Hier, j’ai parlé à ma mère à sa résidence. Il faisait si beau. Elle voulait sortir sur son balcon, au soleil. Elle ne trouvait plus son manteau. Au téléphone, j’essayais de la guider dans son placard, mais, diminuée par l’alzheimer, elle ne trouvait pas. Normalement, j’aurais tenté d’appeler à la réception, pour demander que quelqu’un vienne l’aider. En ces temps fous, j’ai renoncé à déranger le personnel. Ma mère n’a pas senti le soleil sur sa peau. En fait, elle ne sent plus rien, comme les autres locataires de cette résidence. Elle est « parquée ».
On apprenait que les locataires des CHSLD et des résidences privées représentent plus de la moitié des morts de la COVID-19 au Québec, soit 18 sur 31. Le virus, hier, était présent dans 410 établissements. L’ampleur du nombre impressionne. OK, les résidences sont des lieux de vulnérabilité par excellence, mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Ce n’est pas parce que les vieux sont âgés que leur vie vaut moins. Le mot « vulnérabilité » devrait sonner comme une alarme. On aurait dû, depuis longtemps, redoubler, que dis-je, décupler les précautions.
Comment le virus est-il entré chez les vieux ? Nous vivons les conséquences des visites avant le confinement. Les visiteurs, mais aussi les aînés qui sortaient, le personnel soignant, celui d’entretien, tous ont pu l’introduire. Et même encore aujourd’hui, avec l’énorme roulement de personnel, les « anges » tombant malades, des surnuméraires prennent la relève et sont des vecteurs potentiels.
Je m’inquiète pour ma mère. Comment vit-on, dans les résidences, à l’heure du confinement ? Elle s’ennuie, voit un minimum de gens, n’est plus stimulée. Personne ne la rassure ou ne la calme. On sert encore les repas à la salle à manger, une personne par table de quatre. À travers la brume de sa maladie, elle sait un peu ce qui se passe ; elle écoute la radio. Elle me dit qu’elle reçoit toujours des soins. Mais comme les autres, elle n’a aucune vie sociale, aucune stimulation. Le temps s’est arrêté pour les vieux résidants. Nous sommes allés quelques fois sous son balcon, à distance, la saluer. Elle angoisse, elle est résignée. Que se passe-t-il dans sa tête ? Reviendra-t-elle complètement de cet épisode de « mort sociale » ?
J’ai communiqué avec la résidence. Une réceptionniste m’a assurée « que tout [allait] bien, que les mesures [avaient] été prises ». Par contre, personne n’a rappelé ma sœur. Depuis 15 jours, aucune nouvelle officielle, pas un courriel de base sur les mesures prises par l’établissement. Je ne dénigre pas ici le dévoué personnel soignant. Je constate simplement dans cette gestion la vision mercantile inhérente au concept de résidences « privées ».
On dit aimer nos aînés. En filigrane de cette crise du coronavirus perce la manière dont on les considère en temps normal. On les installe dans des lieux tristes. On les soigne et on fait du fric avec eux. On les gère dans une optique bureaucratique (CHSLD) ou marchande (résidences privées). Aujourd’hui, en plus, on les ostracise. Invisibles, ils sont l’angle mort de nos sociétés. Et là, ils sont pratiquement coupés de ce qui les tient en vie. Une fois le virus maté, les séquelles resteront pour nos vieux.
En attendant, j’aimerais bien que quelqu’un trouve le manteau de ma mère. Il fait beau sur son balcon.
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Madame Bazzo, je dois dire que votre texte m’a profondément ému. Ma compagne habite elle aussi dans une résidence privée et me semble, en ce moment, à peu près au même stade que votre mère dans l’évolution (je devrais peut-être écrire «la dégradation» de sa maladie. Pourtant, par bonheur, grâce probablement à une pratique quotidienne, elle est encore capable de communiquer avec moi par FaceTime. Comme vous, je reçois avec horreur et angoisse les chiffres quotidiens à propos des cas répertoriés et des décès dans les résidences privées et les CHSLD. Bien que je sois mal préparé et mal équipé pour prendre soin d’elle, j’ai même proposé d’accueillir ma compagne chez moi le temps de cette grave menace, mais ses enfants s’y sont refusés (sans doute avec raison, car ils ont de bons arguments pour appuyer leur décision).
Malheureusement, la section des «soins» de la résidence où elle habite sortait à peine d’une éclosion de gastro, au cours de laquelle ma compagne et ses voisins avaient été confinés dans leur chambre pendant près de trois semaines. J’avais alors constaté un net recul des facultés de ma compagne pendant cette période de réclusion et de stress.
Et voilà que c’est déjà reparti à cause d’une maladie aux conséquences potentiellement nettement plus sévères. Cette fois-ci il n’est pas question de confinement dans les chambres pour le moment, mais uniquement dans la section. Je m’inquiète à savoir dans quel état ma compagne va sortir de cette nouvelle épreuve, en espérant d’abord, bien sûr, qu’elle en sorte.
Alors, merci pour votre émouvant texte empreint d’humanité. Bon courage à vous et bonne chance à votre mère.
Témoignage fort à-propos et bien senti.
C’est sûr que c’est facile de râler et de pester contre les résidences, le personnel soignant ou les affres de la vie dans ces mouroirs. Mais l’autre façon de faire serait de garder vos parents à la maison avec leur famille comme dans les sociétés dites « traditionnelles ». Les personnes âgées y continuent de vivre dans leurs familles inter-générationelles et ne sont pas parqués dans ces hospices inhumains.
