« Ça deviendra bientôt l’épidémie dans la pandémie. » L’image, aussi forte que terrifiante, est de Jean-Rémy Provost, le directeur général de l’organisme Revivre, qui vient en aide aux personnes souffrant de dépression, d’anxiété et de bipolarité. Il n’est pas le seul à s’inquiéter de la détresse psychologique qui commence à se répandre au Québec, et du peu de ressources pour répondre à la demande croissante.
À Revivre, depuis le début de la crise, le volume d’appels a grimpé de 30 %. Du côté de Tel-jeunes, la hausse des contacts (appels, textos et clavardage) est de 48 %, avec plus de 200 contacts par jour. À LigneParents, la hausse était de 56 % en avril.
Le volume d’appels à Suicide Action Montréal oscille entre le nombre habituel — 70 appels par jour — et des pointes à 100, soit 40 % de plus que la moyenne. Luc Vallerand, le directeur général, doit répondre à la demande avec 70 % moins de bénévoles qu’en temps normal, puisque les gens hésitent à se déplacer au centre d’appels pour y travailler, craignant d’y être infectés par la COVID-19. « J’avais 150 bénévoles le 13 mars ; il m’en reste environ 45 », dit-il. Suicide Action Montréal a reçu une aide temporaire de Centraide et du ministère de la Santé pour embaucher des salariés afin de compenser en partie la baisse du nombre de bénévoles.
La crise, c’est le tremblement de terre. Les problèmes de santé mentale, c’est le tsunami qui suit. Ça frappe à retardement. C’est plus sournois. Il fait beau, le déconfinement approche, on ne se doute de rien, comme les insouciants sur la plage après la vibration. Puis, l’immense vague apparaît.
Pas moins de 15 % de la population souffre actuellement de détresse psychologique, soutient la ministre Danielle McCann, qui se réfère à un sondage Léger mené pour le ministère de la Santé. C’est sept fois plus que la normale. Le gouvernement a donc allongé 31 millions de dollars pour bonifier l’offre de service, en plus de multiplier les publicités pour inciter les gens à consulter.
Ça ne suffira pas.
Dans les prochains mois — peut-être même pour deux ans —, le ou la ministre de la Santé, responsable des programmes en santé mentale, en aura plein les bras avec la pandémie. Le réseau hospitalier sera sous tension. L’achalandage aux soins intensifs, l’occupation des lits, les zones chaudes et froides des CHSLD, le dépistage des cas… La liste des priorités sera longue. Et la santé mentale aura de la difficulté à s’y retrouver.
Il est temps de changer de tactique et de nommer un ministre délégué à la Santé mentale. Une personne qui siègerait au conseil des ministres et qui aurait comme seul mandat de garder les yeux sur les indicateurs de détresse psychologique. Un ministre qui pourrait attirer l’attention sur les coches mal taillées du système, coordonner les ressources et motiver les troupes sur le terrain, en plus de relancer le Plan d’action interministériel sur la santé mentale, arrêté depuis le début de la crise. Un élu responsable, qui répondrait aux questions des journalistes et de l’opposition.
« Il n’est pas trop tard pour mener des actions concertées en santé mentale, explique Jean-Rémy Provost. Nous savons que 90 % des personnes qui se suicident vivent avec une maladie mentale, dont des troubles anxieux et de l’humeur. Agir maintenant, c’est sauver des vies. »
Ce serait une première au Québec, mais ce ne serait pas la plus importante invention depuis le pain tranché non plus. L’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Écosse, notamment, ont déjà des ministres responsables de la santé mentale.
Le ministre associé délégué à la Santé mentale et à la Lutte contre les dépendances en Ontario, Michael Tibollo, a été nommé en juin 2019. La province, aux prises avec une hausse des surdoses, plus de visites aux urgences pour des problèmes de santé mentale et des listes d’attente qui s’allongent pour obtenir des services en soins psychologiques, a décidé de mettre de l’ordre là-dedans.
Au Québec, l’attente pour commencer une thérapie auprès d’un psychologue ou d’un psychiatre dans le réseau public varie de 6 à 12 mois. Le système public était saturé avant la crise, m’expliquait récemment Charles Roy, le président de l’Association des psychologues du Québec, qui regroupe 1 500 professionnels des secteurs public et privé. « Nous sommes en pénurie de ressources », affirme-t-il, lui qui pratique dans un CLSC de Montréal. « Dans le public, il nous manque environ 450 psychologues pour répondre à la demande en temps normal. »
Ces dernières années, les compressions budgétaires dans le volet prévention du ministère de la Santé ont fait mal, dit-il. « On perd en moyenne 32 psychologues par année depuis 10 ans dans le secteur public. »
Un achalandage qui se répercute dans le secteur privé, où les psychologues sont fortement sollicités et ne peuvent souvent plus prendre de patients. « Personne ne chôme, poursuit Charles Roy. Je suis inquiet. On ne peut pas abandonner les personnes qui souffraient avant la crise. Il y aura des choix déchirants à faire. »
Il faudra être ingénieux et créatif pour soulager la détresse psychologique de la population. Comme je l’expliquais dans un récent article publié dans le magazine, les catastrophes passées, notamment celle du déraillement à Lac-Mégantic, peuvent nous inspirer.
