Il y a eu les « enfants du divorce », qui ont connu la séparation de leurs parents et la vie dans une famille monoparentale. Aujourd’hui, il faut plutôt parler des « enfants de la famille recomposée ». À 17 ans, un jeune Québécois sur trois a déjà vécu avec un beau-père ou une belle-mère ! Certains en ont même vu passer plus d’un sous leur toit, autant chez leur mère que chez leur père.
La vie familiale a radicalement changé en quelques décennies. Et la tendance se poursuivra, estime la sociologue Hélène Belleau, directrice scientifique de Familles en mouvance, un groupe de chercheurs de plusieurs universités et ministères spécialisés dans l’étude de la famille québécoise contemporaine. « On peut s’attendre à ce que les unions soient tout aussi éphémères qu’elles le sont actuellement », dit-elle.
Les séparations surviennent en effet de plus en plus tôt dans la vie des enfants. Le quart des jeunes nés à la fin des années 1990 ont vécu la rupture de leurs parents avant d’avoir cinq ans et demi. « Beaucoup de jeunes ont fait l’expérience de ménages qui se sont décomposés et recomposés ; ils ont probablement beaucoup de demi-frères, de demi-sœurs, de grands-parents et de beaux-grands-parents ! Cela fait manifestement partie du paysage actuel des jeunes qui ont 18 ans », dit Hélène Belleau.
L’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ), une enquête de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) qui suit près de 1 500 jeunes Québécois depuis leur naissance, en 1997-1998, s’intéresse non seulement au moment de la séparation, mais aussi à la trajectoire familiale qui suit. Au moment de la collecte de 2015, alors qu’ils avaient 17 ans, un jeune sur cinq vivait dans une famille recomposée. Et un sur trois avait déjà connu cette réalité.
Plus répandue qu’avant, la séparation est moins stigmatisante qu’elle l’était, fait remarquer Marie-Christine Saint-Jacques, professeure à l’Université Laval et directrice scientifique du partenariat de recherche Séparation parentale, recomposition familiale. Le moment de la séparation demeure bouleversant, mais ne signifie plus qu’on ne verra presque plus l’un de ses parents, comme il y a 30 ans, alors qu’un père séparé ne voyait souvent sa progéniture qu’une fin de semaine sur deux. S’il y a une recomposition familiale, c’est même à une multiplication des liens et des relations qu’on assiste. Parfois pour le pire, mais souvent pour le meilleur.
D’autres formes familiales continueront aussi de prendre de l’importance, estime la sociologue Hélène Belleau. « On peut penser qu’il y aura davantage de familles avec des parents de même sexe, et ce qu’on appelle de la pluriparentalité, c’est-à-dire des couples qui auront recours à un donneur, à une mère porteuse, etc. » Le nombre d’enfants vivant avec des parents de même sexe est encore minuscule — il y en avait 9 600 dans tout le Canada lors du recensement de 2011 —, mais c’est déjà plus du double de ce qui avait été observé 10 ans plus tôt.
29 ans
C’est l’âge moyen auquel les Québécoises deviennent maman pour la première fois. C’était 26 ans en 1991.
2 bébés sur 3 naissent de parents non mariés
1 bébé sur 3 a un parent né à l’étranger. C’était 1 sur 5 en 2000.
1,7 enfant par femme
Les démographes croient que l’indice de fécondité des Québécoises continuera d’être faible au cours des prochaines décennies. Il faudrait 2,1 enfants par femme pour assurer le renouvellement de la population.
Source : Institut de la statistique du Québec
Comme l’union libre continue d’avoir la cote — au Québec encore plus qu’ailleurs —, on peut croire que seulement le tiers des jeunes adultes d’aujourd’hui se marieront avant d’avoir 50 ans, estime l’Institut de la statistique du Québec.
Les autres convoleront peut-être plus tard… « C’est une autre particularité québécoise que nous avons notée dans nos études, confirme Hélène Belleau. Beaucoup de couples ont comme projet de retraite de se marier. C’est un renversement complet du sens du mariage. Plutôt que de se faire une promesse, on célèbre nos années de vie passées ensemble. »
Un couple qui survit à 25 ans de vie commune de nos jours, cela mérite en effet d’être souligné.
