Immigration : ils réchauffent le Nord !

Une petite communauté africaine grandit dans le Nord-du-Québec. Attirés par des emplois payants et par la qualité de vie, ces néo-Québécois écrivent la nouvelle histoire du pays d’en haut.

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Avec sa boutique La Perle africaine, Hélène Legré met de la couleur à Lebel-sur-Quévillon. Photo : Caroline Hayeur

Ramatou Coulibaly et Harouna Zampalegre sont de la race des pionniers. En 2004, ce couple originaire de la Côte d’Ivoire a bravé la froidure pour s’installer à Chibougamau, dans le Nord-du-Québec, avec ses quatre enfants. « On était les premiers Noirs ici ! » s’amuse Ramatou, 50 ans, cheveux lissés et poignée de main solide. Dix ans plus tard, ils sont toujours là… rejoints par des dizaines d’Africains, eux aussi attirés par des emplois intéressants et la vie paisible près de la nature.

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Bien que diplômés et expérimentés — Ramatou en travail social et Harouna en génie informatique —, tous deux ont galéré pendant trois ans à Montréal sans trouver de boulot à leur mesure. Jusqu’à ce que Harouna soit recruté comme informaticien par le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James. « C’était une chance de faire enfin mes preuves au Québec, et je n’ai pas hésité », raconte ce colosse à la voix douce, qui passe la semaine dans le village cri de Mistissini et rentre la fin de semaine à Chibougamau, à deux heures de route. « Mais beaucoup de Montréalais nous déconseillaient de partir si loin. »

Un choix que la famille n’a jamais regretté. Technicienne en éducation spécialisée à l’école primaire Notre-Dame-du-Rosaire, à Chibougamau, présidente de son syndicat, Ramatou ne reviendrait à Montréal pour rien au monde. « Si tu veux connaître le vrai Québec, c’est en région qu’il faut aller. Nous avons été reçus à bras ouverts et nous sommes vite intégrés. » Les enfants, âgés de 10 à 26 ans, confirment. « Je suis une pure Québécoise », résume la petite dernière, Esther Kadidia, patineuse artistique dans le club des Lames givrées.

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D’origine tunisienne, Yassine Elyagoubi adore sa vie « icitte ». Cet électricien a même appris à chasser l’ours et l’orignal. Photo : Caroline Hayeur

Dopée par le Plan Nord, Chibougamau a besoin de main-d’œuvre qualifiée. Fondée en 1954, cette municipalité, la plus importante de la région avec ses quelque 7 500 habitants, veut attirer les travailleurs et leurs familles ; en témoignent les nouveaux quartiers résidentiels et les garderies. L’organisme Attraction Nord leur offre une pléiade de services, qui vont de l’aide au logement jusqu’au placement de conjoint.

Selon la Table jamésienne de concertation minière, environ 7 500 nouveaux emplois seront à pourvoir dans la région d’ici 2022, sans compter les emplois indirects : construction, santé, éducation, administration… « Même si la totalité des Cris et des Jamésiens voulaient travailler dans les différents chantiers miniers et autres, on ne pourrait pourvoir tous les postes, dit Manon Cyr, l’énergique mairesse de Chibougamau. En plus des Québécois, nous ciblons donc les immigrants, souvent très qualifiés, mais sans emploi dans leur domaine dans le sud de la province. »

Quelque 200 immigrants d’origine africaine et maghrébine travaillent déjà dans les mines, centres de santé, foyers pour personnes âgées et organismes pour la jeunesse de la région. Beaucoup sont venus en famille, vivant surtout à Chibougamau, mais aussi à Chapais, Lebel-sur-Quévillon et Matagami. Dans l’ensemble, tous ceux rencontrés se disent bien intégrés, au boulot comme dans la vie quotidienne. « Ils sont perçus comme n’importe quel résidant », dit Denis Lemoyne, directeur général de la Société de développement économique de Lebel-sur-Quévillon.

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Maximilien Iloko-Fundi, fondateur du Groupe interculturel du Nord et citoyen engagé, et sa femme, Jeanne. Photo : Caroline Hayeur

Chapais prévoit doubler sa population, qui atteindrait 3 000 habitants d’ici 2023. Première famille africaine à s’y installer : celle du Malien Mohamed Diarra, 32 ans, arrivé avec femme et bébé en 2013. Au resto Le Vent du Nord, ce grand mince au sourire resplendissant ne passe pas inaperçu. « Tout le monde me connaît : la presse locale a publié un article sur moi avec ma photo ! » Diplômé en sociologie et en développement local en France, il a comme les autres tenté sa chance à Montréal. En vain. Quand le poste d’agent de développement rural à Chapais a été affiché, il s’est présenté et a été engagé sitôt son entretien par Skype bouclé. « J’ai fait des milliers de kilomètres pour venir au Québec, alors pour moi, Chapais n’est pas beaucoup plus loin ! C’est un milieu convivial et sûr, idéal pour élever des enfants. » Sa petite va maintenant à la garderie et sa conjointe a trouvé un emploi à la caisse Desjardins.

