«Papi, pourquoi on se baigne jamais dans la rivière ? »
La rivière, c’est le Richelieu. Et le papi, c’est Michel Leduc, un psychoéducateur retraité, qui a le cœur lourd chaque fois qu’un de ses sept petits-enfants lui pose cette question. Il y a 15 ans, sa conjointe et lui ont acheté une maison riveraine à Saint-Marc-sur-Richelieu, à une trentaine de kilomètres de Montréal. La circulation de bateaux à moteur y est telle que la rivière n’est quasiment pas fréquentable pour les baigneurs et les embarcations à rames. Les vagues qu’ils produisent peuvent atteindre plus de 1 m de hauteur et viennent secouer son quai long de 20 m. « L’été, on voit passer plusieurs bateaux par minute, parfois très près des berges et très vite. C’est l’autoroute. »
En tant que président de l’Association des riverains et amis du Richelieu (ARAR), Michel Leduc a été aux premières loges de la bataille, très dure, qui oppose riverains et plaisanciers, dans laquelle quatre municipalités tentent de réglementer la navigation. Les riverains se plaignent du bruit, des vagues qui érodent les berges et remuent les sédiments, de l’eau qui goûte le chlore, tant il faut en ajouter, et s’inquiètent des dommages à l’environnement. « On a fondé l’association pour s’attaquer aux problèmes causés à la faune et à la flore, aux berges, à la qualité de l’eau, et pour instaurer la navigation responsable », dit-il.
L’automne dernier, Saint-Marc-sur-Richelieu, Saint-Charles-sur-Richelieu, Saint-Antoine-sur-Richelieu et Saint-Denis-sur-Richelieu, quatre voisines situées de part et d’autre de la rivière, juste au nord de l’autoroute 20, voguaient vers l’adoption d’un règlement qui allait imposer dès l’été 2022 une limite de 10 km/h sur les 20 km les concernant. Mais à quelques semaines de son entrée en vigueur prévue en décembre 2021, les représentants de l’industrie, propriétaires de marinas, plaisanciers et amateurs de vitesse, de ski nautique et de planche sur sillage (wakeboard), restés absolument silencieux jusque-là, sont soudain passés à l’offensive pour tenter de couler le projet. « On n’a jamais été consultés. On attaque nos libertés », disaient-ils.
Une âpre bataille, dont l’issue est toujours incertaine, s’est alors engagée sur le Richelieu.
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«Quand j’ai été élu en 2015, la navigation était déjà la préoccupation numéro un des résidants », dit Xavier Barsalou-Duval, député du Bloc québécois dans la circonscription de Pierre-Boucher–Les Patriotes–Verchères. Depuis 2017, il porte le ballon des consultations en vue de réglementer la circulation nautique.
Selon l’Association des riverains et amis du Richelieu, 25 % des embarcations sont des engins surpuissants et bruyants : vedettes (speedboats) qui fendent l’eau et le silence, motomarines bourdonnantes et bateaux de planche sur sillage. Ces derniers sont conçus pour générer leur propre vague sur laquelle surfer. Ces ondes de plus d’un mètre font chavirer les petites embarcations, brisent les quais et les coques des bateaux amarrés, en plus de remuer les sédiments jusqu’à une profondeur de cinq mètres — la profondeur moyenne de la rivière.
Le Richelieu n’a jamais été une rivière comme les autres. Il a été très fréquenté par les Premières Nations, qui l’appelaient Masoliantekw, soit « eau où il y a beaucoup de nourriture », en abénaquis. À l’époque coloniale, l’axe rivière Richelieu–lac Champlain–fleuve Hudson en a fait à la fois un chemin de guerre et une route commerciale convoitée vers New York. Même après l’avènement du train, les péniches ont continué longtemps d’y circuler.

