Espoir au pays des rêves brisés

Dans les réserves, à peine 6% des autochtones obtiennent leur diplôme d’études secondaires. Mais après un long repli, les commissions scolaires du nord commencent à accepter l’offre de collaboration de Québec…

Un gâchis. Ottawa a beau dépenser plus d’un milliard de dollars par année pour l’éducation des autochtones, l’écart entre leurs résultats scolaires et ceux des autres élèves canadiens reste gigantesque. Au point que dans un document secret du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, divulgué par le National Post en mars dernier, il est écrit que ce programme fédéral est un « non-système qui n’est pas conçu pour produire des résultats ».

Un constat qui n’étonne pas Peter Cowley, coauteur du palmarès des écoles secondaires. « Le Ministère se contente de payer sans se soucier de l’efficacité de son investissement, dit-il. Et comme les résultats des élèves ne sont pas publiés, il ne sent aucune pression qui l’obligerait à s’en préoccuper. » En 2000, Denis Desautels, alors vérificateur général du Canada, déplorait d’ailleurs le manque d’information sur le rendement des écoles autochtones, tout en indiquant que le Ministère « ne réussit pas à donner aux enfants des Premières nations un enseignement primaire et secondaire qui réponde à leurs besoins ».

Après plus d’un siècle de pensionnats religieux subventionnés par le fédéral et visant l’assimilation des autochtones, l’organisation de l’enseignement des Premières nations a complètement changé au cours des dernières années. Les pensionnats ont été fermés et Ottawa s’est retiré de la gestion directe des écoles – situées dans les réserves -, pour la laisser, à de rares exceptions près, aux mains des conseils de bande.

Au Québec, la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, en 1975, puis de la Convention du Nord-Est québécois, en 1978, a conduit à la création de commissions scolaires jouissant d’un statut particulier. La Commission scolaire crie (CSC) regroupe les 9 écoles des villages de la Baie-James (3 600 élèves) et la commission scolaire Kativik (CSK) en compte 14, une dans chaque localité inuite du Nunavik (3 000 élèves). Quant à l’unique école des Naskapis, à Kawawachikamach (255 élèves), au nord-est de Schefferville, elle bénéficie également d’une certaine autonomie.

Subventionnées par l’État (à 75% par Ottawa et 25% par Québec pour la CSC et l’école naskapie, et dans la proportion inverse pour la CSK), ces commissions scolaires doivent construire et entretenir des résidences pour les enseignants, et gérer les programmes d’aide financière pour les études postsecondaires. Elles ont une grande latitude dans l’élaboration du calendrier scolaire et du programme éducatif, mais les élèves doivent accumuler un minimum d’unités pour obtenir le diplôme d’études secondaires décerné par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ). Ils ne sont toutefois pas soumis aux épreuves uniques du Ministère et passent des examens « maison » reconnus par celui-ci.

Le Québec compte en outre 39 écoles de bande primaires et secondaires, situées dans les réserves. Financées par Ottawa et administrées par les autorités locales, elles accueillent 7 200 élèves.

Les Mohawks de Kahnawake ont été les premiers, en 1978, à assumer la responsabilité de l’éducation dans leur réserve. Ils ont peu à peu été suivis par les autres communautés autochtones de la province.

Les élèves des écoles de bande ne sont pas, eux non plus, soumis aux épreuves uniques du MEQ. Certains établissements choisissent tout de même de les y inscrire, mais le nombre d’élèves inscrits n’est pas toujours suffisant pour que leurs résultats soient publiés dans le palmarès. Ainsi, l’école de Betsiamites, dernière (453e) l’an passé, ne figure pas au palmarès cette année. Ceux qui terminent leur secondaire reçoivent un diplôme « maison » délivré par leur école. « Les conseils de bande négocient ensuite avec chaque collège pour faire reconnaître ce certificat », explique Paul Rémillard, directeur des affaires autochtones au MEQ.

Le taux de réussite des élèves autochtones est toutefois tenu secret. « On a renoncé à publier ces données au début des années 1990, reconnaît Paul Rémillard, car l’écart avec les écoles non autochtones était si grand que leur diffusion risquait de faire plus de mal que de bien. » Une « loi du silence » qui règne presque partout ailleurs au Canada. Seule la Colombie-Britannique dispose d’un palmarès sur l’éducation des autochtones, publié pour la première fois en janvier dernier. Ses résultats sont accablants. On apprend notamment qu’à peine un enfant autochtone sur cinq y termine ses études secondaires et obtient son diplôme en cinq ans. Et le taux d’échec aux tests de lecture atteint jusqu’à 51% selon les classes. D’après Peter Cowley, il est urgent de faire connaître les résultats de tous les élèves autochtones du pays, aussi mauvais soient-ils. « Sinon, comment les choses pourraient-elles changer? »

