J’aimerais voir un psychologue, mais devrais-je laisser la place à ceux qui ont des problèmes plus pressants ?

Je m’appelle Mathieu Charlebois et chaque mois, je réponds à vos grands questionnements existentiels.

Illustration : Stéphanie Aubin

On a commencé l’ère de la COVID en cherchant du papier de toilette, et on va la terminer en cherchant un psy. Les deux besoins sont très différents, sauf sur un point : quand ça presse, ça presse. Par chez nous, le moral tient bon. Je pense quand même essayer de prendre dès maintenant un rendez-vous pour la dépression que je prévois faire en 2024. 

En parallèle, depuis un an, nous semblons tous atteints du syndrome du « y en a des pires ». La réponse à la question « Comment ça va ? » doit désormais contenir obligatoirement une variante de « mais au moins j’ai encore mon emploi » ou de « il y en a pour qui c’est vraiment plus difficile ». Au royaume des aveugles, les borgnes se sentent coupables de se plaindre d’une conjonctivite.

Il est urgent de cesser de minimiser notre mal de vivre et notre incapacité à fonctionner normalement. Car s’il y a une chose pour laquelle nous sommes tous fondamentalement incompétents, c’est bien pour évaluer à quel point on a besoin d’aide. Généralement, quand quelqu’un se dit que ce serait le moment de consulter, ce moment était en fait quelques semaines plus tôt déjà. Alors, si vous ressentez la nécessité de voir un professionnel, ÉCOUTEZ-VOUS et… essayez d’en trouver un. (Comme on disait : manque de ressources.)

Ce qu’il y a de bien avec un psy, c’est que c’est son travail de prêter l’oreille à vos angoisses. À la première séance, évoquez votre inquiétude de prendre la place de quelqu’un d’autre. Il y a sans doute une belle discussion à avoir là, à propos de votre sentiment de n’être pas assez important, de la relation avec votre père, et de comment votre mère vous a abandonné une fois, au centre commercial, en 1986.

Peut-être vous dira-t-il qu’effectivement, votre cas n’est pas urgent et que le deuxième rendez-vous pourrait attendre un peu. Ou peut-être vous dira-t-il d’arrêter de penser que vous ne méritez pas qu’on prenne soin de vous, et il n’aura pas tort.

Mes ados disent que je devrais être sur TikTok, alors que je maîtrise à peine Instagram. Suis-je trop vieille pour tout ça ?

Nous ne sommes jamais trop vieux pour apprendre des choses, mais certaines demandent plus d’humilité que d’autres.

Ce n’est pas l’aspect technique des nouvelles plateformes numériques qui est déroutant. C’est dans le langage, au-delà des mots, que réside le décalage : le rythme et les codes y sont différents, l’humour y devient incompréhensible, les autos roulent à gauche et les chats volent dans le ciel.

On peut ouvrir TikTok, ne rien comprendre et déclarer que tout ça n’a aucune valeur. Ou on peut humblement accepter qu’au début, on va passer un petit bout de temps complètement perdu.

Faire l’effort de s’immerger dans un nouveau monde comme TikTok peut être vraiment enrichissant et nous garder connecté avec le présent. Ou… ça peut nous tenir au courant des dernières danses à la mode. Ce qu’il y a là-dessus n’est pas toujours super éclairant. Si vous n’y mettez jamais les pouces, vous devriez quand même survivre.

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Mathieu Charlebois se montre très prévoyant puisqu’il prévoit d’être en dépression en 2024. J’admire la précision et l’acuité de ses prévisions. Je pense qu’on ne peut absolument pas faire mieux. S’il est pourtant une question existentielle en cette discipline, c’est bien de savoir s’il s’y prend dès maintenant pour obtenir un rendez-vous chez un psy, s’il l’aura avant 2024 alors qu’il serait déjà en pleine dépression.

Si au terme d’une lutte probablement sans merci, il parvenait à consulter avant cette date buttoir, écartant au passage des milliers d’impétrants qui avaient plus besoin que lui — démontrant par le fait-même la puissance de son instinct de survie -, la question est alors de savoir s’il ne fait finalement pas erreur dans ses prévisions. Puisque plus tôt il aura consulté plus vite sa prévision de dépression en 2024 risque d’être écartée.

Peut-il d’ailleurs se payer le luxe de ne pas être déprimé en 2024 ?

La question fondamentale est de savoir, si l’abnégation, consistant à laisser la place à d’autres qui ont plus besoin, n’est pas en tant que telle cathartique puisqu’elle permet de relativiser nos besoins, tout en nous incitant à observer certaines formes d’introspections. Suis-je si malade que cela ? Tout en nous obligeant à porter un regard bienveillant sur les autres, la reconnaissance de la peine et de la souffrance d’autrui nous connecte avec notre propre souffrance et nous aide à comprendre les causes de nos propres désagréments.

Quant-à-moi, je crois bien que je suis devenu un « has been » désormais car avec TikTok, j’suis vraiment pas capab’ d’embarquer. S’il vous plait maître Charlebois, donnez-moi un peu plus d’espoir. Suis-je vraiment comme je le pense, dans une situation complètement désespérée ?