Sur ce cours d’eau assez étroit (souvent moins de 200 m) et peu profond (rarement plus de 5 m) qui traverse les plus riches terres agricoles du Québec, qui abreuve près de 250 000 Québécois et que longent 25 municipalités, les péniches ont cédé la place à la plaisance. Sur le tronçon concerné par le règlement, 14 300 bateaux circulent chaque année et sept marinas assurent les services. En fait, la rivière Richelieu est devenue le quartier général du nautisme au Québec : les marinas y sont nombreuses et on y voit défiler un important trafic de plaisanciers qui remontent du fleuve vers le lac Champlain, ou qui viennent de New York, voire de la Virginie. De 2015 à 2018, pas moins de 45 % des plaisanciers au Québec avaient fréquenté le Richelieu, selon une étude de marché commandée par le ministère du Tourisme.
Or, la circulation nautique sur le Richelieu est peu réglementée. C’est la Loi sur la marine marchande du Canada qui chapeaute tous les lacs et rivières du pays. Cette loi a préséance sur les autres, même celles du ministère fédéral de l’Environnement. Elle interdit la conduite dangereuse, notamment en état d’ébriété, et exige le port de la veste de sauvetage et l’usage de dispositifs de sécurité. Toutefois, Transports Canada a autorisé les municipalités à adopter quelque 2 000 règlements particuliers, dont 800 au Québec — entre autres pour limiter la vitesse et encadrer des pratiques comme le ski nautique. Mais il n’y a rien de tel sur le Richelieu, alors que la circulation y est plus intense qu’ailleurs. La patrouille nautique de la Sûreté du Québec ne peut donc intervenir qu’en vertu des règles de la Loi sur la marine marchande. Elle n’a pas le pouvoir de ralentir la circulation ni d’interrompre les bruyants « partys de bateaux » dans les frayères du chevalier cuivré, une espèce menacée dont l’unique habitat est justement le Richelieu.
« Il y a des enjeux de cohabitation, oui, mais aussi de protection des habitats », dit Sylvain Lapointe, directeur général du Comité de concertation et de valorisation du bassin de la rivière Richelieu (COVABAR). Cet « organisme de bassin versant », l’un des 40 mandatés par le gouvernement, est voué à réunir tous les intervenants pour élaborer un plan directeur de l’eau qui tiendra compte des aspects environnementaux, d’aménagement du territoire et de développement économique, notamment touristique.
« On est devant un conflit d’utilisateurs typique, pas si différent de ce que vivent les Montréalais », explique André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières, un OSBL ayant pour mission la préservation du caractère naturel des cours d’eau. À Montréal, il y a les voitures, les vélos et les piétons. Sur le Richelieu, il y a les embarcations motorisées, les non motorisées et les baigneurs. Le comptage réalisé en 2018 par l’ARAR et les quatre municipalités pour se conformer au protocole de Transports Canada montre à quel point les bateaux à moteur prennent toute la place. Le 19 août, par exemple, il en est passé 337 en cinq heures, contre 6 chaloupes à rames. Et parmi ces 337 embarcations motorisées, il y avait de tout — 137 bateaux de 19 à 25 pieds, 71 pontons, 56 motomarines et vedettes, 47 bateaux de grande dimension, 31 bateaux à planche sur sillage. « En soi, un bateau ne crée pas de problèmes, soutient André Bélanger. C’est le cumul qui est embêtant. »

Jean-Marc Bousquet, le maire de Saint-Denis-sur-Richelieu, est président de la Régie de l’aqueduc intermunicipale du Bas-Richelieu, qui produit l’eau potable pour 21 municipalités. Si les villes ne déversent plus leurs eaux usées directement dans la rivière depuis la fin des années 2000, dit-il, le traitement de l’eau est compliqué par l’augmentation des sédiments et des contaminants en suspension, que les passages des bateaux remuent. « Produire l’eau est plus difficile et plus cher. »
Patrick Picard, propriétaire de Mathias Marine Sports, qui vend des bateaux et exploite une marina à Saint-Mathias-sur-Richelieu, à une quinzaine de kilomètres de la zone concernée, a sonné la charge contre le projet de règlement. « On nous traite comme des motards ! Ce n’est pas vrai qu’on est responsables de tous les problèmes du Richelieu. Les villes font des surverses d’eaux usées, les alluvions et les polluants viennent du lessivage des terres agricoles surexploitées, et les glaces au printemps font bien plus de dégâts que les vagues des bateaux. »
L’Alliance de l’industrie nautique du Québec, aussi connue sous l’appellation Nautisme Québec, qui représente les constructeurs et distributeurs de bateaux ainsi que les marinas (le seul siège réservé aux plaisanciers est actuellement vacant), est résolument contre le projet. « Pour améliorer le comportement sur l’eau, on n’est pas obligé d’avoir une réglementation plus poussée. Il y a déjà une loi et des règlements [NDLR : la Loi sur la marine marchande]. Ce qu’il faut, c’est plus de concertation, de la sensibilisation », dit Josée Côté, directrice générale.
