Au mois de mars, inquiets, tétanisés lorsque nous pensions au déconfinement (en ayant même de la difficulté à prononcer le mot !), nous imaginions une ruée collective exceptionnelle, des embrassades en pleine rue, un mélange de Noël et de 24 juin, des bulles, des partys, des accolades aux inconnus. Nous y sommes presque à Montréal, c’est pratiquement réalisé dans l’ensemble du Québec, et ça s’est fait, comment dire, quasiment dans notre dos !
Le déconfinement nous a été annoncé par ti-bouttes, tel barrage routier disparaissant dans telle région, un salon de toilettage ouvrant par-ci, un commerce par-là. On aura droit dès demain à des soupers 10 personnes-3 familles-2 mètres. Un peu plus et c’est Horacio lui-même qui nous appellera pour nous déconfiner personnellement. Un jeudi matin autour du 11 juin, nous nous apercevrons que tout aura été déconfiné (sauf les restos et l’ensemble de qui touche la culture), et nous ne nous en serons même pas aperçus.
Le déconfinement n’aura pas été une fête, mais un processus administratif.
La parenthèse aura duré 10 semaines, 2 mois et demi dans nos vies personnelles et dans la vie de la société. Au début, nous voulions voir nos familles, nos amis, nos vieux. Il y a des anniversaires qui se sont célébrés en solitaire. Nous avons marché des kilomètres sans but dans les rues, juste parce que nous nous étions fait dire de marcher. Nous nous sommes découverts dépendants de nos coiffeuses. Certains ont imploré, tenté de soudoyer. Il y a les voisins tricheurs qui ont fait des allers-retours entre la maison et le chalet. Peut-être étiez-vous parmi les adeptes de la religion sans gluten qui ont fait du pain comme si leur survie en dépendait. Les enfants dessinaient des arcs-en-ciel que les parents accrochaient aux fenêtres comme des talismans. Il y avait trop d’apéros virtuels, nous nous bricolions une vie sociale frénétique à coups de 40 minutes Zoom. C’était le premier mois.
Après, tous ceux qui n’étaient pas sur la ligne de front se sont retirés dans leurs terres. Nous nous sommes mis à écouter les questions des journalistes plus que le trio gouvernemental de 13 h. Nous avons apprivoisé, puis apprécié le temps suspendu. Ce n’était pas tant une privation de liberté qu’un tissage de nouveaux liens, un apprivoisement de la lenteur, du silence. Des décisions se prenaient dans nos vies enfin apaisées. Beaucoup ont fait le ménage dans leurs relations. Nous avons tous craqué, épuisés mentalement. Puis fait la paix.
Maintenant que la vie, anormale désormais, reprend son cours et qu’on nous a extraits de nos cocons confinés, je vais m’ennuyer de ces temps inédits. Je m’ennuierai de marcher au beau milieu de la rue, comme dans une manifestation solitaire. Je ne me ruerai pas au salon de coiffure, j’aime mes nouveaux cheveux souples et doux, dont la repousse foncée qui se mêle au blond me rappelle que mes racines sont italiennes… J’ai aimé voir le fil des saisons, le déroulement du temps. J’ai adoré le silence, les rendez-vous de 13 h, les projets personnels qui avançaient.
Certes, j’ai eu le confinement privilégié : je n’ai pas perdu mon entreprise, je n’étais pas sur la ligne de front. Comme plusieurs, j’ai vécu ce confinement comme une bulle qui va (un peu) me manquer. Déconfiner, c’est entrer dans cette étrange réalité qui sera la nôtre, plus soviétique, car nous ferons désormais la file pour tout, plus masquée, et plus proche à la fois (tout se fera à proximité, ces prochains mois). Nous conjuguerons notre avenir au futur antérieur, à l’imparfait, et à des formes interrogatives.
Il n’eut pas fallu que nous déconfinassions d’un coup sec…
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Mme Bazzo
Je me pose de sérieuses questions . Comment peut-on passer de A à Z en si peu de temps….. Votre billet sur les régions ( détestable…mais tout le monde a droit à son opinion…) et maintenant, ceci. Je suis une femme de 45 ans qui avait beaucoup d’admiration pour vous… maintenant, je suis simplement agacée…
Madame,
J’ai simplement le goût de vous dire qu’elle nous ressemble avec nos hauts et nos bas. Je ne suis pas toujours d’accord avec elle. Je dirais qu’elle est parfois trop montréalaise. Je la préfère plus universelle un peu comme aujourd’hui alors qu’elle fait état de ce qui nous rassemble, de ce qui nous ressemble.
Ravie de lire « déconfinassions » dans votre rubrique ce matin. Ça fait sourire et ça nous change des fautes d’orthographe qui pullulent dans les médias du Québec.