Côté couple
Le couple, oui, mais plus à n’importe quel prix. L’amour peut prendre tant d’autres formes.
Il y a l’« ami de baise », qu’on appelle en renfort le vendredi soir ; l’« ami avec bénéfices », avec qui on partage surtout des activités sociales et, à l’occasion seulement, son lit. Il y a aussi les partenaires romantiques sans engagement, qui partagent une intimité physique et affective, mais ne se doivent rien. Et des polyamoureux, qui forment des trios (ou plus) avec leurs règles propres.
Ces configurations ne sont certes pas nouvelles, mais elles semblent prendre de l’importance, a observé Martin Blais, chercheur au Département de sexologie de l’UQAM, au cours de l’étude ÉPRIS (pour Étude des parcours relationnels, intimes et sexuels), menée auprès de 6 000 Canadiens, surtout des jeunes Québécois. « Ce qui est nouveau, c’est qu’on leur donne un nom et que bien des personnes se réclament de ces étiquettes », dit-il. Cette complexification des rapports amoureux est là pour de bon, croit-il.
Les frontières de l’orientation sexuelle semblent devenues tout aussi floues que celles du couple, révèle aussi l’étude ÉPRIS. Parmi les femmes se définissant comme hétérosexuelles, deux sur cinq ont dit ne pas être « exclusivement » attirées par le sexe opposé. Même chose pour un homme sur cinq. Verrons-nous davantage de personnes se présenter comme bisexuelles dans un avenir proche ? « Difficile à dire. Pour revendiquer l’étiquette, il faut s’y reconnaître, commente Martin Blais. Est-ce qu’il y aura plus de pratiques avec des personnes de même sexe ? Ça, possiblement. Ça fait partie des tendances. »
Si le couple demeure toujours le modèle favorisé par la plupart des jeunes (c’était le cas de 70 % des jeunes d’ÉPRIS), les conditions de cet amour ont changé. « On est certainement moins prêt à renoncer à une partie de ses rêves pour réaliser ceux du couple », souligne le chercheur. Conséquence possible : « Acquérir un certain cynisme par rapport aux relations. Les charger de moins de sens qu’elles en ont eu à une certaine époque », avance Martin Blais.
Ces jeunes ne feront peut-être pas de la réussite de leur vie amoureuse une condition à leur bonheur. Elle ne représentera qu’un volet de leur vie, à côté des volets « carrière », « voyages » et « projets personnels ».
J’AURAI 18 ANS EN 2018 <<<
Sophie Bernier / Québec / Travaille à temps plein dans une animalerie / Métier rêvé : ne sait pas
« Je sais que je ne veux pas d’enfants ni me marier. Je veux une vie complètement différente de celle de mes parents. Ils sont heureux et je trouve ça vraiment beau, mais ce n’est pas le mode de vie que je souhaite. »
« Si on me donnait le choix entre m’acheter une belle grosse maison et voyager, j’aimerais mieux voyager. La différence, je tripe là-dessus. Des visages, des habits, des modes de pensée différents. Juste le mot “normal” m’énerve. Quand tu penses à une famille, tu vois deux parents et deux enfants. Pourquoi ? Je trouve ça plate qu’il y ait des normes. »
Cet article a été publié dans le numéro de janvier 2018 de L’actualité.
« Pour le meilleur et pour le pire » ne veut plus rien dire. C’est devenu une formule romantique comme une autre: fait pour séduire. Cette promesse ne marque plus aucun engagement ou loyauté. Pourquoi respecter sa promesse si à la moindre difficulté, au moindre inconfort, on est prêt à détruit la famille que nos enfants ont besoin? Les données statistiques ne mentent pas: les jeunes n’ont plus aucune résilience, aucune loyauté envers quelque chose de plus grand que leur petite personne. Les vieux couples que l’on admire tant d’avoir passé 25, 30, 40, 50 ans ensemble n’ont pas eu que des jours ensoleillés. Se regarder dans le miroir? Travailler sur soi? Trop difficile. Un obstacle à nos rêves.