Or, pour fédérer ces nouvelles pistes d’aide, les lancer avec efficacité et sans attendre, il serait utile d’avoir un chef d’orchestre ministériel.
Surtout qu’il faudra bien comprendre ce qui se produit actuellement. Certains appels à l’aide sortent de l’ordinaire, expliquent les intervenants sur le terrain.
À Suicide Action Montréal, on enregistre un fort volume d’appels chez les plus de 70 ans, un segment de la population où il n’y a pourtant pas un taux de suicide élevé normalement. « On a des personnes âgées qui se jettent en bas de leur balcon parce qu’elles n’en peuvent plus du confinement. Elles sont isolées, stigmatisées et leur détresse augmente », raconte Luc Vallerand.
Chez les adolescents, l’annulation de l’année scolaire jusqu’en septembre a donné un dur coup au moral, affirme Myriam Day Asselin, coordonnatrice expertise et innovation à Tel-jeunes et à LigneParents. « Nos ados sont déprimés, anxieux, isolés. Ils ne peuvent plus voir leurs amis, alors que l’école est un lieu de socialisation important et un refuge pour certains, qui utilisent les ressources d’aide psychologique scolaires. »
Contrairement à l’idée répandue, la majorité des jeunes ne souhaitent pas passer leurs journées dans leur chambre ou terrés dans le sous-sol familial. « Les ados qui nous appellent ne voient pas le bout de la crise et se demandent quel été ils vont passer », dit Myriam Day Asselin.
Quant aux parents, les appels témoignent de familles au bout du rouleau, incapables de gérer la fratrie ou d’instaurer une routine salutaire. « Faire l’école à la maison, c’est un stress de plus pour eux. Les parents se mettent beaucoup de pression pour être parfaits, et présentement c’est impossible, alors l’anxiété explose », raconte la coordonnatrice à LigneParents et à Tel-jeunes.
Jean-Rémy Provost, de Revivre, estime pour sa part que les appels à l’aide en hausse ne représentent que la pointe de l’iceberg. « Quand on souffre, c’est souvent un ami ou un proche qui nous pousse à demander de l’aide, mais ce réseau de vigilance est absent. On a moins de contacts avec les gens qu’on aime. »
En Europe, où la pandémie a quelques semaines d’avance sur l’Amérique du Nord, la vague de détresse psychologique est énorme, dit Jean-Rémy Provost. « On est en contact avec les spécialistes là-bas et on constate que la demande bondit depuis le début de la crise. »
Jean-Rémy Provost affirme qu’un ministre délégué à la Santé mentale est une piste à suivre. « Le premier ministre du Québec est fier, avec raison, d’appartenir à une nation ayant pris les devants avec une série de mesures tant sur le plan sanitaire qu’économique. Il est grand temps que le gouvernement du Québec prenne également le leadership sur le plan de la prévention de la santé mentale. »
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Oui, il nous font un ministre du bonheur et du contentement. Les citoyens font face à l’abîme et sans moyens de reprendre le contrôle de leur vie. Les gens ont des vies vides passées à travailler sans jamais pouvoir explorer ça veut dire quoi d’être en vie. On se reproduit et c’est à peu prêt le seul plaisir non économique réel que la plupart vont jamais expérimenter. Au lieu que le gouvernement nous fournisse un contexte social où on peut s’épanouir, il nous fourni un ministre pour nous dire comment être heureux au travers de ça? Normal qu’à 70 ans, si t’es isolé dans ta pisse pis ta marde que tu te pitches en bas de la fenêtre. La cellule familiale est malade parce qu’on a plus de temps pour avoir des familles. Parce que les salaires sont trop bas. Parce que les dirigeants d’entreprise et les autres avocats & compagnies gagnent trop, etc. Mettez en place des mesures sociales qui visent le bien être des gens, pis on aura pas besoin d’un ostie de ministre du bonheur. Quelle insulte.