Alors qu’on donnait presque Lebel-sur-Quévillon pour morte à la suite de la fermeture de l’usine-scierie Domtar et de la mine de zinc Langlois, en 2008, la ville renaît. La mine a été relancée par Nyrstar en 2011. Elle emploie 270 personnes, dont environ 10 % d’immigrants armés d’une expérience internationale. Et des initiatives prometteuses se dessinent. Un partenariat a notamment été conclu entre l’entreprise québécoise Ressources GéoMégA et la Ville de Lebel-sur-Quévillon pour Terres rares/Niobium Montviel (mine et usine de transformation), qui devrait créer 250 emplois. Enfin, l’usine de Domtar, rachetée par l’entreprise canadienne Fortress Paper en 2012, compte bien rouvrir ses portes dans les années à venir.

Rencontré à près de 500 m sous terre, tout au fond de la mine, le métallurgiste camerounais Yaya Hamadou, 31 ans, a travaillé six ans en Sibérie avant d’être recruté par Nyrstar. Inutile de dire que le froid ne l’impressionne pas ! « C’est la chaleur de l’accueil qui m’a séduit », dit cet homme réservé dont l’épouse, une Malienne, attend leur premier enfant. « L’intégration est plus facile ici qu’en Russie. »

Le géologue tunisien Zied Tebaibi, 32 ans, a en revanche éprouvé un violent choc climatique : il est passé des 40 ˚C du désert algérien aux – 40 ˚C d’ici. Ce qui n’a pas refroidi son enthousiasme pour sa ville d’adoption ni celui de sa femme, également tunisienne. « Je suis maintenant papa d’un bébé 100 % quévillonnais ! » se réjouit-il.

Son collègue et compatriote électricien Yassine Elyagoubi, 39 ans, s’est lui aussi entiché de Lebel-sur-Quévillon. « J’adore ma vie icitte ! » raconte-t-il, émaillant ses propos d’expressions locales. « J’ai appris à jouer au golf et au baseball, à pêcher sous la glace, et je suis même allé à la chasse à l’ours et à l’orignal. » Comme il le souligne, l’amour du plein air est indispensable pour s’acclimater.

Mais « le » modèle d’intégration, c’est Salah Ben Hassouna, un petit moustachu rieur. Également originaire de Tunisie, cet ingénieur électricien vit à Lebel-sur-Quévillon depuis 1991. Fondateur de la PME Énergie électrique du Nord, il s’est établi au bord du lac Quévillon avec sa famille. Il est intarissable sur sa qualité de vie « unique au monde ».

Hassouna est connu comme « celui qui a rallumé le feu de la Saint-Jean-Baptiste ». Après la fermeture de Domtar, qui avait entraîné une lourde perte en impôts fonciers, la Ville n’avait plus les moyens de subventionner son feu grandiose, salué par le Guinness des records. « J’ai dit au maire que laisser s’éteindre la flamme de la Saint-Jean, c’était laisser entendre que Lebel-sur-Quévillon allait mourir. Pour moi, qui dois tout à cette ville, c’était impensable. » Il a donc fait le tour des commerces locaux et récolté 5 000 dollars pour rallumer le feu. « Depuis, c’est moi qui m’occupe de la Saint-Jean et qui prononce le discours patriotique ! »

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Innot Mush’Ayuma a insufflé aux Chibougamois le goût du soccer. Photo : Caroline Hayeur

À Lebel-sur-Quévillon, les « importés » — comme certains habitants les appellent — sont de plus en plus nombreux, et ils insufflent à la ville un exotisme joyeux. Avec sa boutique La Perle africaine, la Franco-Ivoirienne Hélène Legré y contribue. « Ça met de la couleur ! » dit cette femme élégante en boubou orange, qui a déjà tenu un commerce à Paris… où elle a aussi été policière durant 10 ans. Son magasin regorge de tenues éclatantes, de pots de beurre de karité et de bijoux qui attirent la clientèle féminine locale.

Le supermarché Maxi de Chibougamau s’adapte quant à lui à la clientèle immigrante : au rayon des fruits et légumes, on trouve désormais du manioc, des bananes plantains et même des colocases, plante tropicale dont le rhizome est riche en féculents et en protéines, que les gens du coin apprennent à cuisiner avec leurs amis africains.

Une nouvelle activité sportive a par ailleurs vu le jour à Chibougamau : le soccer. Fondé en 2011 par le Congolais d’origine Innot Mush’Ayuma, le club compte quelque 200 membres de tous les âges, vite devenus accros. Ainsi, une quinzaine de gamins n’ont pas renoncé à leur entraînement, malgré le mauvais temps qui règne en ce soir de printemps. « On aime trop jouer, dit l’un d’eux. Surtout avec Innot ! »

Calme olympien, sourire aux lèvres, le fameux Innot, 50 ans, ne leur laisse pourtant rien passer. « Je n’aime pas qu’on chahute : le soccer, c’est du plaisir dans la discipline. » Innot a été en 2011 le premier Noir élu conseiller municipal à Chibougamau. Nutritionniste de formation, spécialisé en santé publique, il a travaillé six ans comme éducateur en diabète dans les communautés cries de la Baie-James. « Les Autochtones et les Africains ont beaucoup en commun, entre autres le respect des aînés », dit-il. Aujourd’hui coordonnateur régional du Comité jamésien de promotion des saines habitudes de vie, Innot continue de collaborer avec les Cris, qui l’ont adopté.

