Depuis mars 2023, on jase beaucoup de « ça » dans les réunions de professeurs de cégep et dans les bureaux du ministère de l’Enseignement supérieur. Il s’agit du rapport La maîtrise du français au collégial : le temps d’agir, qui brosse un portrait sévère de la maîtrise du français dans les cégeps.
Ses signataires — les linguistes Marie-Claude Boivin, de l’Université de Montréal, Godelieve Debeurme, de l’Université de Sherbrooke, et Lison Chabot, du cégep Beauce-Appalaches — ne font pas dans la dentelle pour expliquer les raisons pour lesquelles le taux de réussite à l’épreuve uniforme de français, essentielle à l’obtention du diplôme collégial, tourne autour de 83 % : mauvais usage des technologies, pédagogie inadéquate, évaluation punitive, etc. Tout le monde en prend pour son grade, y compris le Ministère.
Le rapport, commandé par la ministre Danielle McCann et remis en janvier 2022, est resté « sur les tablettes » jusqu’au départ de celle-ci, neuf mois plus tard. Les choses ont commencé à bouger quand sa successeure, Pascale Déry, l’a lu en décembre 2022, trois mois avant sa publication, en mars 2023. « Les autrices ont mis le doigt sur le problème et il est important d’agir rapidement », dit la ministre en entrevue avec L’actualité.
Le français occupe une place énorme au cégep. La formation générale obligatoire impose trois cours de littérature (101, 102, 103) et un cours de communication (104). La qualité de l’écriture représente au moins 10 % de la note dans toutes les matières. Et la maîtrise de la langue proprement dite compte pour le tiers dans l’épreuve uniforme de français (EUF), une dissertation littéraire à écrire en quatre heures et demie. Si l’étudiant échoue, pas de diplôme, peu importe ses notes dans les autres matières.

Un instant : les cégeps n’enseignent-ils pas le français ? En fait, non. Le cégep évalue constamment le français de ses élèves, mais il n’enseigne pas la grammaire et la syntaxe.
C’est sans doute l’aspect le plus stupéfiant du rapport Le temps d’agir. Mis à part les cours de renforcement non crédités imposés aux étudiants jugés à risque (en deçà de 75 % de moyenne générale en 5e secondaire) et les centres d’aide en français (CAF) mis à la disposition de tous, il n’y a pas de français dans le programme. Le Ministère exige d’enseigner aux étudiants les techniques pour se réviser et se corriger, mais c’est selon le bon vouloir des professeurs, de manière très inégale en fonction des établissements, et en général très peu en dehors des cours de littérature et de communication. Alors que la maîtrise du français est obligatoire pour l’obtention du diplôme.
Pour l’ensemble du Québec, le taux moyen d’échec à cette fameuse épreuve uniforme de français est de 16,2 % depuis 2000. Cette épreuve s’ajoute à tous les défis des étudiants : seulement 40 % d’entre eux obtiennent leur DEC dans les délais prévus et le taux de diplomation sur quatre ans ne dépasse pas 70 %. Mais le plus cruel, ce sont les quelque 1 000 élèves qui, chaque année, sont retranchés de la cohorte d’environ 40 000 diplômés parce qu’ils ont échoué à toutes les reprises de l’EUF, jusqu’à trois fois et même plus dans certains cas.
Le modèle en la matière est le cégep Gérald-Godin, dans l’ouest de l’île de Montréal, qui se classe premier avec son taux de réussite de 92,3 % à l’épreuve uniforme de français en 2018‑2019.
