Et si on payait mieux nos avocats ?

Parmi les avocats qui acceptent des mandats d’aide juridique, nombreux sont ceux qui tournent actuellement le dos à cette pratique en raison de la faible rémunération prévue à cet effet.

Photo : iSotckPhoto

Il peut paraître parfaitement délirant de plaider pour une meilleure rémunération du métier d’avocat. Pourtant, il s’agit là d’une des causes majeures de la crise que traverse actuellement le régime d’aide juridique québécois. Ceux qui constituent – ou devraient constituer – la colonne vertébrale de notre système de justice, les avocats qui acceptent des mandats d’aide juridique, tournent actuellement le dos à cette pratique en raison de la maigre pitance prévue à cet effet.

Le régime québécois, l’un des pionniers au Canada, a été créé à l’origine afin de permettre aux plus vulnérables de notre société d’avoir accès à une représentation par avocat, qui serait autrement trop onéreuse pour eux.

Il existe deux avenues par lesquelles le citoyen admissible peut accéder au régime.

La première voie est celle du régime public : un avocat salarié travaillant à temps plein dans un bureau d’aide juridique prendra en charge le dossier du citoyen. Pour les étudiants en droit qui aspirent à une pratique diversifiée avec de bonnes conditions de travail, les emplois dans les bureaux d’aide juridique sont très convoités. Exit le mythe du « mauvais » avocat de l’aide juridique. On y trouve des professionnels éminemment qualifiés, qui souhaitent faire vivre la mission de l’aide juridique : l’accès à la justice pour tous.

La seconde voie pour se prévaloir de l’aide juridique est de confier le mandat à un avocat de pratique privée. Et c’est là que l’État erre depuis beaucoup trop longtemps. Dans un dossier en droit familial, l’avocat ne sera pas rémunéré pour toutes les heures de négociations passées dans le dossier. En matière criminelle, aucune somme n’est prévue pour la préparation d’un procès. Un dossier à la Commission des lésions professionnelles, par sa nature même, éminemment complexe, prévoit une rémunération d’à peine 500$ pour l’avocat. Si on fait le calcul de toutes les heures travaillées pour un tel dossier, on flirte avec l’indigence, l’avocat ne touchant même pas le salaire minimum. Ce genre de situation est présente dans à peu près tous les domaines où l’aide juridique peut s’appliquer.

Les tarifs d’aide juridique inconstitutionnels ?

Une campagne du Jeune Barreau de Montréal plaide pour une révision complète de la grille de rémunération des avocats qui prennent des mandats d’aide juridique dans le cadre de leur pratique privée. Ils se fondent d’ailleurs sur une vaste étude faite sur le sujet en 2016. Pour sa part, le Barreau du Québec porte ce dossier de négociation avec le gouvernement du Québec depuis plusieurs années déjà. Tous dénoncent l’immobilisme du gouvernement actuel. Mais le problème perdure depuis bien plus longtemps, et réside dans une phrase devenue comme un mantra : l’aide juridique est le parent pauvre de l’État québécois.

Dans une entrevue au Journal de Québec récemment, le bâtonnier Paul-Matthieu Grondin dénonçait la misère du système d’aujourd’hui : «Nos adhésions au Barreau ne cessent de croître. Mais de moins en moins d’avocats acceptent des mandats d’aide juridique. Il y a 20 ans, environ 14 % des avocats prenaient au moins un mandat d’aide juridique par année. Maintenant, c’est rendu à 8 %, » a-t-il indiqué.

Dans l’indifférence quasi générale, ce combat qui mérite pourtant une très grande attention se fait dans les officines du pouvoir, et même devant les tribunaux. Un recours est actuellement devant la Cour supérieure et vise à démontrer que les tarifs d’aide juridique actuellement versés aux avocats de pratique privée sont si bas qu’ils s’en trouvent être inconstitutionnels.

Régler le problème représenterait un réinvestissement de 52 millions de dollars, selon le Barreau. Une goutte d’eau dans le budget du Québec.

« La dernière offre représentait une hausse de base de 5% de tous les tarifs. Nous avons estimé que c’est insuffisant, surtout considérant que le taux d’inflation a été de 9% entre 2013 et 2019. On considère qu’il s’agit d’une perte nette par rapport à la dernière entente avec le gouvernement. Ça ne tient même pas compte de l’augmentation du coût de la vie, » indique Mylène Lemieux, vice-présidente du Jeune Barreau de Montréal.

Un dossier complexe

Qu’attend la ministre de la Justice Sonia Lebel pour mettre fin à la disette? Après tout, c’est le citoyen qui en souffre. Si un bureau d’aide juridique refuse son dossier pour cause de saturation des ressources, il lui sera très difficile de trouver un avocat de pratique privée à même d’accepter le mandat, compte tenu de la misérable rémunération qui est prévue actuellement.

Certes, il y a une certaine complexité au dossier. Plusieurs domaines de droit se côtoient, chacun avec leur propre cadre de procédure, si bien qu’il est difficile de trouver un cadre uniforme pour réformer le régime. Il n’y a toutefois aucune raison qui justifie que cela traîne depuis toutes ces années, traversant le bureau de plusieurs Ministres de la Justice.

Au moment de publier cette chronique, aucun commentaire n’avait été fait par le bureau de la ministre de la Justice du Québec. Cependant, le Barreau du Québec rappelait, dans sa lettre du 11 juillet dernier, la position très claire de la Coalition avenir Québec quant aux tarifs d’aide juridique : « Les tarifs d’aide juridique sont trop bas depuis plusieurs années, ce qui fait en sorte que les avocats de pratique privée délaissent les mandats d’aide juridique. (…) Le député de Borduas, Simon Jolin-Barrette, prône un réinvestissement massif dans le système de justice afin de bonifier (leur) rémunération, » pouvait-on lire dans un communiqué du parti en 2018.

Il se pourrait qu’on laisse encore traîner le dossier, voir qu’on l’oublie comme cela a été le cas pendant près de 40 ans pour les seuils d’admissibilité à l’aide juridique. En 2012, il fallait gagner 13 353$ par année pour y être admissible, faute d’indexation. Et il aura fallu attendre 2016 pour voir enfin une personne seule au salaire minimum y être admissible…

Il serait dommage que l’histoire se répète quant aux actuelles revendications des avocats.

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