Je n’ai pas attendu les directives gouvernementales pour porter le masque. Dès le début avril, je l’ai adopté pour aller faire les courses, et depuis deux semaines, je le mets chaque fois que les deux mètres de distanciation ne sont pas possibles dans l’espace public. Je le fais pour les autres, mais aussi beaucoup pour moi. J’ai des masques chirurgicaux, des masques maison, un gris, un noir, et j’attends toujours une commande passée il y a un mois et demi… J’en fabriquerai avec de jolis tissus assortis à mes tenues, cet été. Nous serons nombreux, dans les grandes villes, à lui faire confiance, peu importe ce qu’en disent les autorités de la santé publique.
On s’aperçoit toutefois que, au-delà de l’enjeu sanitaire, le masque (certainement incontournable pour plusieurs mois à venir, jusqu’à la généralisation d’un futur vaccin, et pour toujours dans les transports aériens) modifie les rapports à l’Autre. Masqué, notre visage ne parle plus qu’à moitié. Finis les sourires, les moues, les lèvres serrées, gourmandes, polissonnes. Remballées les fossettes. Tout ce qui adoucit, tempère, module la parole reste caché. À moins, bien sûr, d’adopter le masque à message, celui aux motifs délirants ou pimpants qui suscitent la curiosité. Le masque devient ici le nouveau t-shirt à message…
Dorénavant masquées, les interactions demeurent anonymes si on n’engage pas la conversation, là où autrefois, un sourire aurait signifié à l’autre : « je te vois ». Le masque rend invisible et permet de couper court à la sociabilité. Les messages qu’il envoie sont ambigus. Ils disent : « je suis responsable ; je te protège », mais aussi : « je suis méfiant ; tu es une menace à ma santé ».
Le masque est indissociable du virtuel. En réunion Zoom, on se montre. En vrai, on se cache.
Dissimulée, la bouche devient le nouvel interdit, la partie du corps la plus convoitée. Qu’est-ce qui se cache derrière ce masque générique ? Que révélera cette bouche, de quels baisers seront capables ces lèvres, une fois le masque enlevé ? Le rouge à lèvres, inutile derrière le masque, deviendra-t-il le nouvel objet d’érotisation ? Tout comme les parfums sensuels, inaccessibles aux nez couverts, quelle tristesse. On peut aussi prévoir une chute du repulpage des lèvres et d’immenses stocks d’acide hyaluronique inutilisés…
Avec la pandémie, le confinement et la chute des rapports sociaux réels, les corps se sont massivement dé-érotisés, vêtus de mou, moins entretenus, masqués. Depuis des semaines, nous avons remisé nos désirs dans la poche arrière de nos pantalons de joggings. Les rencontres seront dorénavant circonspectes et empreintes de prudence. La figure dévoilée sera l’ultime gage de confiance et d’intimité. Lorsque les masques tomberont, entre personnes dignes de confiance, ils révéleront les visages dans leur nudité. Le masque est le nouveau cache-sexe…
Je m’habitue peu à peu a porter le masque. Est-ce à cause de mon métier d’aidante ou une quelconque autre raison, je ne le sais trop, mais je perçois très facilement le sourire dans les yeux de ceux que je croise avec leurs masques….pour ça, il faut regarder les gens. Et souvent, en prime, ce sont ceux qui disent « merci! »…..
« À moins, bien sûr, d’adopter le masque à message, celui aux motifs délirants ou pimpants qui suscitent la curiosité. » (M.F. Bazzo)
Et vous aurez sur le dos ces âmes pleureuses comme notre nouvel idole du rap a pu l’éprouver. Faudra-t-il là aussi s’excuser ?