« Ce sont des quasi-réussites qui nous coûtent très cher comme société », croit Bernard Tremblay, PDG de la Fédération des cégeps. « Ces étudiants, qui ont suivi tous leurs cours avec succès, sont recalés à une épreuve finale sans rapport. Parce que le collégial est le seul ordre d’enseignement à qui on demande d’évaluer les étudiants sur une matière qu’il n’enseigne pas. »
Pendant les quatre mois de préparation de leur rapport, les trois signataires racontent être tombées plusieurs fois de leur chaise, tant les problèmes étaient gros, voire presque grotesques. Par exemple, le fait que les 45 à 60 heures du cours de renforcement en français, obligatoires pour les élèves jugés à risque, ne sont pas créditées. « Je n’en suis pas revenue, dit Marie-Claude Boivin. Si on voulait lancer le message que le français a un côté punitif, c’est comme ça qu’on devrait faire. »
Ce cours ne donne pas droit à des crédits pour la même raison que les cours de mise à niveau en chimie (pour les soins infirmiers) et en physique (pour les techniques de génie) n’en accordent pas : ces notions sont censées être acquises au secondaire. Dans le cas de la chimie et de la physique, leur réussite confirme l’acceptation dans le programme. L’EUF étant depuis 1998 une épreuve qualifiante pour le DEC de tous les étudiants, les autrices du rapport recommandent que le cours de français soit crédité.
À la lecture du rapport et de ses recommandations, on est obligé de reconnaître que la filière du français traîne encore des méthodes du XXe siècle.
Parmi les 35 recommandations, 7 prônent un meilleur usage des logiciels d’aide à la correction (appelés correcticiels) dans l’enseignement et l’évaluation, et un recours plus large aux technologies numériques, notamment pour l’évaluation. « Ça rejoint nos préoccupations depuis longtemps. Écrire des examens au crayon en 2023, ça n’a pas beaucoup de bon sens », soutient Maya Labrosse, présidente de la Fédération étudiante collégiale.
À bien des égards, le modèle en la matière est le cégep Gérald-Godin, dans l’ouest de l’île de Montréal, qui se classe premier avec son taux de réussite de 92,3 % à l’épreuve uniforme de français en 2018-2019, soit neuf points au-dessus de la moyenne.
Or, Gérald-Godin met en application presque toutes les recommandations du rapport qui sont du ressort d’un établissement.
Par exemple, son équipe enseignante a intégré le logiciel québécois d’aide à la correction Antidote il y a 20 ans. « Nous montrons aux étudiants comment s’en servir, mais nous l’utilisons aussi en complément de notre enseignement, comme un outil au même titre que les autres ouvrages de référence de base tels le Larousse, le Robert ou le Bescherelle », explique Elsa Laflamme, coordonnatrice du Département de français. « C’est un outil pédagogique auquel je crois profondément. » Mais comme les autrices du rapport, elle estime que cela ne suffit pas.
Tous les cégeps ont désormais une licence du populaire correcticiel. « On reçoit constamment des demandes de cégeps pour l’améliorer », dit André d’Orsonnens, président de Druide informatique, l’entreprise conceptrice de l’outil. « Nous avons notamment créé des boutons pour désactiver le correcteur dans les examens tout en maintenant l’accès aux dictionnaires, mais aussi pour bloquer le volet traduction ou Wikipédia. »
Orthopédagogue au campus de Saint-Jérôme de l’Université du Québec en Outaouais, Nathalie Arbour s’est intéressée très tôt à cette technologie du temps où elle occupait la même fonction au cégep de Saint-Jérôme. Après avoir appris à s’en servir pour l’enseigner ensuite aux étudiants avec des troubles d’apprentissage (dyslexie, dyspraxie, trouble de l’attention), elle a mis au point une « démarche de correction » désormais offerte à tous les étudiants par le CAF. « Les correcticiels fonctionnent, mais il faut une formation, un enseignement clair et une démonstration explicite. »
Les étudiants qui fréquentent le centre d’aide en français se font expliquer comment calibrer le logiciel selon leur niveau d’habileté, puis comment se servir de la dizaine de dictionnaires intégrés dans Antidote. Ensuite, ils apprennent comment utiliser les fonctions de correction, mais aussi les prismes de style. « L’erreur sur le plan pédagogique est de faire commencer les étudiants avec les gros traits rouges, qui signalent les fautes les plus évidentes, affirme Nathalie Arbour. En général, leur plus grosse difficulté tourne autour de la syntaxe et de l’orthographe grammaticale. Donc, on débute en leur faisant examiner les ruptures de texte, là où le logiciel repère un problème logique, et aussi le style, les répétitions. Et c’est seulement à la fin de la démarche qu’on travaille les grosses fautes, et ensuite les questions soulignées en orange, là où Antidote n’est pas certain qu’il y ait une faute. »
