Le projet de troisième lien reliant Québec et Lévis est plusieurs choses, mais il ne s’agit surtout pas d’une solution aux embouteillages dans ma ville. Ni d’un levier de développement des régions. Encore moins d’une réponse à un problème de sécurité.
Au niveau du plancher des vaches, donc de la petite politique qui consiste à obtenir et à conserver le pouvoir, ce luxueux fantasme d’un tunnel sous-fluvial est d’abord et avant tout un placement dont le dividende pourra être récolté lors d’au moins deux élections, que le projet se réalise ou non. S’il échoue, ce qui sera sans doute le cas, on trouvera des boucs émissaires qui seront quant à eux d’utiles facteurs de division de l’opposition.
Alors pourquoi en faire tout un plat, si je le crois voué à l’échec ?
C’est que je trouve plutôt stupéfiant de voir le gouvernement de François Legault nous implorer depuis deux ans d’avoir foi en la science en ce qui concerne la COVID-19 pour ensuite ignorer tous les avis d’experts, y compris nombre de scientifiques, au moment de s’engager dans ce projet colossal que l’on nous promet, sans rire, d’être carboneutre.
Faut croire que dans ce cas, la vérité n’a plus d’importance. La réalité non plus. Comme le propose Simon-Pierre Beaudet dans son essai douloureusement lucide sur le sujet, intitulé Ils mangent dans leurs chars, « si le troisième lien échoue spectaculairement au test de l’argumentation, il est devenu un récit ». Une fiction grandiose avec ses décors, ses comédiens, ses péripéties. Et un budget qui, comme pour tout le reste, confine à l’imaginaire.
On connaît sa fonction politique, parfaitement cynique. La quête du récit, elle, consiste à préserver une idée de la liberté qui se résume à célébrer un mode de vie qui nous a été trop bien vendu, pendant trop longtemps, pour que soudain on vienne nous dire qu’on s’est trompé.
Beaudet soutient que c’est un pur produit du turbo-capitalisme. Je ne lui donne pas tort. Le troisième lien est effectivement un objet idéologique. Il constitue un symbole fort. Celui du déni, selon l’essayiste. Il a raison là aussi.
Ce qui m’intéresse, ce sont les histoires que l’on se raconte pour justifier l’injustifiable. Le troisième lien est l’un de ces récits.
Est-ce à dire que ce sont deux visions du monde qui s’affrontent ? C’est un des nombreux raccourcis dont le débat qui entoure ce projet ne cesse d’accoucher. C’est un peu comme affirmer : être contre le troisième lien, c’est être radicalisé, c’est être contre l’automobile. Comme si le doute représentait une forme de trahison.
À l’instar de bien d’autres gens de Québec qui déplorent la mise en œuvre de ce projet dont il a été démontré qu’il est aussi inutile que ruineux, je ne suis ni contre l’auto (j’en ai une, je m’en sers) ni radicalisé. À moins que de préférer l’unanimité d’une myriade d’avis scientifiques à une opinion publique, produite par l’intox politique et la propagande radiophonique, ne soit désormais considéré comme relevant de l’extrémisme.
La posture radicale dans tout cela, c’est d’adhérer à la fiction du troisième lien en réfutant toutes les opinions éclairées sur la question. En démonisant ses détracteurs. En mettant un autocollant sur son auto en appui au projet. En votant pour un parti politique (municipal ou provincial) pour cet unique motif. C’est simple. Et réconfortant. Mais c’est une forme d’absolutisme.
En fait, ici, ce qui m’intéresse, ce sont les histoires que l’on se raconte pour justifier l’injustifiable. Le troisième lien est l’un de ces récits. Il évoque notre nécessité de foncer droit devant, faute d’être capable d’imaginer un autre moyen d’avancer tout en écoutant les appels à modifier notre rapport à la consommation, aux déplacements, à la croissance.
Croire à ce récit comme à une vérité confirme que tu mènes la bonne vie. Que tu travailles fort et que les symboles que tu acquiers en le faisant font de toi une personne heureuse et libre. Que cette liberté se manifeste dans la possibilité de te mouvoir où que ce soit, quand tu veux, pour t’établir où tu veux et profiter du monde comme de ton jouet, payé par tes impôts. Comme tes amis, comme la majorité.
Alors tu fonces. On a beau te dire que le mur s’en vient, qu’il s’appelle crise climatique, endettement endémique, épuisement professionnel, peu importe, tu tiens le volant bien fort, tu pèses sur l’accélérateur.