« Les campagnes de sensibilisation et d’information, on les a faites, rétorque Michel Leduc, de l’ARAR. On a besoin de moyens de contrainte parce que l’autoréglementation, ça ne marche pas. »
Sylvain Lapointe, du COVABAR, croit que le nautisme est à un carrefour. « Les bateaux sont les seuls véhicules à moteur dont la vitesse n’est régie par aucune loi. C’est comme pour la motoneige dans les années 1960. La motoneige, c’était la liberté, mais c’était aussi le bruit, la pollution, le manque de sécurité. »
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Il est possible de régir la circulation nautique par une procédure réglementaire complexe, qui s’apparente à un chemin de croix. Le protocole imposé par Transports Canada est rigide et seules les municipalités ont le pouvoir de s’y lancer. Une série de consultations municipales et une autre au sein des instances de Transports Canada sont exigées. Il y a 10 ans, Mont-Saint-Hilaire avait entrepris cette démarche, mais son maire s’était découragé devant l’ampleur du défi. Pour réglementer uniformément la circulation sur les 124 km québécois de la rivière entre l’embouchure du fleuve et la frontière, il faudrait que les 25 municipalités riveraines avancent de concert dans une procédure qui dure au moins cinq ans. « Transports Canada n’offre aucun accompagnement pour faciliter la tâche des municipalités », dit Xavier Barsalou-Duval.
David Robitaille, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et spécialiste du droit constitutionnel et environnemental, explique que le protocole compte plus de 20 pages d’exigences. « C’est lourd, mais il n’existe aucun autre moyen. Chaque fois qu’une municipalité a voulu réglementer l’activité nautique directement, les tribunaux ont invalidé les règlements parce que la marine marchande est un pouvoir exclusif du fédéral. »
En 2017, les quatre municipalités, qui totalisent 8 258 habitants, ont décidé d’enclencher la procédure, et confié à leur député la tâche de présider les consultations. (Celui-ci dégagera un attaché politique à temps plein pendant un an pour faire avancer le dossier et rédiger la demande de règlement.) Cette même année, Michel Leduc a fondé l’Association des riverains et amis du Richelieu — pour « assister les municipalités, dit-il, mais aussi défendre d’autres dossiers auprès de ministères ».
Le projet de règlement visait une portion de 20 km, soit un sixième de la rivière. « Les opposants disent qu’on a mal fait le travail. On a suivi toutes les règles et examiné tous les aspects », assure Jean-Marc Bousquet, qui était conseiller municipal à Saint-Denis-sur-Richelieu avant d’en devenir maire en 2021.