Bien que l’OCDE recommande désormais que les systèmes éducatifs des pays développés se mettent à la page sur le plan technologique, la plupart des linguistes et des didacticiens rappellent que la technologie ne peut pas grand-chose si tout le reste de la machine ne suit pas. « On pense que les étudiants en difficulté se ruent sur les correcticiels, mais non : ils ne s’en servent même pas ! » dit Godelieve Debeurme, maintenant retraitée. « Ils ont du mal à comprendre ce que le logiciel leur propose. »
Certes, tous les cégeps ont mis en place un CAF, tous offrent des programmes de renforcement pour les étudiants qui maîtrisent mal le français et tous utilisent Antidote. Au cégep Gérald-Godin, on est allé plus loin. Par exemple, on commence le programme par le cours de communication (le 104), puis viennent ceux de littérature (101, 102 et 103). Car c’est après le 103 qu’arrive l’EUF. « Le résultat est que nos étudiants, au moment de passer l’épreuve, ont suivi ces quatre cours au lieu de seulement trois, explique Elsa Laflamme. Dans ces cours, nous les faisons beaucoup écrire, au moins quatre textes de plus qu’ailleurs. »
L’autre originalité de Gérald-Godin s’appelle LabSEL, acronyme de Laboratoire de soutien en enseignement des littératies. Il vise à aider tous les enseignants des autres cours à mieux enseigner l’écriture dans leur discipline. Sa coordonnatrice, Catherine Bélec, est une spécialiste de la « littératie disciplinaire ». Selon ce nouveau concept en matière de didactique, les professeurs doivent enseigner de manière explicite les conventions d’écriture propres à leur domaine, de la prise de notes à la rédaction en passant par le vocabulaire spécialisé, le raisonnement, les méthodes de synthèse et les processus de révision et de correction.
« Les problèmes de syntaxe et d’orthographe grammaticale sont souvent l’effet d’une autre difficulté : les étudiants ne comprennent pas les attentes d’écriture », souligne Catherine Bélec. Alors forcément, dit-elle, la syntaxe et les accords ne sont pas leur priorité. « Donc, si on développe leurs réflexes de pensée dans les disciplines qui les intéressent, on arrive à faire en sorte qu’ils soient meilleurs partout. » (L’un des résultats de cet effort pédagogique a été la création du Pensoir, un centre d’aide en philosophie, autre grande pierre d’achoppement des étudiants.)
« On demande aux enseignants de voir au français en dehors des cours de français, mais bon nombre d’entre eux ne sont pas à jour dans la terminologie grammaticale, qui a évolué. Ils ne parlent pas de la langue dans les mêmes termes que les étudiants, qui l’ont apprise autrement, et ils ne se comprennent pas », dit Lison Chabot, aujourd’hui à la retraite, qui a été directrice des études au cégep Beauce-Appalaches (quasi ex æquo dans le palmarès avec Gérald-Godin).
À l’instar de Bernard Tremblay, de la Fédération des cégeps, Catherine Bélec juge que le dialogue avec le secondaire doit reprendre. « Les enseignants au primaire sont très sensibilisés à une approche constructive du français et au plaisir de lire, observe-t-elle. Ça se gâte quelque part entre le primaire et le cégep, quand la langue devient quelque chose qui concerne seulement les classes de français. »
Julie Pelletier, directrice générale du cégep Gérald-Godin et ancienne directrice adjointe des études au cégep de Saint-Jérôme (huitième au classement), croit que le système collégial gagnerait à pratiquer une évaluation additive plutôt que soustractive, perçue comme punitive. Au lieu d’enlever des points pour des fautes, pourquoi ne pas permettre d’en gagner pour un texte bien écrit ? « Ça revient au même. La différence est psychologique. L’idée est que le français donne de la valeur au texte, comme dans la vraie vie. »
Le Ministère se sert très peu des données à sa disposition pour poser des diagnostics. « On n’a même pas une idée du profil des étudiants qui échouent », se désole Lison Chabot, linguiste au cégep Beauce-Appalaches.