N’empêche que les « importés » suscitent parfois des réticences. Par exemple, à l’hiver 2013, le restaurant McDonald’s de Chibougamau a recruté dans leur pays une dizaine de Marocains. Un employé chibougamois s’est plaint dans la presse locale d’avoir vu ses heures réduites et d’avoir été privé d’une promotion au profit d’un Marocain embauché après lui. Et à Lebel-sur-Quévillon, en 2011, on a fait des gorges chaudes de la mésaventure d’un travailleur minier tunisien. En état d’ébriété, l’homme a brûlé un arrêt et défoncé un mur du poste de police avec sa voiture.

Pour éviter les dérapages et aider les uns et les autres à se connaître, un comité interculturel a été créé à Lebel-sur-Quévillon en 2013. « Ça permet de recréer une famille », dit Nadège Guiro Abiba, une Burkinabée mariée avec un travailleur minier québécois. Enseignante de formation, elle n’a pas encore trouvé d’emploi dans son domaine. « La barrière de la couleur de la peau existe, il ne faut pas se leurrer. Avant de t’engager, on va toujours te préférer une personne originaire de Quévillon. »

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Salah Ben Hassouna et sa conjointe, Saïda Tawil, sont des modèles d’intégration. Photo : Caroline Hayeur

À Chibougamau aussi, les immigrants s’organisent. Le Groupe interculturel du Nord a été créé par Maximilien Iloko-Fundi, un Congolais d’origine qui travaille comme agent de planification, programmation et recherche au Centre régional de santé et services sociaux de la Baie-James depuis 2008. « Je me considère comme un Jamésien », dit ce père de trois enfants, dont le benjamin est né ici. « Mon devoir de citoyen, c’est de m’impliquer et de redonner à la ville qui nous a si bien accueillis. »

L’atmosphère qui règne en ce samedi soir au centre de plein air Mont Chalco, près du centre-ville de Chibougamau, prouve que Maximilien a réussi. Des dizaines d’Africains et de Québécois sont réunis autour d’un immense barbecue communautaire. Bière ou verre de vin à la main, on discute près du feu, on danse, on se drague…

Parmi les Africains rencontrés ce soir-là : cinq étudiants du Centre de formation professionnelle de la Baie-James. Assurés d’être recrutés sur place par une entreprise minière ou forestière une fois leur diplôme en main, ils ont quitté Montréal sans regret. L’ex-informaticien camerounais Jules Kengne Fotso a décidé de se reconvertir dans la conduite de machine de traitement de minerai. « Avec la mise en service annoncée de mines d’or, de fer et de diamant, le timing est bon, dit-il. Chaque fois qu’on descend voir nos amis restés à Montréal, on les encourage à monter. »

D’autres immigrants font aussi de la publicité pour le Nord-du-Québec. Comme Samir Bouzenad, Algérien de 32 ans, trieur de bois à Chantiers Chibougamau, le principal employeur local (500 personnes). C’est d’abord par amour qu’il a emménagé ici, en 2011. Marié à une Québécoise, Julie Tremblay, aussitôt adopté par sa belle-famille, il est si heureux qu’il a convaincu son ami d’enfance, Mazouz, de venir le rejoindre. « Mazouz a épousé une amie de ma femme, dont il a fait la connaissance quand on échangeait tous ensemble sur Skype ! »

Tous ces pionniers sont en train de bâtir un Nord différent. Resteront-ils ? Certains envisagent de partir lorsque leurs enfants entreront au cégep ou à l’université. Mais la majorité de ceux rencontrés ne pourraient se résoudre à perdre leur Nord. « Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour venir ici, dit Harouna Zampalegre. Mais une fois qu’on a survécu au premier hiver, on découvre une région très attachante. »

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Le même genre de chose se passe au Québec mais de façon plus surnoise c’est tout. Comme des enseignantes de maternelle qui chantent et enseignent encore des chansons racistes aux enfants dans leur classe (mais dont on ne parle jamais) ça se voit TOUS les jours au Vieux-Port de Montréal. Mais au Québec, ça reste sous silence et n’en parle surtout pas dans les médias parce qu’on aime faire à croire qu’on est « moins raciste » au Québec qu’ailleurs (lire: chez les « anglos »). On utilise un cas de succès noir ISOLÉ pour « prouver » que le Québec est « pas raciste accueillant » et autres fausses vérités mais quand des minorités visibles font part de leurs expériences racismes (et il y a en bien plus que les chers médias blancs le montrent) fait fait semblant de rien et ion utilise le même argument de « cas isolé » pour dénigrer et passer le racisme sous le tapis. Bravo pour Mme Legré mais son cas de succès islé n’efface aucune les cas de racisme virulent et commun dans le Québec au quotidien.