Tu maudis ceux qui t’implorent de ralentir, de dévier juste un peu de ta route. Ils ne te demandent pourtant pas de tout changer. Juste de voir s’il n’y aurait pas un autre chemin, moins risqué. Encouragé par un gouvernement qui préfère le racolage au courage politique, tu aimes mieux te crever les yeux que de vivre avec le vertige de l’incertitude que cette idée suscite chez toi, et tu mets le pied au plancher.
Alors, qui est radicalisé ?
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’avril 2022 de L’actualité.
Bel éclairage sur ce projet qui tient du pur délire. Et surtout belle réplique sur les accusations de radicalité.
J’aurais tout de même une solution simple, éprouvée et peu coûteuse pour ce présumé problème de congestion. Mais malheureusement, elle ne fera pas rêver les enfants qui croient encore au Père Noël :
un système de feu de signalisation qui réserve plus de voie pour entrée à Québec le matin et l’Inverse en fin de journée pour le retour du travail. Ce n’est pas ce qui se fait pour le pont Jacques Cartier depuis des décennies déjà ? En plus, je n’oublie pas nos amis des radios… d’opinions, qui y trouveront du carburant pour surchauffer leur public captif de leur automobile, même si on vend l’idée comme solution temporaire à l’atteinte toujours imminente du mirage du tunnel.
L’article « La fiction du troisième lien » de David Desjardins rejoint tellement mais tellement mon opinion sur ce projet démentiel. Plus que le projet en lui même, ce qui me déconcerte, c’est de constater un gouvernement attaché à une promesse visant une base électorale, faisant fi de toutes analyses ou rationalité. Mais plus encore, c’est une population illuminée par ce discours et par l’aveuglement volontaire.
Je ne voudrais en aucun moment comparer les agissements de certains dirigeants ou populations de ce monde tel que l’on voit en Ukraine mais avouons que les stratégies utilisées telles que l’obscurantisme, la désinformation ainsi que l’intimidation (pas de troisième lien, pas de tramway M. Labeaume…) peuvent servir d’analogie.
M. Desjardins, c’est toujours un plaisir de vous relire
Je ne suis pas tout à fait en accord avec votre point de vue, il manque dans votre analyse l’age des ponts actuels à Québec, un de plus de 100 ans et qui rouille à vu d’oeil et l’autre qui a 52 ans pour une aglomération grandissante comme Québec. Nous n’avons aucun moyen de contournement de ce bouchon que forme les deux ponts qui sont côte à côte. Je sais bien que les gens de Montéal trouvent impanssable notre projet de tunnel à Québec, mais il me semble qu’ils viennent d’avoir un beau pont tout neuf pour en remplacer un qui avait justement environ 50 ans d’âge. Donc c’est 2 poids 2 mesures tout dépandant si on est de la « grande ville de Montréal » ou si on est de la petite « bourgade » de Québec!!!
J’ajouterais également que le fameux tramway de Québec n’est vraiment pas désiré à Québec, on a un système d’autobus qui roule vide depuis 2 ans et avec le télétravail qui sera là pour demeurer, ce projet n’est vraiment plus nécessaire.
Comparer Québec avec une ville de plus de 3 millions d’habitants manque de sérieux. Si un des ponts, le pont de Québec, se détériore c’est faute d’entretien et on peut y remédier si on le veut. L’autre aspect est l’étalement urbain – c’est une très bonne chose que ce soit difficile de navetter de la rive sud à Québec, comme ça, on met un bâton dans les roues de l’étalement urbain. Si vous travaillez à Québec, habitez là aussi. Au moins le Bas Saint-Laurent aura pas l’air d’une banlieue dortoir comme Sainte-Foy!
La vétusté des ponts ou liens actuels nécessitent qu’une nouvelle infrastructure soit mise en place et ce le plus rapidement possible dans la meilleure prévision possible de ce qui attend la circulation.
Le projet préconisé par le gouvernement actuel n’est pas réaliste. Sauf qu’il faut arrêter de tergiverser et bouger.
Je suis de Quebec et j’utilise régulièrement les ponts. Je sais de quoi je parle.
Adelard Berger
Merci pour cet éclairage! Votre opinion est toujours bien étayée!
Continuez.
Lyse
Bien sûr, les gens de Montréal, pour qui aucun projet n’est jamais trop beau ou trop cher, comme ce REM de l’est inutile, puisqu’il va siphonner la ligne verte sans aucun gain notable sur le plan de la fréquentation des transports en commun, s’opposeront toujours à dépenser pour Québec.
Mais si, pour une fois, on demandait leur avis aux gens de Québec et des deux rives du fleuve en aval de Québec? Il me semble qu’ils sont les mieux placés pour parler de leurs besoins. Que ce projet de deuxième lien (l’usage même du terme troisième lien démontre à lui seul une méconnaissance de la question), soit un pont ou un tunnel, peu importe, mais sa nécessité à l’est de Québec ne fait aucun doute. Ne serait-ce que pour éviter un détour de 40 km et 40 minutes de détour se rendre de Beauport à Lévis, quand on pourrait les faire en 10 km et 10 minutes et rejeter moins de GES.