Les autrices du rapport ont également noté une série de déficiences qui relèvent du Ministère. Par exemple, l’épreuve uniforme de français est plus sévère que celle d’anglais : les étudiants francophones doivent disserter en 900 mots au lieu de 750 pour les anglophones, et le cahier des charges pour la correction fait 103 pages, alors que ça tient en 24 pages en anglais.
Le Ministère se sert très peu des données à sa disposition pour poser des diagnostics, déterminer les facteurs de prédiction d’échec et établir ses exigences. Pour leur cours d’anglais langue seconde, obligatoire à la formation générale, tous les étudiants doivent passer un test de classement, ce qui n’est pas requis pour les cours de français. Les résultats du niveau secondaire en français, notamment l’examen officiel du ministère de l’Éducation, ne sont pas utilisés pour évaluer leur maîtrise de la langue une fois au cégep (on se fie plutôt à la moyenne générale, qui n’est pas le meilleur indicateur concernant le français). « On n’a même pas une idée du profil des étudiants qui échouent [à l’EUF], se désole Lison Chabot. On ne sait pas qui c’est. »
La ministre Pascale Déry reconnaît qu’elle a hérité d’un gros dossier. Car le temps presse. Même si la grande majorité des étudiants n’éprouvent pas de difficultés importantes, la clientèle change vite. Le taux de réussite à l’examen officiel du Ministère en 5e secondaire a dégringolé de 76 % à 66 % de 2019 à 2022, ce qui annonce pour les cégeps une nouvelle clientèle encore plus « hétérogène », terme de jargon pour dire « avec beaucoup d’éléments très faibles ». « Les élèves qui lisent mal le français vont avoir de la difficulté à comprendre et à écrire dans toutes les matières », prévient Bernard Tremblay.
Pascale Déry souhaite élaborer un « plan costaud ». « Les comités sont en place, mais nous travaillons déjà à régler certains problèmes, notamment en nous penchant sur la reconnaissance du cours obligatoire de renforcement en français [non crédité actuellement] et sur une utilisation judicieuse des données à notre disposition. Nous sondons également les collèges pour leur proposer une offre active de perfectionnement du personnel. »
Elsa Laflamme espère que la nouvelle ministre se dépêchera. « Pour faire bouger le système, il faudra que les programmes évoluent et que les ressources suivent. Tant que ça ne fera pas partie du programme dicté par le Ministère, les efforts vont rester un extra que les cégeps peuvent s’offrir ou non. Faute de ressources, nous avons dû réduire le temps alloué à la formation sur Antidote. »
Bernard Tremblay, de la Fédération des cégeps, qui juge que le Québec a des attentes irréalistes par rapport à l’école, espère que ce sera un déclencheur. « Il est faux de croire qu’un élève de 5e secondaire peut maîtriser la langue. C’est un continuum qui commence à la maternelle et qui dure jusqu’à 25 ans, voire plus. Il faut réinstaller le dialogue entre les ordres d’enseignement pour déterminer ce qui doit être su au secondaire et ce qui devrait être enseigné au niveau collégial. »
DE GRANDES DISPARITÉS
Taux de réussite des collèges francophones à l’épreuve uniforme de français pour l’année 2018-2019
Collège | Taux global annuel |
---|---|
Cégep Gérald-Godin | 92,3 % |
Cégep Beauce-Appalaches | 92,2 % |
Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue | 91,3 % |
Cégep de Sherbrooke | 90,8 % |
Cégep de Sainte-Foy | 90,4 % |
Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne | 90,2 % |
Cégep de Saint-Hyacinthe | 89,5 % |
Cégep de Saint-Jérôme | 88,6 % |
Cégep de Drummondville | 88,5 % |
Cégep de Lévis-Lauzon | 88,3 % |
Collège Lionel-Groulx | 88,3 % |
Cégep François-Xavier-Garneau | 87,9 % |
Cégep André-Laurendeau | 87,9 % |
Cégep de Thetford | 87,3 % |
Cégep de Sorel-Tracy | 87,1 % |
