Le drame de la place D’Youville, avec ses morts, ses blessés et ses disparus — le pire incendie en près de 50 ans à Montréal —, va-t-il changer notre manière d’aborder la question de « l’hébergement collaboratif », comme le veut le jargon gouvernemental, ou de « l’économie de partage », selon les mots trompeurs du marketing ?
Je m’interroge en ayant en tête la tragédie de L’Isle-Verte, où 32 personnes âgées ont perdu la vie en 2014 à la suite du violent incendie qui a ravagé leur résidence.
L’enquête du coroner a mis en évidence des lacunes importantes quant au travail des pompiers cette nuit-là, ainsi que le manque de formation des employés pour évacuer des personnes diminuées. Mais le rapport a également souligné la nécessité absolue que les résidences pour personnes âgées soient toutes dotées de gicleurs automatiques ainsi que de détecteurs de chaleur et de fumée — ce qui n’était pas le cas jusque-là.
Les normes ont donc été resserrées pour ces établissements. Les résidences ont jusqu’en 2024 pour s’y conformer et l’opération va bon train, quoiqu’elle ait été retardée par la pandémie, qui a empêché la venue de travailleurs extérieurs dans ces lieux strictement confinés.
Les résidences pour personnes âgées sont identifiables, il est donc facile de suivre leur mise aux normes. Mais à quoi se raccrocher pour des hébergements touristiques certes illégaux, mais néanmoins extrêmement populaires ? Jusqu’ici, les critiques à leur endroit soulignaient l’effet sur la pénurie de logements et la vitalité des quartiers, mais il faut maintenant y ajouter des enjeux de sécurité.
L’enquête dira si l’immeuble enflammé du Vieux-Montréal était ou non conforme aux normes du Code du bâtiment qui, Airbnb ou pas, doivent être respectées. Mais si des chambres ou des logements de particuliers deviennent aussi fréquentés que des hôtels, je préfère retenir que ceux-ci sont assujettis à des normes de sécurité plus strictes que celles imposées au quidam. Dans quel état, en effet, se retrouvent des appartements « particuliers » où se multiplient les allées et venues ? Aucun visiteur ne se préoccupe de la sécurité de son logis d’un soir autant que peut le faire un locataire au long cours.
Il ne serait donc que logique que la sévérité concernant les hébergements légaux soit appliquée aux « hôtels clandestins », pour reprendre l’expression d’un locataire de l’immeuble de la place D’Youville. Il expliquait alors au Journal de Montréal que des 14 logements de l’édifice, il n’en restait plus que 3 loués à long terme. Tous les autres étaient désormais réservés aux courts séjours. La faute au propriétaire, disait-il. L’avocat de ce dernier évoque plutôt des sous-locations faites par des locataires.
Quoi qu’il en soit, on se retrouve devant des hôtels sans le nom, qui ont pignon sur rue, qui s’affichent sur des plateformes qui n’ont rien de clandestin, et qui pullulent dans des quartiers qui leur sont pourtant interdits. Et personne ne fait respecter les règles ! Québec et Montréal se sont renvoyé la balle de manière très inélégante à ce sujet ces derniers jours. Les inspecteurs, peu nombreux, n’interviennent qu’en cas de plainte. Leur travail représente donc une goutte d’eau dans un univers en explosion.
Mais il faut voir au-delà du découpage des responsabilités, des difficultés de collaboration avec Airbnb et du manque d’inspecteurs. Le problème est plus profond. Il provient du fait que dans l’imaginaire populaire tout comme dans le libellé réglementaire, ces hébergements tiennent encore de la sympathique collaboration entre particuliers. Le simple fait qu’il faille porter plainte pour qu’une inspection soit menée à leur encontre en témoigne. On ne fait pas de visites-surprises chez les gens, n’est-ce pas.
Or, on n’est plus du tout dans la vie privée de braves locateurs : il s’agit bel et bien d’un secteur commercial très actif et très lucratif qu’il serait grand temps d’encadrer sérieusement.
Depuis environ cinq ans, les règles ont commencé à se resserrer en matière de location à court terme dans différentes villes d’Amérique du Nord et encore plus en Europe. En France, entre autres, plusieurs villes exigent désormais que le propriétaire d’un appartement destiné aux touristes possède également, dans le même quartier, un appartement au moins aussi grand offert à la location à long terme. Ces expériences sont encore trop récentes pour en dresser un bilan.
Au Québec, on est toutefois très loin d’une telle approche. Par exemple, il y a bien une nouvelle réglementation qui entrera en vigueur ce samedi 25 mars. Mais elle élargit le droit de louer à court terme, pas l’inverse !
En effet, les propriétaires pourront désormais louer sans aucune contrainte leur logement principal si la durée de la location est de moins de 31 jours. Fini la nécessité de s’enregistrer !
Et pour trouver la loi qui énonce ce nouveau droit, il vaut mieux connaître son numéro, 67, que son nom : Loi instaurant un nouveau régime d’aménagement dans les zones inondables des lacs et des cours d’eau, octroyant temporairement aux municipalités des pouvoirs visant à répondre à certains pouvoirs et modifiant diverses dispositions. Quelques lignes dans une loi fourre-tout symbolisent bien l’importance accordée à l’enjeu.
La ministre du Tourisme, Caroline Proulx, promet maintenant de sévir, idéalement d’ici la fin de la session parlementaire, affirmant même que sa réflexion était entamée depuis décembre. Mais l’exigence législative vient de monter d’un cran : elle devra être à la hauteur du drame qui éprouve les familles des victimes de l’immeuble du Vieux-Montréal.