Journal des temps inédits : Le centre d’achat

On sous-estime l’importance du centre commercial pour beaucoup de Québécois. À partir d’aujourd’hui, il y a des gens qui vont commencer à s’ennuyer pour de vrai…

Photo : Daphné Caron

On commence à comprendre la stratégie du Paternel suprême, François Legault. Doucement, morceau par morceau, il nous amène vers l’acceptation de l’idée du confinement total. Les citoyens perspicaces ont « slacké » sur le papier de toilette et font plutôt des stocks de denrées non périssables et de légumes. Hier, je faisais la file devant La Bête à Pain. Une jeune femme racontait que la veille, au marché Jean-Talon, elle avait croisé une équipe de TVA alors qu’elle était en compagnie de son mari et de leur fils de trois ans. « Regarde, Romain, c’est la télévision ! » « C’est quoi, maman, la télévision ? » C’est le moment où les adultes comprennent que s’ils ont vécu le 11 septembre 2001 comme un moment télévisuel, la crise du coronavirus se vivra sur les réseaux sociaux…

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Parlant des réseaux sociaux, les influenceurs sont à la traîne. À part quelques vidéos de lavage de mains, ils peinent à nous fourguer leur camelote, leurs duck faces et leurs vêtements flashants commandités. On s’habille tous en mou ! Leurs créneaux habituels sur Instagram et autres plateformes sont pris d’assaut par les chefs : Bob, Ricardo et Stefano, rassurants, généreux et tournés vers l’autre. Lesley Chesterman, ma « pref », fait office de pédagogue quotidienne. Tous ont signé un pacte secret visant à nous faire prendre cinq kilos pendant la crise.

Leur enthousiasme laisse peu de place aux influenceurs ordinaires, ces marchands de vide. Les plus rusées se sont transformées en coachs de yoga spontanées. Dans des tenues parfaites, accompagnées de leurs bambins rieurs, dans un intérieur bobo au design impeccable, elles font des moves de la mort avec grâce et sourire. Toi, en vieux jean et coton ouaté, sur ton canapé défoncé, tu entends ta racine de cheveux repousser et te sens misérable. Les influenceurs Instagram, particulièrement en temps de crise, sont une catastrophe pour l’estime de soi de la moyenne des ours. On ne dénoncera jamais assez le côté passif-agressif des influenceurs.

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Le trio de choc de 13 h a donc décidé hier de fermer les centres commerciaux, pour éviter les rassemblements encore nombreux qui exposent la population à des risques inutiles — et peut-être aussi pour soulager financièrement les petits commerçants qui devaient continuer à payer des loyers exorbitants tant que les centres demeuraient ouverts. Les protestations ont fusé. Quoi ? On ferme mon centre d’achat ?!? Les snobs qui méprisent ce genre d’endroit ont ricané.

Force est d’admettre que le centre commercial est une image forte, un des lieux emblématiques du Québec ordinaire. Une société y vit, s’y réunit, y marche, y retrouve ses amis. On y « fait société ». Même privé de sa fonction « magasinage », le centre commercial demeure un pilier de socialisation dans les banlieues et les petites villes, une fonction qui est sous-estimée. L’ordinaire y trouve un puissant moteur, la société s’y organise. Ce n’est pas pour rien que les politiciens s’y bousculent pour y serrer des mains en campagne électorale. Tu veux savoir comment se porte le Québec, comment il pense ? Va prendre un café prolongé au Second Cup du Carrefour Laval en avant-midi. Voilà pourquoi le commerce en ligne ne tuera pas TOUS les commerces : le centre commercial est un club social puissant.

Oui, à partir d’aujourd’hui, il y a des gens qui vont commencer à s’ennuyer pour de vrai. La socialisation passera par les écrans, qui font de la résistance. Qui sait si les habitués des cafés du centre commercial ne deviendront pas influenceurs…

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Mon commentaire s’adresse à Mme Marie-France Bazzo. Bravo pour cet info lettre quotidienne sur la crise que nous traversons. Vos observations sont les seules que je vois sur l’aspect social et humain de la situation. La TV et la radio me semblent exclusivement centrés sur l’aspect matériel des choses.

Vous écrivez « il y a des gens qui vont commencer à s’ennuyer pour de vrai. La socialisation passera par les écrans » et vous avez raison. Sauf que les vraies victimes sont les aînés qui ne vivent pas dans ce monde d’écrans de téléphones soi-disant intelligents. On leur enlève TOUS leurs repaires et on les confine à la maison ou en résidence sinon en CHSLD, mouroirs par excellence. Ah, on va enfin pouvoir s’en débarrasser car ne nous illusionnons pas, les aînés vont périr pendant cette pandémie, comme le dit le tandem Legault-Arruda. Mais ce ne sera surtout pas par le virus mais bien par l’ennui et la désaffection de la société pour eux.

Un jeune médecin a même fustigé les aînés qui allaient prendre une marche dehors ! Imaginez-vous qu’ils pourraient tomber et se faire mal. Il ne faudrait surtout pas qu’ils prennent un lit d’hôpital qui serait autrement réservé à un jeune… Un médecin choyé par l’assurance-maladie et la gratuité de l’éducation jusqu’à un niveau élevé qui lui a permis de devenir un médecin et qui ont été faites justement par ces aînés qu’il méprise.

La phrase à retenir de cette crise ça sera sûrement : Tu entends ta racine de cheveux repousser! J’adore!