Cégep de Shawinigan | 87,0 % |
Cégep de Saint-Félicien | 86,5 % |
Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption | 85,6 % |
Cégep de Valleyfield | 85,4 % |
Cégep de l’Outaouais | 85,4 % |
Cégep de Sept-Îles | 85,1 % |
Cégep de Trois-Rivières | 84,5 % |
Cégep régional de Lanaudière à Joliette | 84,3 % |
Cégep de Saint-Laurent | 84,2 % |
Cégep de Granby | 84,1 % |
Collège d’Alma | 83,6 % |
Cégep de Rimouski | 83,4 % |
Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu | 83,2 % |
Collège de Bois-de-Boulogne | 83,0 % |
Cégep Limoilou | 82,7 % |
Collège Montmorency | 82,2 % |
Cégep Édouard-Montpetit | 81,6 % |
Cégep de La Pocatière | 81,1 % |
Cégep de Rivière-du-Loup | 80,7 % |
Cégep de la Gaspésie et des Îles | 80,4 % |
Cégep de Victoriaville | 79,8 % |
Collège de Maisonneuve | 79,4 % |
Cégep de Jonquière | 79,1 % |
Cégep du Vieux Montréal | 77,9 % |
Cégep de Baie-Comeau | 77,8 % |
Cégep de Chicoutimi | 75,5 % |
Collège Ahuntsic | 75,0 % |
Cégep de Matane | 73,8 % |
Collège de Rosemont | 69,5 % |
Cégep Marie-Victorin | 67,4 % |
Moyenne du réseau public en 2018-2019 | 83,3 % |
La version originale de cet article a été modifiée le 1er juin 2023 afin de corriger le titre de Julie Pelletier à l’époque où elle travaillait au cégep de Saint-Jérôme : elle y était directrice adjointe des études, et non directrice des études.
Cet article a été publié dans le numéro de juillet-août 2023 de L’actualité, sous le titre « Français : les devoirs du cégep ».
J’enseigne le français dans un Centre d’études collégiales. L’automne dernier, 100% de nos élèves qui ont fait l’ÉUF l’ont réussie. Notre taux de réussite est rarement sous les 90%, et ce, même si le cours Communication vient en quatrième (contrairement au Cégep Gérald-Godin).
Une des clés de notre succès est que les trois cours de littérature sont cohérents; ils sont une suite logique grâce à laquelle les étudiants n’ont pas à apprendre une nouvelle structure de texte et à s’adapter à de nouvelles exigences selon l’enseignant qui leur enseigne. La base du texte étant la même pendant 1 an et demi, les étudiants peuvent davantage se consacrer au contenu et à la langue. (J’ai déjà enseigné dans un cégep où chaque enseignant à ses propres exigences, parfois en contradiction avec les autres enseignants; les étudiants sont désespérés de devoir réapprendre à chaque fois et, de ce fait, ils consacrent moins de temps au contenu et à la langue).
En ce qui concerne la maîtrise de la langue, il n’est pas rare de voir des étudiants arriver du secondaire en faisant une faute aux 6 ou 7 mots. Pour réussir à l’ÉUF, il faut atteindre une faute aux 30 mots! Les enseignants de français de notre centre d’études s’assurent de cibler les étudiants les plus faibles par un test diagnostique que tous les étudiants de première année font lors de la première semaine (d’ailleurs, il est faux de dire qu’un test de classement est obligatoire en anglais; nous n’en avons pas ici). Nous invitons ceux qui font plus d’une faute aux 15 mots à s’inscrire au Centre d’aide en français. Étant donné le nombre de places restreint, nous priorisons toujours les étudiants qui font le plus de fautes. Aussi, pour chaque évaluation faite en classe, peu importe la matière, les étudiants ont la possibilité de faire une grille de correction, dans laquelle ils doivent corriger et, surtout, expliquer comment corriger leurs erreurs. Ils récupèrent ainsi une partie de leurs points et ils apprennent grandement de leurs erreurs. En l’espace de 7-8 semaines, nous voyons des étudiants passer d’un ratio d’une faute aux 11 mots à un ratio d’une faute aux 27 mots! En prenant conscience de leurs erreurs et en réfléchissant à la manière de les corriger, ils apprennent la grammaire mieux que dans un cours axé sur la grammaire!
