Elle a ce côté droit dans ses bottes et cette émotion qu’elle ne cache pas. La coroner Géhane Kamel a attiré mon attention bien avant qu’elle ne soit interpellée pour « partialité » le printemps dernier, en raison de ses dures interventions lors des audiences sur la mort de l’Attikamek Joyce Echaquan, à Joliette. Avant le choc qu’a ensuite causé son rapport final avec recommandation au gouvernement de François Legault de reconnaître le racisme systémique.
Je l’avais plutôt remarquée à la fin mars, au moment où elle entamait un autre mandat d’une douloureuse actualité : l’enquête publique sur les décès survenus dans six CHSLD et une résidence pour personnes âgées lors de la première vague de la pandémie.
D’entrée de jeu, Géhane Kamel a rappelé que la moitié des décès attribués à la COVID-19 étaient survenus dans ce type d’installation, et qu’ils s’étaient produits « dans des conditions parfois déplorables, négligentes, voire inhumaines ». Elle devait aux familles des victimes de comprendre ce qui s’était passé.
Pour ceux et celles qui ont pleuré seuls dans leur coin l’abandon dans lequel des milliers de résidants vulnérables se sont retrouvés, laissés sans soins au point d’en mourir, c’était déjà une consolation d’entendre de tels mots : enfin, ces morts-là seraient prises au sérieux ! Mais il fallait ensuite oser poser les questions faisant mal à entendre. Géhane Kamel a été à la hauteur de la tâche, pour les CHSLD comme pour Joyce Echaquan.
Une enquête du coroner n’est pas une recherche de coupables, mais de la vérité. Et cette vérité-là, on doit la sortir de la bureaucratie, de l’indifférence, de la déresponsabilisation.
Certes, ce fut direct, parfois brutal. Elle a toutefois expliqué à maintes reprises pourquoi : une enquête du coroner n’est pas une recherche de coupables, mais de la vérité. Et cette vérité-là, on doit la sortir de la bureaucratie, de l’indifférence, de la déresponsabilisation.
Quand la préposée qui a injurié Joyce Echaquan a affirmé que ses commentaires étaient bienveillants, Géhane Kamel lui a fait réécouter la vidéo que Mme Echaquan a eu le réflexe d’enregistrer avant de s’éteindre. « Ça, vous pensez que c’est dit plein d’amour ? » a ensuite lancé la coroner.
Et pendant les audiences sur le CHSLD Herron, où la longue liste de ce que les résidants ont subi a dû faire l’objet d’un avertissement dans les médias, tant elle lève le cœur, elle a exprimé toute son incrédulité devant la passivité de ceux que la société croyait gardiens de leur bien-être. « Il y a des gens qui sont dans leur merde, qui sont dans leur pisse. Il y a des gens qui n’ont pas mangé, qui n’ont pas bu. Comment c’est possible que les trois médecins ne soient pas au courant de ça avant la conférence de presse ? » a-t-elle dit en faisant référence à la rencontre d’information qui a suivi les révélations du journaliste Aaron Derfel, du quotidien The Gazette, sur ce qui se passait dans l’établissement, au printemps 2020.
C’est cette horreur-là qu’il faut expliquer. D’ailleurs, s’est inquiétée la coroner, sans ce reportage, combien de morts de plus y aurait-il eu ?
Elle en a perdu le sommeil. Au point qu’à la fin septembre, à la dernière journée des audiences sur Herron, Géhane Kamel a décidé d’y ajouter trois jours. « [Autrement,] s’est-elle justifiée, si j’étais une des familles touchées par cette tragédie, j’aurais l’impression de partir avec tellement de questions… »
Les familles n’ont jamais cessé d’être son fil conducteur. En avril, elle a suggéré aux dirigeants du CHSLD Laflèche, à Shawinigan, d’appeler celles des 44 résidants décédés pour leur offrir leurs condoléances, et cette même sensibilité l’a amenée à souligner la peine des proches de Joyce Echaquan, en octobre, en présentant son rapport sur la mort de celle-ci. « Certains témoignages m’ont ébranlée », a-t-elle précisé.
