
Depuis quelques mois, tous les partis tentent de présenter le nouvel élément qui attirera vers eux ces électeurs d’humeur volage.
Jean Charest espère que son Plan Nord enflammera les esprits et que les Québécois adhéreront à ce grand projet d’appropriation du territoire et de ses richesses.
François Legault, dont le parti devrait naître avant les premières neiges, fait miroiter une créature aux contours encore si mystérieux qu’elle suscite le désir. Une fois dévoilée, plaira-t-elle encore ?
La gouvernance souverainiste de Pauline Marois excitant peu le compteur, voilà qu’émerge du camp péquiste l’idée d’une démocratie plus directe, portée notamment par des référendums d’initiative populaire (RIP).
Ah, la démocratie directe ! L’aiguille du compteur s’affole. Enfin, se disent des électeurs, voilà qui permettra aux citoyens de voter contre des lois inopportunes, d’inscrire à l’ordre du jour des sujets délaissés par les élus, de mettre en échec les lobbys, la corruption.
Mais qui connaît vraiment les RIP, ces instruments politiques nés en Suisse au 19e siècle ? Mal balisés, ils peuvent paralyser un gouvernement, ruiner une administration. Bien utilisés, ils peuvent redonner à un électorat blasé l’envie de s’informer, de jouer un rôle dans la vie publique. En matière de RIP, le diable est dans les détails !
Un RIP, rappelons-le, est déclenché par une pétition des citoyens – de 3 % à 15 % d’entre eux, selon les États où ce type de référendum a cours présentement. Il peut aussi bien freiner les élus que les pousser à agir. Il les freine lorsque la pétition s’oppose à une loi que vient de voter le Parlement. Il les pousse à l’action lorsque la pétition impose un référendum sur un sujet que le Parlement refuse d’aborder (le suicide assisté, par exemple).
Les RIP ont produit le meilleur comme le pire. Ils ont mené à l’interdiction du travail des enfants en Arkansas (1914) et au versement de retraites aux aînés dans de nombreux États, comme l’Oklahoma ou le Colorado (1930).
En Californie, par contre, ils ont conduit à des excès coûteux et à des lois inapplicables. L’une, adoptée en 1994, interdisait de fournir tout service scolaire ou de santé aux immigrants clandestins et à leurs enfants. Les professeurs refusant de se transformer en policiers, cette loi ne fut jamais appliquée. Et fut jugée inconstitutionnelle par les tribunaux 10 ans (et des millions de dollars en frais juridiques) plus tard. Une autre, la célèbre « Three Strikes », a fait déborder les prisons californiennes en imposant de longues peines à des milliers de gens qui n’avaient parfois volé – trois fois de suite – qu’un bout de pizza.
En limitant l’impôt foncier à 1 % de la valeur de la propriété, la proposition 13 (adoptée en 1978) a aussi sérieusement handicapé la capacité de villes comme San Francisco d’entretenir leurs infrastructures urbaines.
Des partisans de la démocratie directe, tel l’économiste français Yvan Blot, vous diront que la Californie applique celle-ci de façon trop rigide, qu’un peu de flexibilité aurait permis à l’État d’être moins souvent paralysé par des RIP.
Ailleurs, dans les länder allemands par exemple, un RIP ne peut être tenu sur le budget. Il faut en effet se méfier de l’électeur dit « égoïste », qui votera en faveur d’un plancher pour les impôts, mais aussi pour que l’État offre plus de services !
En fixant à 15 % le pourcentage des électeurs qui devraient signer une pétition pour demander un référendum d’initiative (donc, plus de 900 000 au Québec), le député péquiste Bernard Drainville met la barre haut. Avec raison. Les référendums sont coûteux. Assurons-nous que le sujet est important. Certains États protègent contre un RIP les lois qu’ils jugent « urgentes » (l’adoption du budget, par exemple).
La démocratie directe fait manifestement vibrer le compteur Geiger de bien des Québécois. Reste que la majorité connaît encore trop peu, et bien mal, ses pièges et ses écueils. Prenons le temps d’en découvrir les subtilités avant de voter.