Comme j’ai été administrateur d’un Centre d’Écoute et Référence voici un peu plus d’une douzaine d’années, je connais un petit peu la question. Je travaillais jusqu’à parfois 30 heures par semaines bénévolement et plus vous pouvez en prendre et plus on vous en donne. Je n’étais pas le seul qui donnait beaucoup de son temps, sans l’ensemble de nos bénévoles, nous n’aurions tout simplement pas pu rendre l’ensemble des services.
Nos employé(e)s étaient dévoués, ne comptaient pas leurs heures, recevaient le plus souvent une rémunération qui ne reflétait pas ce qui devrait être espéré lorsqu’on a obtenu un grade universitaire. La bonne nouvelle est que sous notre administration, nous sommes parvenus par notre contrôle très rigoureux des finances à augmenter le salaire des employé(e)s. la plupart n’avaient pas obtenu la moindre augmentation depuis plusieurs années.
J’avais des contacts avec d’autres organismes communautaires très semblables au nôtre et leur situation était à l’avenant. La plupart accumulaient des déficits tous les ans. Certains organismes ont disparu. J’ai été membre de l’association Revivre pendant quelques temps et je dois dire hélas que leur réputation est surfaite ; mais ils pallient aux carences du système qui existe actuellement.
Au niveau des thérapies, il est pratiquement impossible de faire un travail en profondeur faute de ressources humaines et de moyens pour répondre à la demande. Un thérapeute, cela ne s’invente pas en quelques jours ou quelques heures de formations. Seule une clientèle huppée peut se permettre d’obtenir un suivi thérapeutique de qualité. Et encore… je n’en suis pas sûr, s’il faut se fier à ce que rapporte Charles Roy.
Bien qu’Alec Castonguay estime : qu’« Il est temps de changer de tactique et de nommer un ministre délégué à la Santé mentale », je ne crois pas qu’une telle approche puisse changer quelques fondamentaux que ce soit. Ce n’est pas au niveau des ministères qu’on change les choses, mais sur le terrain. Tout relève de l’encadrement et il faut donner plus de flexibilité au système.
Cette nécessaire flexibilité ne s’applique pas à la santé mentale seulement. C’est toute la technostructure qui devrait être flexible et adaptative. Par expérience je sais que les solutions viennent dans presque tous les cas de celles et ceux qui œuvrent sur le terrain, parfois disons-le : en toute abnégation.
Jusqu’à présent le beau gouvernement que nous avons, n’a pas semblé avoir été tellement à l’écoute de la population, seulement à l’écoute de quelques idéologues qui plus que jamais imprègnent cet appareil d’État. De toute évidence, rien ne changera. Pourquoi en date du 8 mai 2020, devrait-il en être autrement ?
N’oubliez pas le réseau communautaire en santé mentale qui est la porte d’entrée pour les cas non en crise, en attente d’une place dans le réseau. Le hic est qu’il y a parfois une condescendance des gens du réseau public à son égard. Il y a aussi le réseau social de plusieurs églises Chrétiennes, humanistes, centrées sur le bien-être et sur le coeur relationnel. Mais la religion est rendu comme un tabou au Québec. Pourtant les études en neuroscience montrent l’effet positif d’avoir une vie spirituelle régulière et équilibrée. On a reçu un guide d’info sur l’auto soin et la prévention des infections par la poste. Il n’ y a rien d’écrit sur la santé mentale. Tout concerne la santé physique (matérielle) et rien sur les mesures de santé émotionnelle (relationnelle) et rien sur la santé de l’Esprit (spirituelle). Est-ce qu’un-e ministre pourra changer la situation? N’y a-t-il aucun-e directeurs-trice au ministère de la santé qui pourrait veiller à corriger la situation?
Les personnes âgées (comme je déteste ce surnom) dont tout le monde se sent responsable n’ont plus rien à dire, comme si passé le cap des 70 ans nous devenions séniles et irresponsables! Et pourquoi ne pas prévenir la santé mentale plutôt que la traiter quand elle est là ? La peur morbide de ce virus fera bientôt plus de morts que le virus lui-même comme le tsunami est plus meurtrier que ce qui l’a provoqué. Un ministère de la santé mentale, oui, mais avec des représentants de tous les groupes d’âge. Je suis en prison depuis 8 semaines, « on » nous a laissé sortir (avec restrictions) pendant 2 jours et puis de nouveau emprisonnement pour combien de temps ? C’est de la torture orchestrée par un gouvernement qui a perdu la tête. Pourquoi ne pas les mettre derrière les barreaux pour les laisser goûter à leur propre médecine et mettre des « vieux » à la tête du pays ? Nous avons certainement plus d’expérience.
Thérèse vous êtes superbe dans vos propos.
En URSS, ils étaient organisés en ce sens… l’état offrait un « asile » aux égarés, perturbés, etc.