Selon le protocole de Transports Canada, les municipalités doivent faire la démonstration qu’il y a un problème, que leurs citoyens ont tous eu la chance de s’exprimer, qu’elles ont tenté de sensibiliser les plaisanciers, et que les consultations étaient publiques et annoncées dans les journaux et autres médias. Elles doivent également effectuer un comptage et appuyer leurs prétentions sur des études scientifiques et des sondages. Les quatre municipalités ont consulté la police et les règlements adoptés pour d’autres plans d’eau, comme les lacs Brome et Memphrémagog, et pour différents endroits sur le fleuve.
En 2019, au bout de deux ans de travaux et de consultations, elles ont présenté une première demande de réglementation : on interdirait les sports de glisse (le ski nautique, la planche sur sillage et la bonne vieille « tripe ») et la vitesse serait limitée à 10 km/h sur toute la section.
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Ce maximum de 10 km/h n’a rien d’arbitraire. Les études sur le batillage (le déferlement des vagues) montrent qu’un bateau ne fait pas de vagues à 5 km/h et très peu à 10 km/h. « C’est d’ailleurs pourquoi les marinas limitent la vitesse à 10 km/h autour et à l’approche des quais, dit Sylvain Lapointe, du COVABAR. Elles ne veulent pas déranger les autres bateaux. »
Au-delà de 10 km/h, l’impact d’une embarcation dépend de son poids et du genre de coque. « En théorie, on pourrait avoir une réglementation variable selon le type de bateau, mais ce serait inapplicable, explique Xavier Barsalou-Duval. Même si un camion et une petite voiture n’ont pas le même impact, la limite de vitesse est la même pour tout le monde sur les routes. »
Les études sur le batillage sont assez solides pour qu’en divers endroits aux États-Unis (notamment en Floride, à Détroit et sur la voie navigable intracôtière de l’Atlantique), la réglementation du trafic de plaisance se fonde sur le critère du « no wake » (pas de vagues). Le député explique que restreindre ainsi le batillage aurait été impossible. « Transports Canada ne considère pas les vagues, alors on réglemente sur la base de la vitesse. »
Une fois la réglementation officiellement déposée à Transports Canada en mars 2019, les choses se sont mises en branle au Ministère… qui a repris les consultations auprès de ses propres instances, comme le Comité permanent sur la navigation de plaisance du Conseil consultatif maritime canadien, le Conseil consultatif national sur la navigation de plaisance (plusieurs fois) et le Conseil consultatif régional sur la navigation de plaisance — province de Québec. À chaque occasion, des invitations écrites à débattre ont été envoyées à tous les intervenants du secteur maritime. « C’est le mécanisme par lequel le public peut s’exprimer et participer à la recherche de solutions de rechange aux restrictions », précise-t-on à Transports Canada.
« Dans cette procédure, nous avons reçu un gros appui de Pêches et Océans Canada, qui a demandé que l’on protège l’habitat du chevalier cuivré », dit Michel Leduc.
Finalement, au bout de deux autres années de consultations, Transports Canada a publié le projet de règlement dans la Gazette du Canada en juin 2021. En principe, tout était plié. Le règlement entrerait en vigueur après la seconde publication, en décembre 2021 — c’est-à-dire après les élections fédérales de septembre et municipales de novembre.
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Il faut souligner ici un fait inhabituel. Pendant les quatre années de cette procédure, l’industrie de la plaisance, invitée à participer à toutes les consultations, n’a jamais formulé un seul commentaire sur le projet de règlement, confirme Transports Canada à L’actualité. Or, l’industrie profite même d’un siège statutaire dans les divers organes consultatifs de Transports Canada. Xavier Barsalou-Duval note la même chose quant à la démarche de consultation municipale qu’il préside : silence radio sur toute la ligne.
Si ce projet de réglementation déplaît tant à l’industrie, pourquoi ne s’est-elle jamais fait entendre au moment opportun ? À l’Alliance de l’industrie nautique du Québec, on affirme ne pas le savoir. « Je suis arrivée en poste le 3 janvier 2022, je ne peux pas expliquer ce qui s’est passé avant », dit Josée Côté, directrice générale.
