La loi 101 n’est pas un échec

En matière de politique linguistique, l’échec du Québec, s’il y en a un, est d’avoir trop tardé à réformer le système.

Montage L'actualité

J’ai beaucoup hésité avant de vous parler du livre de Frédéric Lacroix Pourquoi la loi 101 est un échec, car il s’agit moins d’un essai que d’un pamphlet catastrophiste, selon moi.

Personnellement, j’ai toujours pensé que la loi 101 n’était pas un échec, même si elle est perfectible. Ce dont l’auteur convient, sans trop donner de détails : depuis 1977, le taux d’immigrants qui choisissent le français est passé de 15 % à 55 % — soit presque quatre fois plus. En matière d’ingénierie sociale, c’est une réussite. Mais Frédéric Lacroix oriente tout son discours vers le fait que le taux d’immigrants qui optent pour l’anglais n’a baissé que de 85 % à 45 % (même pas la moitié). Cas typique du verre à moitié plein ou à moitié vide, la perspective dépend du diviseur, une réalité mathématique que l’auteur, qui est physicien, saisit très bien — et assume.

Cela dit, la lecture de ce bouquin est nécessaire. D’abord parce que ce serait le livre de chevet du ministre Simon Jolin-Barrette, qui prépare une réforme majeure de la loi 101. Et aussi parce que, malgré son titre, le cœur de l’ouvrage est « la dynamique linguistique québécoise dans l’enseignement supérieur ». C’en est la partie la plus convaincante.

Frédéric Lacroix démontre que la politique de libre choix linguistique dans l’enseignement supérieur ainsi que les divers soutiens des deux paliers de gouvernement favorisent indûment les cégeps et universités anglophones — et affaiblissent la partie francophone. Et la même logique s’applique au système de santé.

Tableaux et chiffres à l’appui, la démonstration est impitoyable : les anglophones, qui représentent 8 % de la population, vont chercher plus de 25 % des places et du financement en enseignement supérieur pour l’ensemble du Québec. Pour Montréal, c’est presque 50 %. Cette surcapacité et ce surfinancement réduisent d’autant les ressources disponibles du côté francophone. Surprise de taille : en 2000, c’est François Legault, alors ministre péquiste de l’Éducation, qui a mis en place le système actuel de financement des universités, dont l’effet a été d’avantager outrageusement les universités anglophones et d’accroître la demande pour les cégeps anglophones.  

Selon la théorie de la « complétude institutionnelle » mise de l’avant par le sociologue Raymond Breton de l’Université de Toronto, plus une communauté a des institutions développées, moins ses membres ont tendance à s’assimiler aux groupes environnants. Cette théorie expliquerait pourquoi la minorité anglo-québécoise, qui bénéficie d’établissements surfinancés en éducation et en santé, se porte mieux que n’importe quelle autre minorité canadienne. À telle enseigne qu’elle continue d’être une puissance assimilatrice au Québec même. Frédéric Lacroix met d’ailleurs le doigt sur un gros bobo quand il montre que le nombre de Québécois francophones qui ont adopté l’anglais a soudain doublé entre les recensements de 2011 et 2016, passant à 23 000

Comme Frédéric Lacroix, j’adhère à l’idée que la loi 101 doit être réécrite. Pour moi, la véritable révélation de ce livre aura été d’apprendre que les auteurs de la loi 101 avaient vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. En effet, notre loi 101 actuelle a été pensée pour être appliquée dans le contexte d’un Québec indépendant où le français serait la langue de la majorité nationale et où l’anglais serait celle d’une minorité québécoise. Or, l’indépendance n’a pas été au rendez-vous. Après deux référendums, la majorité francophone demeure une minorité nationale canadienne et la minorité anglophone québécoise demeure une majorité canadienne.

Cet imprévu référendaire, qui justifierait à lui seul la refonte de la loi, n’est que la première d’une série d’évolutions que personne n’avait anticipées. Par exemple, la mondialisation et les nouvelles technologies, qui entraînent une nouvelle forme de consommation directe de produits culturels en langue anglaise ; la fin de l’exode massif de la population anglophone du Québec ; la bilinguisation profonde de la société québécoise ; l’impact important des cégeps sur la diplomation. Bref, les raisons de revoir la loi 101 sont très nombreuses.

