à Montréal et Ottawa.
Ce n’est pas tout, les femmes autochtones sont aussi victimes de la violence institutionnelle, du racisme systémique de la police et on n’a qu’à penser à Chantel Moore qui a été tuée par un policier appelé à l’aide pour s’assurer qu’elle allait bien! Une jeune autochtone de 16 ans, Eishia Hudson a été abattue par la police à Winnipeg en 2020 parce qu’elle était autochtone et aucune accusation contre le policier.
Ah mais quand une femme autochtone se révolte, c’est immanquablement la prison qui suit. Malgré qu’elles soient environ 2,5% de la population elles représentent environ 50% des femmes incarcérées au pays! La plupart y sont pour des infractions techniques comme des bris de probation, d’engagement ou des affaires de drogues (alors que la CB décriminalise la possession de petites quantités).
Oui, on doit appuyer les Iraniennes et les Afghanes dans leur lutte pour leurs droits fondamentaux et à l’égalité mais il ne faut pas non plus ignorer ce qui se passe ici et je n’ai pas vu d’article le 8 mars pour mentionner l’éléphant dans la pièce, le sort inacceptable des femmes et filles autochtones ici au Canada dûment documenté à travers les décennies et surtout par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles disparues et assassinées. On y constate un génocide bien canadien mais, bof…