Jean-Marc Bousquet, qui a assisté à la présentation du projet à Transports Canada, a sa petite idée sur ce mystère. « L’industrie nautique ne croyait pas au sérieux de notre démarche. Bien des gens, qui n’accordaient aucune crédibilité à la procédure, ont préféré nous ignorer. »
Tous les intervenants dans ce dossier ont été surpris par la soudaineté de la tempête de protestations qui s’est déclenchée en octobre 2021, entre les élections fédérales et municipales. C’est une entrevue avec le député Xavier Barsalou-Duval dans l’hebdo L’Œil régional, où il évoquait le projet de règlement, qui a mis le feu aux poudres.
En quelques jours, c’était le branle-bas de combat. L’Alliance de l’industrie nautique et les marinas du Richelieu, qu’elles soient dans la zone visée ou pas, ont acheté des pages de publicité dans les journaux, publié des lettres ouvertes, écrit aux ministres et lancé des pétitions. « Dix kilomètres à l’heure sur une motomarine, ça ne marche pas. Tu ne peux pas tirer quelqu’un en ski nautique à cette vitesse ! » dit aujourd’hui Josée Côté. Patrick Picard, de Mathias Marine Sports, tire encore à boulets rouges : « C’est une des artères les plus occupées au Québec, ça n’a pas d’allure. Je comprends les riverains. Il faut un règlement, mais on punit de 95 % à 98 % de plaisanciers responsables pour le manque de civisme d’une petite minorité. »
L’affaire est vite devenue confuse, car certains plaisanciers étaient favorables à une réglementation (même si, à l’instar de Patrick Picard, ils n’en proposaient aucune), alors que d’autres aimaient bien leurs vedettes et voulaient être libres de faire comme bon leur semblait.
Une semaine après les élections municipales du 7 novembre, Transports Canada a donc pris l’initiative, également inhabituelle, de demander aux conseils municipaux de réaffirmer leur appui aux restrictions sur la rivière. Xavier Barsalou-Duval l’explique ainsi : « C’était la première fois que le Ministère faisait face à une opposition aussi véhémente à un stade aussi avancé des consultations, alors qu’aucune objection n’avait été formulée avant. »
Problème : les élections avaient renouvelé une bonne partie des quatre conseils municipaux. Tous les maires avaient été remplacés. Les quatre conseils ont donc décidé de mener une dernière consultation publique avant de reconfirmer le règlement.
Cette fois, tout s’est emballé.
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Alors que les consultations initiales avaient rassemblé 15, 20, quelquefois 30 citoyens, il s’en présentait désormais trois ou quatre fois plus, en dépit de la vague Omicron. Les salles de réunion, souvent des églises, étaient pleines et l’ambiance était à la contestation, parfois à la limite de l’intimidation. « Les attaques étaient personnelles et agressives, raconte le député Barsalou-Duval. À Saint-Denis, j’ai craint pour ma sécurité physique et il a fallu faire venir la police pour éviter les débordements. »
Le maire de la municipalité, Jean-Marc Bousquet, un gestionnaire du réseau scolaire à la retraite, parle de désastre. « L’opposition était très dure et sans nuances. Les gens criaient : “Pourquoi je peux pas utiliser mon bateau avec mes petits-enfants qui aiment le wake ?” “Vous viendrez pas me dire quoi faire avec ma liberté !” J’ai trouvé ça triste. »
Patrick Picard, propriétaire de Mathias Marine Sports, affirme n’avoir jamais su qu’un tel règlement se préparait. « Les villes doivent écouter leurs citoyens. Oui, il faut un règlement, mais il faut aussi de l’acceptabilité sociale. »
Le maire Jean-Marc Bousquet a encore ce dialogue de sourds en travers de la gorge. « On avait fait une belle job, mais l’opposition au projet est venue semer la confusion en contestant absolument tous les faits scientifiques et en prétendant qu’on avait agi en catimini. »
Les quatre conseils municipaux ont convenu de proposer un règlement édulcoré. C’est ici qu’est survenu le troisième fait inhabituel. Après avoir demandé aux mairies de confirmer leur décision initiale, Transports Canada a consenti à recevoir une demande révisée sans refaire toute la consultation. « Le Ministère a accepté ça sur la base que tout le monde était d’accord qu’il fallait faire quelque chose », explique Xavier Barsalou-Duval.
