Grosse fatigue

La fatigue est un problème de société qu’on ne réglera pas en s’inscrivant au cours de yin yoga du lundi soir, même si ça ne peut pas nuire. 

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

La houle est le produit de tempêtes dont les effets se propagent d’un bout à l’autre des océans. Dans notre « village global », les sociétés sont soumises à de semblables agitations des mœurs et à leurs effets d’amplification.

Or, comme une déferlante trop imposante pour qu’on y puisse surfer, une grande fatigue menace désormais de nous engloutir, si je me fie à une certaine confluence d’idées dans le monde littéraire.

J’entendais l’autre jour l’autrice Geneviève Pettersen autopsier les idéaux féminins qu’induit la pression sociale lors d’un échange à propos de son nouveau roman, La reine de rien. Quelques mois plus tôt paraissait Au pays du désespoir tranquille, de l’artisane de la télé qu’est Marie-Pierre Duval. Elle y raconte les mirages de la méritocratie et ce qui taraude les « bonnes petites filles » devenues grandes. Celles que l’on remercie de se sacrifier sur l’autel de la perfection au travail. Puis est sorti À boutte : Une exploration de nos fatigues ordinaires, un bref essai de la prof de cégep et autrice Véronique Grenier qui inventorie ce qui nous leste.

Ce n’est pas une coïncidence si ces ouvrages paraissent presque tous en même temps. Ni s’ils sont signés par des femmes.

La pression chez elles est exponentielle. Elle vient de tous les côtés. De la nécessité de mieux faire que les hommes pour simplement les talonner. De l’image projetée et attendue par les autres femmes. Des mirages numériques qui renvoient le reflet mensonger de familles lisses dans un décor bucolique au soleil couchant.

Qu’on soit homme ou femme, il est devenu socialement révéré d’être au bout du rouleau. Ainsi, on est constamment à fond dans tout, et si notre patience envers ceux qui refusent d’emprunter le TGV de notre existence s’étiole rapidement, en vérité, c’est avec nous-même qu’on a le moins de tolérance lorsque ralentit la cadence.

C’est aussi ce qui ressort de ce que disent ces autrices : le poids de la pression que l’on s’inflige. L’intraitable critique de tous nos manquements à la performance. Et les seules solutions qu’on nous offre sont toujours de faire plus avec moins.

Un compte Instagram proposait dans mon fil une série d’ouvrages « que tout homme devrait lire » : une compilation de bouquins de motivation et de trouvailles pseudo-scientifiques faisant l’éloge du surhomme. Surtout, un ramassis de lieux communs suggérant de calquer le mode de vie des psychopathes qui ne dorment que deux heures par nuit pour obtenir plus de succès. Je préfère encore lire ces femmes qui dénoncent la tyrannie des apparences et me heurter au vertige de la liste des choses qui me fatiguent aussi.

La fatigue de l’insatisfaction chronique. Celle de prendre conscience que le stress de ne pas assez dormir est une pensée qui me garde éveillé.

La fatigue n’est pas qu’un tarissement de l’énergie, c’est parfois une incapacité à arrêter de bouger. C’est la lassitude qui se perd dans le mouvement qui, lui, ajoute à l’épuisement.

Je suis fatigué de ne pas être une assez bonne personne. De trop parler au lieu d’écouter. Parmi toutes, la fatigue d’être soi est l’une des plus pénibles. Je suis aussi fatigué d’avance des commentaires que suscitera cette chronique, dans lesquels on me dira de prendre des vacances pour me reposer. Je serai fatigué de me sentir coupable d’en prendre. Puis fatigué d’en revenir et de me sentir comme une merde à cause du décalage entre la vie à côté de la vie et la vie dans la vie.

Alors je roule, je cours, je skie, je fais du yoga, du pilates. Je travaille tout le reste du temps ou presque. La fatigue n’est pas qu’un tarissement de l’énergie, c’est parfois une incapacité à arrêter de bouger. C’est la lassitude qui se perd dans le mouvement qui, lui, ajoute à l’épuisement.