Les démarches que Peter Cowley a entreprises en Alberta, en 2003, pour obtenir les résultats des élèves des écoles de bande, en vertu de la loi sur l’accès à l’information de la province, se sont cependant soldées par un échec. Le ministère de l’Éducation a refusé de rendre publiques ces données, prétextant que cela nuirait « aux relations intergouvernementales ». C’est-à-dire que cela aurait pu nuire à ses relations avec certains conseils de bande, estime Peter Cowley. « Le Ministère voulait sans doute éviter que les écoles autochtones ne cessent de présenter leurs élèves aux examens officiels. »

À défaut de diffuser les taux de réussite, le plus récent Bulletin statistique du MEQ consacré à l’éducation des populations scolaires dans les communautés autochtones du Québec (publié en mai 2004, soit six ans après le précédent dossier sur le sujet paru dans le Bulletin), met l’accent sur l’écart colossal qui subsiste entre les élèves autochtones et les autres. On y apprend ainsi qu’à peine 6,5% des Inuits et 5,7% des Amérindiens vivant dans une réserve obtiennent un diplôme d’études secondaires, contre 60% pour l’ensemble du Québec.

En prenant en main leur éducation, les autochtones se sont réapproprié leur langue (la langue maternelle est généralement celle de l’enseignement pendant les premières années du primaire), leur culture et leur histoire (voir « Cartier revu par les Cris », plus bas). Ils ne sont cependant pas venus à bout des problèmes qui rongent leurs écoles – pénurie de professeurs expérimentés, difficultés d’apprentissage des langues secondes (anglais et français), manque de motivation, absentéisme, décrochage – et leurs collectivités – isolement, violence, alcoolisme, vandalisme…

L’amélioration de leur réussite scolaire est cependant au programme du MEQ et des commissions scolaires à statut particulier. Ainsi, à la suite de la visite du ministre Pierre Reid à la Baie-James et au Nunavik, en janvier, il a été décidé de mettre en place (dans les 23 écoles en question et à celle des Naskapis) des plans de réussite similaires à ceux des autres écoles du Québec et de parfaire la formation des enseignants autochtones. (Les commissions scolaires à statut particulier ont actuellement des ententes avec certaines universités – notamment McGill, à Montréal -, lesquelles offrent un programme moins exigeant pour les futurs enseignants du primaire qui souhaitent travailler dans leur communauté.)

« Cela fait longtemps qu’on discute de réussite scolaire avec les autochtones, mais jusqu’ici, c’était délicat: après des années de paternalisme fédéral, la soif d’autonomie était grande et on ne voulait pas de nos conseils, confie Paul Rémillard, qui suit le dossier au MEQ depuis 1987. La signature de La paix des braves, en 2002, a cependant créé un climat de collaboration et de confiance très favorable. Avant, les commissions scolaires nous disaient de nous mêler de nos affaires. Aujourd’hui, elles nous demandent de les aider. Les écoles pourront ainsi bénéficier d’expériences heureuses qui ont été tentées au Québec et même ailleurs dans le monde. »

CARTIER REVU PAR LES CRIS

Ils en avaient assez de se faire raconter leur passé par les Blancs. Dans leur histoire du Québec et du Canada, deux auteures cries ne mâchent pas leurs mots.

Les « changements désastreux » provoqués par la venue des Européens en Amérique du Nord, l' »effet dramatique » de l’arrivée des Jésuites sur la vie des Hurons, « l’impact très négatif » du régime des pensionnats voués à l’assimilation des autochtones… Une histoire du Québec et du Canada, publiée par la Commission scolaire crie en 2002 (284 p., 149$), n’oublie rien de ce qui touche les autochtones. Destiné aux élèves cris de 4e secondaire, cet ouvrage est le premier du genre au Québec et il vient appuyer le programme d’histoire adapté depuis quelques années par la CSC.

Les auteures, Sarah Pashagumskum, conseillère pédagogique à la Commission scolaire crie, et Emily Faries, professeure au Département des études autochtones de l’Université Laurentienne, à Sudbury, ne mâchent pas leurs mots. Par exemple au sujet de Jacques Cartier, en 1534: « L’hiver a été difficile. Les hommes de Cartier ont été atteints du scorbut, que les Stadaconéens ont guéri. Au printemps, au moment de son départ, Cartier les a remerciés en enlevant leur chef et certains membres de son groupe. »

Dans le chapitre sur « l’origine du concept du problème indien », elles dressent la liste des « activités autochtones incompatibles avec les activités coloniales » (pratique religieuse, éducation, rythme de travail) et des « activités coloniales qui entraient en conflit avec les activités autochtones » (coupes à blanc, surpêche, économie capitaliste). Elles énumèrent aussi les répercussions du commerce des fourrures (maladie, consommation accrue d’alcool, dépeuplement) et suggèrent d’en discuter en classe.

Abondamment illustré, publié en anglais et en français, ce beau livre est distribué dans toutes les écoles cries (pour le commander: www.cscree.qc.ca). Seuls hics, selon les enseignants interrogés: le niveau de langue très élevé, pas forcément adapté aux élèves du secondaire, et l’absence de cahier d’exercices.