Il est par ailleurs insensé que les deux rives d’une même agglomération (et même de l’est du Québec, qui est littéralement coupé en deux en aval, avec aucune infrastructure de communication, si ce n’est quelques rares traversiers à la contenance limitée) doivent subir tant de contraintes pour échanger entre elles, alors qu’on trouve normal qu’il y ait 15 ponts autour de Montréal, sans parler de la ligne jaune. Parce qu’à Montréal, voyez-vous, il serait inconcevable de ne pas pouvoir transiter facilement d’une rive à l’autre. Mais Québec, Botf!, on s’en fout un peu…
Quant aux arguments environnementaux brandis pour s’opposer au projet, ils ne tiennent pas, ou si peu. Deux liens ne vont pas faire fleurir le parc automobile à Québec, ou alors, ce sera parce que la population a augmenté, ce qui justifiera encore plus ce deuxième lien. Quant au supposé étalement urbain, il sera probablement moins dommageable pour l’environnement, avec une population moindre et une plus grande fluidité du réseau que dans le de-plus-en-plus-Grand-Montréal, où des dizaines de milliers de gens s’entassent quotidiennement sur un réseau autoroutier surchargé pour faire l’aller-retour entre la ville-centre et des banlieues dortoir de plus en plus éloignées, que ce soit en direction de Granby, de Mirabelle, de Rigaud ou de l’est. Sans parler de leur besoin (compréhensible) de sortir de la ville chaque week-end, en voiture, bien sûr, pour mettre le cap sur Saint-Sauveur, l’Estrie ou l’Outaouais, dans leurs beaux VUS si utiles en milieu urbain! Bref, les comportements polluants ont bien meilleur goût quand ce sont les Montréalais et les habitants des (grandes) banlieues qui les ont…
Encore une fois, revoir la forme du projet, pour le rendre moins coûteux, pourquoi pas?, mais qu’on ne vienne pas nous dire, depuis Montréal, quels sont nos besoins dans la région de la Capitale nationale. L’aval de Québec, ce sont plus d’un million d’habitant, qui paient aussi leurs impôts et ont aussi droit à ce qu’on pense à eux en matière d’infrastructures.
Bonjour, d’abord: j’habite à Québec. Depuis 1974 (avec un passage à Montréal en 1994 et 1995). J’ai une auto. Je prends les ponts. Leur vétusté? Celle du Pont Pierre-Laporte n’est pas démontrée. Pas par les experts en la matière, en tous cas. Pour le reste, ce que vous affirmez à propos de l’explosion du parc automobile est rigoureusement faux. Partout dans le monde où l’on ajoute des routes, le parc automobile s’agrandit, jusqu’à saturation des nouvelles routes, et on recommence. Quant à l’argument qui nous oppose à Montréal, il ne tiens pas la route une seconde. En fait, il est exactement la preuve de ce que je viens d’écrire: on ne traverse pas vers l’ile ou les rives sans heurt, bien au contraire. Avant la pandémie, j’allais à Mtl toutes les semaines. Le plus souvent en train, mais régulièrement aussi en autobus et parfois en voiture, cela m’a permis de constater le degré de trafic insoutenable qui y règne. Les Montréalais sont d’ailleurs les premiers à râler dès qu’on leur enlève un morceau d’asphalte au profit d’une piste cyclable. Je pense que personne, nulle part, ne trouverait mot à dire si le projet n’était pas si ridiculement démesuré. Mais surtout: ce ne sont pas les automobilistes qui sont le mieux placés pour savoir quoi faire. Ce sont les experts en transport. Les malades ne sont pas les mieux placés pour se soigner non plus. Un jour, il faudra bien comprendre que nos situations personnelles sont anecdotiques et qu’elles n’ont aucune valeur scientifique. À moins d’être analysées avec une masse de données qui permettent d’en extraire des résultats éclairants.
Rendre le projet moins coûteux? Ah oui, on peut économiser sur la ventilation et faire un tunnel réservé aux voitures électriques…
Il ne faut pas perdre d’énergie à vouloir contrer un projet qui disparaîtra de lui même.
Je vous suggère de lire le nouvelliste du 26 octobre 1979. Un projet semblable (toute proportion gardée) de pont qui n’a jamais vu le jour. Le projet d’abord initié par deux maires successifs de l’ancienne ville de Shawinigan-Sud et pourtant bien appuyé par les députés provincial et fédéral. Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la répéter!