Dans son ouvrage, Véronique Grenier se demande quoi faire de notre fatigue. On attend le burnout ? On fait comme dans une musicographie à MusiMax et, après la pause, on sombre dans l’enfer de la drogue ?

Les jeux vidéos, la pêche, la marche en forêt et l’intoxication susmentionnée ne sont que des expédients temporaires pour envoyer paître ces fatigues. Il m’arrive de rêver de retraites de méditation. Mais encore là, le répit ne serait que provisoire.

La fatigue est un problème de société qu’on ne réglera pas en s’inscrivant au cours de yin yoga du lundi soir, même si ça ne peut pas nuire. Notre fatigue devrait être une priorité de santé publique pour laquelle je ne vois cependant aucune solution envisageable.

C’est le vent de la tempête qui traverse les océans pour mieux former la houle qui nous donne le mal de mer. C’est un appel à la productivité, au conformisme. Dans ce contexte, ralentir relève de l’hérésie.

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Je suis très interpelé par votre article « Grosse fatigue ». Je vis la même chose même si je suis à la retraite depuis 6 ans. Je n’ai pas de conseils à vous donner. Je suis moi-même en recherche d’équilibre. Je me pose seulement la question: pourquoi? Pourquoi toute cette agitation? Pour moi, à cette étape de ma vie, c’est pour avoir l’impression de valoir quelque chose, de me sentir utile à la société même très modestement. Et pour vous? Est-ce pour être « dans la gang »?Pour garder le lien avec les gens que vous appréciez? Car vous le dites bien « ralentir relève de l’hérésie »; c’est difficile d’agir à contre-courant. Et c’est un enjeu de société sur lequel il n’est pas aisé d’agir seul. Merci des références: je les mets dans ma liste de lectures car j’aurai plaisir à lire ce que les jeunes femmes pensent et vivent aujourd’hui.

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Intéressant et bien plaidé!
Gratitude.
Suis professeur créateur en psychiatrie préventive, Faculté de médecine, Université de Montréal, où j’enseigne le cours Méditer simplement aux étudiantes et étudiants de médecine depuis une dix ans. Les bénéfices avérés de méditer sont solides notamment dans des études aux facultés de médecine des universités Oxford et Brown. IMPORTANT: Méditer n’est pas n’est pas le cliché dénigré par certaine chroniqueuse motivée par la vente de SA façon qu’il faut vivre. Des exercices simples de méditation de type régulation émotionnelle sont efficaces et gratuits (pour le dodo inclus.) on dit méditation informelle: s’inviter doucement à être présente au moment, par exemple, de l’éveil, de ramener l’attention aux sensations corporelles de l’instant, par ex. la plante des pieds si on se déplace à l’intérieur et ou à l’extérieur. Vous êtes votre maître zen, vous décidez sur quelles sensations vous portez votre attention et si votre esprit se met à papillonner, en sourire puis si le moment est propice vous ramenez doucement votre attention sur la sensation choisie, sans vous critiquer d’avoir papillonné.
Bouger mains et doigts *en pleine présence* même lorsque la tornade de vos doigts se garoche sur votre clavier; ou, plus romantique, érotique la houle de vos doigts sur l’échine de votre amour…
Pratiques GRATUITES méditatives numériques, déjà visitées un million de fois:
http://www.medecine.umontreal.ca/presence
En mai: Cours universitaire gratuit, numérique, ouvert. Titre: Méditer simplement.
30 brèves vidéos – créer par Hugues Cormier, Professeur-chercheur et directeur,
Centre Présence en médecine intégrative –
Soulager la détresse humaine, Faculté de médecine, UdeM

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Peut être commencer par: pourquoi je fais tout ça? Prélude à : qu’est ce que je désire vraiment? Qui je veux vraiment être?
Se définir par rapport à soi-même plutôt que par rapport aux autres…
Je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais il faut bien commencer quelque part. Et puisque vous avez amorcé la prise de conscience, peut-être le fruit est il assez mûr pour aller un peu plus loin dans cette merveilleuse recherche.
Bon voyage en vous même!

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