C’est comme ça qu’ils font en Italie et le taux de mortalité est très élevé car les jeunes sont souvent asymptomatique et deviennent des vecteurs silencieux de transmission. Il n’y a pas de solution miracle d’une façon ou l’autre les risques de mortalité chez les personnes âgées demeure élevé.
Ma sœur vit aussi dans une résidence privée. Elle angoisse aussi. Le directeur a pris la décision d’interdire les visites au dépanneur du centre à cause des rassemblements possibles. C’était devenu son seul lien physique avec l’extérieur car elle reçoit déjà ses repas à son appartement.
Cet article de Marie-France Bazzo est tellement venu me chercher. , j’ai eu des larmes aux yeux. J’ai pensé à ma mère qui était justement une victime de démence qui aurait subi le même sort. Nous allions la visiter régulièrement même si parfois elle ne semblait pas nous reconnaître, elle affichait tout e même un sourire en nous voyant.
Je comprends donc ma belle maman qui est âgée de 88 ans de n’avoir jamais voulu aller dans une résidence. Elle vit seul dans son condo et très heureuse.
Je m’inquiète pour nos parents, les aînées de cette société qui sont les archives de notre nation. S’ils disparaissent à cause d’un virus qui s’attaque plus spécifiquement à eux justement ce groupe d’âge de prédilection. Lorsqu’ils disparaîtront, leurs histoires en feront de même.
J’aimerais aussi rajouter; peut-être que ce satané virus n’aura pas qu’apporté du négatif. Il nous aura permis de connecter à nouveau avec famille, nos aînés etc. On constate qu’ il a beaucoup de valeurs à corriger dans nos comportements humains. Maintenant ce temps d’arrêt nous permet de réfléchir sur les vraies valeurs humaines
Je me retrouve un peu dans le même cas, ma mère centenaire vient d’emménager dans une résidence pour semi-autonomes car ses capacités avaient diminué ces derniers mois et elle a dû quitter sa résidence pour aînés autonomes en raison du manque de vigilance et de soins.
Toutefois, il faut quand même constater qu’on ne peut avoir une étanchéité sans faille dans ces résidences et que le remède risque de dépasser les impacts du virus qu’on voudrait éradiquer. Le personnel de ces résidences a aussi droit à sa vie familiale et si on voulait vraiment rendre ces résidences étanches il faudrait aussi interdire au personnel de quitter la résidence après leurs quarts de travail, ce qui serait inapplicable, les gens ne pouvant se résoudre à abandonner leur vie familiale dans la plupart des cas.
Ce n’est pas la majorité des résidences où il y a présence du virus mais les autres demeurent à risque. Sauf que ne faudrait-il pas adapter les mesures en fonction du bien-être des résidents ? Je n’ai pas la réponse mais il faudrait demander à ceux et celles qui sont en mesure de répondre ce qui est le plus important pour eux. Il faut cesser d’infantiliser les aînés, ils et elles sont bien capables de savoir ce qui leur convient sauf que dans notre société, ce n’est pas nécessairement le bien-être des aînés qui préoccupe les gouvernements mais plutôt les lits d’hôpitaux qu’on veut réserver aux plus jeunes, faute de lits disponibles. Là aussi on devrait se poser des questions en tant que société.
Madame Bazzo, je vous comprends tellement. Mon père est décédé le 11 février en CHSLD. Nous avons eu le temps de lui faire une très belle cérémonie, juste avant que le ciel nous tombe sur la tête. Je le remercie tous les jours d’être parti au bon moment, même si cette étape a été longue et difficile. Je n’aurais pas voulu qu’il vive cet isolement, il aurait eu du mal à comprendre. Je vous souhaite beaucoup de courage et j’espère que votre maman ira bien jusqu’à ce que vous puissiez à nouveau aller la voir. Merci de partager vos réflexions avec nous, je vous écoute depuis toujours, vous lit ou vous regarde depuis toujours.
Chère Madame Marie-France,
Personnellement, c’est la troisième résidence où j’habite. À quelques exceptions près, c’est du pareil au même : d’abord et avant tout des !
Ici, nous vivons actuellement le confinement dans toute son intégralité. Toutefois, la clinique médicale est incapable de nous fournir le service de prises de sang (considéré par l’établissement et nous réfère au CLSC de l’arrondissement qui nous demande, avec raison, de leur faxer la prescription médicale pour rendez-vous à domicile.
Le problème : la résidence n’offre pas non pas le service de fax pour ceux qui n’en n’ont pas !
On nous assurait également lors de la visite et de la signature du bail que les appartements étaient dotés d’une insonorisation supérieure !
Lorsqu’on y aménage, on réalise alors qu’on y entend le voisin se moucher !
Par contre, heureusement, on nous distribue des crayons de couleurs et de beaux petits dessins pour afficher sur la page Facebook de la résidence !!! Bientôt on nous apportera peut-être des bonbons, car des bonbons c’est tellement bon… ( Salut vieux Brel !)
Je suis enseignant retraité. Si vous saviez comme je me marre et apprécie plus que jamais mes livres, mes disques, mes revues et surtout l’Actualité !
Salutations cordiales !
Errata 2e paragraphe, 2e ligne :
…( considéré peu rentable par l’établissement….)
Errata 2e paragraphe , 5e ligne :
Le problème : la résidence n’offre pas non plus le service de fax …
Mes excuses !