Trois des quatre municipalités — Saint-Marc, Saint-Antoine et Saint-Charles — ont proposé de limiter la vitesse à 10 km/h à moins de 50 m des berges (les plaisanciers plaidaient pour 30) et devant les noyaux villageois. Ailleurs, la vitesse serait plafonnée à 50 km/h. Les sports de glisse seraient interdits en tout temps à moins de 50 m des berges, et partout ailleurs les samedis et dimanches de 11 h à 17 h (les plaisanciers ne voulaient aucune restriction). Les engins à moteur seraient interdits dans les frayères de l’île de Jeannotte et de l’île aux Cerfs. « Sur cet aspect, le deuxième projet de règlement est plus restrictif », précise Xavier Barsalou-Duval.
Quant au conseil municipal de Saint-Denis, très échaudé par l’agressivité du débat, il a voté une résolution qui s’en remet à Transports Canada pour le choix du règlement approprié.

Du côté de l’industrie nautique, Josée Côté se dit déçue. « C’est un compromis décidé le couteau sur la gorge. Des limites de 10 km/h, ça va avoir des conséquences sur le tourisme. Nous, nous favorisons une signalisation adéquate et l’éducation des usagers. On aurait aimé faire école avec une vraie procédure consultative qui aurait mis à contribution les parties. »
Écœuré, Michel Leduc a abandonné la présidence de l’Association des riverains et amis du Richelieu. « Il y a eu arnaque. La procédure démocratique a été pervertie. Moi, je laisse la place aux jeunes. »
La plupart des intervenants se disent néanmoins satisfaits de ce premier pas, même s’ils espéraient mieux. « La limite de vitesse devrait être de 10 km/h à 300 m des berges, pas à 50, mais nous préférons une solution imparfaite à pas de solution du tout », se console André Bélanger, de la Fondation Rivières.
Xavier Barsalou-Duval pense de même. « À part quelques irréductibles libertaires, la très grande majorité des opposants au premier règlement conviennent qu’il en faut un, même les marinas. »
Plusieurs municipalités (dont Saint-Ours et Sorel) et la MRC de La Vallée-du-Richelieu appuient cette deuxième mouture du règlement, qui a été déposée à Transports Canada le 30 avril et n’entrera pas en vigueur avant 2024, au mieux. Néanmoins, il devient probable que toute la circulation nautique finira par être réglementée de Sorel à la frontière, selon Jonathan Chalifoux, maire de Saint-Antoine. Quoique pénible, l’exercice marque un progrès. « Le principe d’une réglementation est sur la table, on en discute à la MRC. Ça va se faire sur l’ensemble de la rivière. On est très observés et c’est pour ça qu’on a reçu beaucoup de pression. »
Patrick Picard convient que les projets de réglementation avancent, mais il ne baisse pas pavillon : « Les autres cours d’eau nous regardent. » Quant à Josée Côté, elle annonce que l’Alliance de l’industrie nautique veut lancer une campagne sur la sécurité nautique. Le slogan : « Suivez la vague »…
Cet article a été publié dans le numéro de juillet-août 2022 de L’actualité.
Bel exemple pour comprendre qu’on n’est pas sorti du bois avec l’environnement.
C’est là qu’on voit que quand il est question d’industrie, de profits et d’individualisme crasse, le citoyen qui veut protéger la nature et vivre en paix est toujours désavantagé car les forces destructrices ont des alliés puissants.