Humain trop humain

Les dirigeants de la deuxième économie mondiale ont dû bien rire en apprenant que deux héros militaires américains ont été écartés du pouvoir pour « des histoires de femmes ».

L'édito de Carole Beaulieu - Humain trop humain
Photo : Wikimedia / CC 2.0

En Chine, un siècle de communisme n’a pas éradiqué la tradition des bao ernai (secondes épouses) et des maîtresses. Le fol essor économique des dernières années a même fait exploser le phénomène. Riches entrepreneurs et hommes en vue collectionnent les jolies femmes.

Entre la première et la deuxième puissance économique du monde, le contraste moral et culturel ne pourrait être plus grand lorsqu’il s’agit de sanctionner les relations adultères des haut placés. Elles sont glorifiées en Chine – à moins qu’elles ne s’accompagnent de corruption trop évidente – et sévèrement punies aux États-Unis. (Le ministre des Transports ferroviaires de Chine, Liu Zhijun, a été démis pour avoir accepté des pots-de-vin, pas pour avoir eu 18 maîtresses !)

L’infidélité du directeur de la CIA, David Petraeus (photo ci-dessus), 60 ans, avec sa biographe de 40 ans, Paula Broadwell, diplômée de West Point et membre de la Réserve nationale, justifiait-elle sa démission ? Cette incartade valait-elle que son expérience ne puisse plus servir la démocratie américaine et l’ensemble du monde libre ?

Les Chinois auraient probablement répondu non si Petraeus avait été l’un des leurs. Et blâmé sa maîtresse d’avoir contribué à la chute du grand homme.

Cet état d’esprit si différent est souvent bien raconté par le romancier canadien Ian Hamilton dans une série de romans mettant en vedette Ava Lee, une très athlé­tique comptable de Vancouver qui traque partout dans le monde l’argent de ses clients, victimes des manœuvres complexes de la Chine moderne. Fille d’une seconde épouse vivant au Canada, Ava Lee sait que l’argent plus que la passion motive les choix des femmes chinoises d’aujourd’hui.

Ava Lee se serait sans doute demandé si l’autre protagoniste de ce scandale sexuel – Jill Kelley, 37 ans, qui a alerté le FBI et déclenché la chute du directeur de la CIA – n’était pas motivée par l’argent et non par la crainte des courriels anonymes qu’elle recevait. (Ces courriels étaient envoyés, on le sait aujour­d’hui, par Paula Broadwell, qui dit avoir voulu protéger le patron de la CIA d’une Kelley qu’elle esti­mait dangereuse et intrigante.)

Endettée jusqu’au cou, menant une vie sociale intense dans l’entou­rage des militaires de Tampa, en Floride, la Libano-Américaine Jill Kelley est le maillon mystérieux de l’histoire. Sa correspondance évocatrice avec le général John Allen, autre héros militaire dont la promotion au commandement européen de l’OTAN est aujourd’hui en suspens, confirme l’intérêt de Kelley pour les uniformes tapissés de médailles. Mais on comprend moins sa motivation.

Les Chinois se seraient demandé à qui profite le scandale. Et auraient suivi la piste de l’argent.

Dans l’histoire récente des États-Unis, on ne compte plus les sénateurs, gouverneurs ou espions en chef tombés au combat de l’infidélité (John Edwards, Eliot Spitzer, Bill Clinton, Newt Gingrich, etc.). À force de se vouloir vertueux, les États-Unis ne seront-ils dirigés que par des saints ou des menteurs ? Si Petraeus – marié depuis 38 ans à la même femme et qu’on surnommait « le moine-guerrier » en raison de son ascétisme – a été séduit par l’admiration béate et le corps athlétique de Paula Broadwell, combien d’autres succomberont ?

Les Chinois savent que même leurs grands hommes sont humains. On peut ne pas aimer les conclusions qu’ils en tirent, mais on peut aussi se demander si leur pragmatisme moral ne leur donne pas un avantage dans le monde d’aujourd’hui.