Ah Madame Bazzo. J’ai suivi votre série de chroniques (Journal des temps inédits) avec intérêt. Je me rends compte que ça ne valait pas la peine d’une lecture assidue. Et voila que votre dernière mouture a confirmé ma déception. Vous avez été des plus négatives et pessimistes tout au long de la crise (qui n’est pas terminée d’ailleurs). Vos commentaires sur le « déconfinement » sont lamentables. Encore des récriminations à peine voilées sur ls gestion du processus. Vous avez perdu des plumes chère dame et vous aurez peine à récupérer votre lectorat…
« Conficior, confici, confectus sum » — Ciceron (106-43 avant JC)
Traduction libre : Accabler, accablé, d’accablement je suis
Ici l’accablement et le confinement de par sa racine latine, tout cela va de pair. Le confinement est une forme d’accablement contraignant. Il est rare que nous nous confinassions purement par plaisir.
Étant donné que confinement et confiture ont aussi une racine commune. « cum » et « facere » (faire), ce qui implique faire une sorte de mue ou de mutation. J’aimerais comprendre comment on fait pour défaire (déconfiner) ce qui a été fait ? Comment puis-je « déconfiturer » mon pot ?
Tout le monde ou presque s’entend pour dire que les choses ne reviendront pas comme avant de sitôt. Ce déconfinement où qu’il soit, implique de nouvelles contraintes qui en apparence sont moins contraignantes que l’étape précédente du confinement. N’empêche qu’une contrainte reste une contrainte.
Ce que nous vivons, c’est plutôt la suite du confinement. Simplement le fil qu’on vous attaché à la patte est un peu plus long. Pas vraiment de quoi décliner à tous les temps et à tous les modes le mot : « liberté ».
Vous devez écrire des articles en réponse à Mme Bazzo.
Cela éclairerai beaucoup de lanternes…
Le déconfinement
Ah! J’adore votre plume, aujourd’hui : elle et vive et vivante, craquante et pleine d’humour.
Tiens, j’y pense : l’humour, c’est bien mieux que l’humeur – LOL!
Bravo!
Et bon déconfinement à vous… malgré tous « nos » regrets. Eh oui! Je suis comme vous : j’ai le confinement facile!
Ça fait du bien de vous lire parce que je me retrouve totalement dans votre réflexion
sur ce déconfinement pas si « graduel » finalement … Le jeudi, M. Legault convenait
avec Valérie Plante que Montréal « n’était pas prête », puis, après un weekend ensoleillé,
tout a changé et on nous annonce que les commerces vont ouvrir. Ensuite, tout est allé si vite.
Je regretterai le silence mais je sais que cette période m’a transformée et redonné le goût
de l’essentiel. Bonne journée et merci pour vos chroniques. Je ne comprends pas toujours
la sévérité des commentaires qui sont laissés ici.
Moi aussi, je ne comprends pas la sévérité des commentaires ou je la comprends que trop peut-être… Je partage entièrement votre commentaire. Ces deux mois ont été pour moi un temps béni qui sera probablement l’un des plus prolifiques de ma vie. J’ai la chance d’avoir des employeurs soucieux de la santé de leurs employés, je suis bien chez nous, la livraison de l’épicerie et de la pharmacie me conviennent totalement et les moments passés dans une nature paisible de tout parasite à moteur ont été des bénédictions.
Merci Madame Bazzo. J’ai apprécié votre plume tout au long de ce confinement. Faites fi des critiques négatives, ce sont des esprits chagrin.
J’aime votre « retour à la vie anormale », car c’est la suite à ces temps inédits, cet arrêt provisoire qui a fait émerger la vie, ce qu’elle « devrait » être à mon humble avis. La tranquillité le matin, les petits oiseaux, pas d’embouteillage sur les routes, l’air presque pur, l’apparition des poissons à Venise, bref, « le paradis sur terre » ! Hélas ? nous savions un peu tous, que ce n’était qu’une parenthèse comme vous dites, la phrase doit se poursuivre en une phase de contrainte un peu sévère à la consommation…Notre drogue centenaire nous a tellement manqué, qu’on prendra notre mal en patiente au sain des fils d’attente. Je pense qu’il faudra se questionner sur ce genre de retour à cette vie qu’on croyait « normale », l’était-elle vraiment? Voulons nous poursuivre sur cette autoroute rendu presque sans limites de vitesse? Aux détriments de qui, quoi ? pour devenir un je ne sais quoi…à méditer je l’espère ! pour donner un vrai sens à cette paralysie mondiale.
Ah oui, un déconfinement à la soviétique! Ça me rappelle mon passage à Moscou dans les années 60 alors que j’ai dû aller au Goum pour acheter quelque chose de nécessaire et que j’ai dû faire la file pour avoir l’item en question puis l’autre file pour le payer… Or, on vit la même chose ici, enfin, dans nos épiceries. Une file pour acheter du poisson ou de la viande et une file interminable pour passer à la caisse. Un voisin de file avait des popsicles dans son panier et on s’est dit que c’était probablement une mauvaise idée, qu’ils seraient retournés en eau rendus à la caisse…