Car Géhane Kamel ose le dire quand elle est tourmentée ou touchée. Avec elle, on n’est pas dans les normes aveugles, la froideur technique du droit, mais plutôt du côté des humains pris dans un piège dont ils auraient dû pouvoir sortir.
À l’image, au fond, d’une autre enquête, menée en 2019 — sa première à faire les manchettes depuis qu’elle avait été nommée coroner, deux ans auparavant. À l’époque, ce n’est pas son nom qu’on avait retenu, mais celui de Gilles Duceppe, ex-chef du Bloc québécois et surtout fils d’Hélène Rowley Hotte. La femme de 93 ans était morte de froid par une nuit glaciale de janvier parce que des portes s’étaient verrouillées derrière elle dans la cour intérieure de la résidence où elle demeurait.
Les négligences qui ont conduit à cette mort atroce étaient si nombreuses que le rapport de Géhane Kamel fut implacable. Déjà, elle ne tournait pas autour du pot, la nouvelle coroner !
J’aime croire que c’est une leçon tirée de ses 17 années passées comme éducatrice spécialisée dans les centres jeunesse, avant de retourner aux études pour faire son droit : l’humanité est la base, jamais une option.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2022 de L’actualité.
Pour savoir qui faisaient OU NON ce qu’il faut pour qu’aucun résident ne meurre de faim ou de soif, ce qui donnerait les meilleures indications, c’est des courriels reçus par le MSSS, ses principaux acteurs et par les 2 ministres concernées.
Concernant le CHSLD Herron, trouvez les courriels de mars 2020, de type « Alerte de vie ou de mort », c’est bien plus parlant que d’analyser les compte-rendus des inspecteurs.
Question au gouvernement OU à mme la ministre McCann ET mme la ministre Blais:
« Quelque part en mars_2020, un bureau du gouvernement a reçu des courriels disant que des résidents du CHSLD HERRON risquaient de mourrir de soif ou de non-nutrition.
À quelleS dateS précises, avant le 27 MARS 2020, ont été reçu ces courriels d’alerte de type vie ou de mort ?
Quels ont été les cheminements de ces courriels (et fax) venant de personnels en soins et autres du CHSLD HERRON ? Ça a passé par quelles mains, et ça a aboutit à qui ? »
Bravo à toi Jéhane Kamel. Tu fais un travail extraordinaire. Grâce à ton travail acharné et exemplaire, les familles concernées et nous les payeurs de taxes comprendront beaucoup mieux cette triste réalité. En espérant vivement que le gouvernement adopte les recommendations de ton rapport et les mesures de redressement qui s’imposeront. Tu comprendras que Louise et moi insistont pour ne pas suivre cette route d’enfer que toutes ces personnes en CHSLD ont souffertes et indirectement tous leurs proches. Bonne poursuite dans tous ces dossiers et et belle et bonne année 2022 à toi et ta famille.
Quel dommage que des annonces s’affichent sur le texte de ce très bon article…
Ceci dit, Mme Kamel m’émeut et me donne confiance en l’humanité. Bravo pour ce franc parler.
Par rapport à la mort de Mme Echaquan, le Secrétariat des affaires autochtones offre de très bonnes formations pour les employés du gouvernement au sujet des droits et réalités autochtones. Il me semble de bon ton de donner accès à ce type de formation aux gens qui oeuvrent dans le domaine de la santé.
Les bonzes du système judiciaire ont blâmé Mme Kamel pour poser des questions difficiles et montrer ses sentiments lors des enquêtes du coroner qu’elle présidait. Or, une enquête du coroner c’est justement une enquête où le coroner agit comme commissaire enquêteur, pas comme juge et son rôle c’est d’aller au fond des choses.
Les bonzes du système juridique et du gouvernement étaient offusqués de voir leur négligence et leur indifférence face à ces drames défiés par Mme Kamel et ce n’est pas surprenant car ce sont eux qui sont les plus grands acteurs du racisme systémique envers les Autochtones qu’on retrouve au Québec non seulement dans le système de santé mais aussi dans tout le système judiciaire, à partir de la police en passant par les avocats, les juges et finalement tout le système carcéral. C’est ça la réalité et je dis merci à Mme Kamel de pointer du doigt ces horreurs qui doivent cesser.
I would like to talk a lot about that, I agrre with this article and to contribute with some ideas.