Une faute tous les 30 mots est suffisant pour réussir le test. Pauvre Québec.
Et ça continue. Le niveau élémentaire produit les échecs en français. Dès le troisième année, nombre d’élèves ne peuvent écrire, ni même lire suffisamment pour continuer leur scolarité. La solution, longue d’application, est de sélectionner les candidats et candidates à l’enseignement dès le niveau scolaire et leur accorder une bourse mur à mur.
Il faudrait peut-être d’abord que les profs soient soumis à cet examen pour pouvoir y enseigner. J’ai fait un retour aux études il y a quelques années, et un des profs nous faisait acheter son cahier de notes. Il fallait que je me lave le cerveau tous les jours pour ne pas apprendre à mal écrire comme lui. Des fautes aux 11 mots facilement et un manque complet de suite dans les idées. Il fallait que je lui demande ce qu’il cherchait comme réponse dans ses examens, car les questions étaient tellement mal conçues que la réponse à sa question n’était pas celle qu’il cherchait à obtenir. Si un étudiant qui en arrache se tape des lectures de notes pourries, il peut bien avoir de la difficulté à écrire. C’est en lisant qu’on apprend à écrire.
L’autre problème, c’est la dissertation. Tout le monde devrait savoir écrire correctement, mais pas tout le monde doit avoir retenu ce qu’il a appris sur la littérature. C’est une coche de difficulté de plus qui n’est pas nécessaire et ne servira plus jamais par la suite, à moins qu’on poursuive des études en littérature. La dissertation devrait être sur un sujet plus inspirant pour les étudiants et qui permet à ceux qui n’ont aucun intérêt pour la littérature et qui n’ont rien retenu de ces cours parfois vraiment très plates d’avoir quand même quelque chose à exprimer dans le cadre de cet examen ridiculement conçu.
Vous dites que vos profs ne savent pas écrire. Peut-être. J’observe le même phénomène que vous. Parfois. Détenir un savoir ne veut pas dire savoir le construire avec le système de la langue et l’enseigner correctement. Bonjour la pédagogie.
À propos de la maitrise de la langue justement, vous-même, lorsque vous écrivez, ne savez pas coordonner correctement des phrases syntaxiques.
Dans votre phrase « [La dissertation devait être (porter) sur un sujet plus inspirant pour les étudiants] et [qui permet à ceux [qui n’ont aucun intérêt pour la littérature ]et [qui n’ont rien retenu de ces cours parfois vraiment trop plates]] … », vous coordonnez une phrase syntaxique autonome (la première phrase) et trois phrases subordonnées relatives (phrases syntaxiques non autonomes). C’est une erreur. Lorsqu’on écrit, on coordonne des phrases construites de la même façon : deux phrases syntaxiques autonomes ou deux phrases subordonnées, mais pas une addition des deux: l’autonome et la non autonome.
Et je passe par-dessus votre mépris de la littérature! Pourtant, cette discipline, ce savoir, cette manière de dire la monde, se situe au confluent de toutes les disciplines. Vous ne l’avez pas vu. Dommage!
Le français (grammaire, orthographe et syntaxe) doit être enseigné des le primaire, par des professeurs qui connaissent bien la langue, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Les élèves doivent écrire beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement. Enfin, lire contribue grandement au développement du français chez les élèves ; ils ne lisent ni n’écrivent pas suffisamment.
La solution au problème évoqué ici est fort simple : donner aux élèves, à un stade précoce de leur scolarisation, le goût de la lecture. Nombreux sont les adeptes de la lecture qui rédigent bien, sans forcément connaître par cœur toutes les règles grammaticales de la langue française : la bonne orthographe et l’art de conjuguer leur viennent d’instinct (ou presque) parce qu’ils ont lu beaucoup.
Oui, c’est une sorte de mimétisme.
Rien n’empêche, comme le dit Suzanne-G. Chartrand, d’enseigner correctement le système de la langue tout au long du parcours scolaire jusqu’au cégep et plus encore. La langue, c’est l’histoire d’une vie. Ça ne prend pas fin au secondaire.
@ Yves Lamontagne
« La langue, c’est l’histoire d’une vie ». J’aime bien cette phrase!
Par ailleurs, j’ajouterai qu’il n’appartient pas seulement à l’école d’inculquer aux élèves les notions linguistiques. Dans ma tendre enfance, ma parenté et mes proches ont joué un rôle fondamental à cet égard. Si la langue française n’est pas valorisée chez eux, les élèves risquent de ne pas y attacher toute l’importance voulue.
@ Yann :
Vous avez raison concernant l’encouragement de l’apprentissage de la langue dans la famille, mais rendu dans le grand public, c’est une autre paire de manche. Exemple banal, j’assistais à une réunion de notre association de chalet, et j’ai eu le malheur de vouloir faire corriger les mots ¨canceller et contracteur¨ par ¨annuler et entrepreneur¨, et je me suis fait huer par les moins bien nantis linguistiquement parlant qui m’ont tout simplement traité de ¨pelleteux de nuages¨. Allez donc encourager les jeunes quand des adultes au QI d’une poule (encore que ce serait insulter une poule) sont incapables d’auto-correction.
Je constate, à mon grand regret, que bien peu de choses ont changées dans les CÉGEP depuis l’obtention de mon DEC… il y a 20 ans.
Le portrait de la situation décrit dans cet article est le même que quand j’y était: tout est concentré autour de la structure de la dissertation. Tout le reste est relégué aux oubliettes puisque les notions apprisent sont considérés maîtrisées à la fin du niveau secondaire. Malheureusement, il n’en ai rien: aussi loin que je peux me rappeler, à ma sortie du secondaire, je ne pouvais que constater l’étendue et la complexité de la langue française sans nécessairement être totalement à l’aise en écriture. Je ne connaissais que la base, sans plus (tranche de vie, ici).
Anecdotique, mon histoire? Probablement. Cependant, je ne crois pas que j’étais si différent des autres élèves de ma classe. J’ai toujours bien écrit, j’ai un vocabulaire varié et mes enseignants aimaient lire mes textes. Cependant, je perdais des points parce que je faisais des faute… plus souvent qu’autrement parce que je n’étais pas en mesure de les repérer dans mon texte et non pas parce que j’avais oublié la règle d’orthographe qui y était reliée. Parce qu’après quatre heures à écrire un texte à la main, avec le cerveau en compote, disons que la capacité de se corriger en prend pour son rhume.
Je reconnais l’importance de la maîtrise de la langue française et de l’Épreuve Uniforme de Français, mais peut-être serait-il temps de revoir le format de celle-ci, comme mentionné dans cet article. Aussi, pour ceux qui croient que la lecture est la base de l’apprentissage de la langue, vous avez tout à fait raison. Le problème est que, s’il y a bien un endroit où vous apprenez à détester la lecture, c’est bien dans un CÉGEP. Je me rapelle que mes lectures obligatoires étaient dignes des pires tortures, autant en français qu’en philosophie. Je n’ose alors même pas imaginer être dans les souliers d’un élève qui n’avait que peu d’intérêt pour la lecture à un plus jeune âge.
Lison Chabot dit : « On n’a même pas une idée du profil des étudiants qui échouent à l’EUF. » Cette erreur est commise chaque fois qu’on discute des problèmes de l’école québécoise, en particulier des écoles francophones. Par exemple, ne pas tenir compte de la langue maternelle des élèves, ni de celles de leurs parents, avant de critiquer l’école.
Puisque la majorité des allophones sont dans le réseau scolaire francophone, il est normal de s’attendre à de moins bons résultats aux examens de français dans les écoles où ces étudiants sont plus nombreux. Or, le classement des cégeps selon le taux de réussite à l’EUF laisse croire que c’est le cas, la plupart des cégeps sur l’île de Montréal obtenant un mauvais résultat.