Après les fleurs, le pot

Mais parmi les changements de la société, le plus important, selon moi, est celui sur lequel Frédéric Lacroix est très discret. Il s’agit de l’effet transformateur de la loi 101. C’est d’ailleurs sur ce point que Frédéric Lacroix est le plus faible à mon sens.

C’est manifeste par l’absence de définition claire dans le livre de termes comme « francophones » et « langue d’usage ». Cela donne l’impression que l’auteur prend ses lecteurs pour des valises. Prenez l’affirmation maintes fois répétée que le poids démographique des francophones est descendu sous les 80 % (à 78 %), une première depuis 1871. Dans le contexte de 1871, ce terme réfère précisément à l’ethnie « canadienne-française ». Or, la loi 101 est venue bouleverser cette conception ethnique puisqu’elle a pour objet d’y assimiler les immigrants. De quels francophones parle-t-on au juste quand il est question du recul du français ? Ce manque de clarté est la partie la plus irritante du livre.  

De même, la démonstration qu’un fort contingent de francophones diplômés de cégeps et d’universités anglophones constitue le cheval de Troie du recul du français est loin d’être convaincante. Je pourrais présenter à Frédéric Lacroix toute une trâlée de francophones formés en anglais qui enseignent à l’université en français, même si leur langue à la maison n’est pas le français. J’en connais assez et j’en rencontre tellement souvent que je me demande dans quelle catégorie statistique ils cadrent.

La réalité, c’est que le Québec devient pluriculturel, et on sent que l’auteur a beaucoup de mal à réconcilier ce changement avec son discours identitaire. Cela revient partout. Quand il ne dénigre pas le bilinguisme, présenté comme un corps étranger, il s’offusque du fait que de plus en plus de « non-francophones » s’installent à Laval ou à Longueuil. Mais la loi 101 n’a jamais eu pour objet de créer des ghettos et d’interdire aux gens de bouger. Si Montréal et sa banlieue s’anglicisent, c’est aussi parce que les « francophones » (au sens de « Canadiens français ») partent pour Granby, Saint-Sauveur ou Vaudreuil.

Cela dit, même si j’ai une antipathie naturelle pour le genre de frilosité identitaire qui est le sous-texte de l’ouvrage, il faut reconnaître au livre de Frédéric Lacroix le mérite de bien souligner la nécessité de renforcer la loi 101 par une série de mesures externes à cette loi. Comme le dit l’auteur plusieurs fois, le meilleur renfort à la loi 101 est venu du pouvoir que le Québec s’est donné dans le choix des immigrants.

Ce qui nous montre les défis auxquels se mesurera le ministre Jolin-Barrette. Car il ne sera pas capable de faire une réforme importante de la loi 101 sans embarquer plusieurs ministères, à commencer par ceux de ses collègues McCann (Enseignement supérieur), Girault (Immigration, Francisation, Intégration), LeBel (Administration gouvernementale), Fitzgibbon (Économie) et Boulet (Travail) — entre autres.

En comparaison, sa Loi sur la laïcité de l’État, c’était de la petite bière.

***

L’auteur du livre Pourquoi la loi 101 est un échec, Frédéric Lacroix, a tenu à répondre à notre chroniqueur Jean-Benoît Nadeau. Voici sa réplique.

Les commentaires sont fermés.

Frilosité identitaire dites-vous ? L’identité est la base de tout groupe ethnique, quel qu’il soit et la perte d’identité est un ferment de conflits interethniques. Même en France où la langue commune est le français (saupoudré d’anglais bien sûr) il existe des ghettos ethniques tellement développés qu’ils soulèvent des questions quant à l’identité de la république au point où le président Macron parle de « séparatismes ».

Au Québec, l’identité québécoise existe mais elle demeure marginale en Amérique du Nord et l’attraction immense de l’anglo-américain est difficilement surmontable. Là où les communautés ethniques fleurissent, dans l’agglomération de Montréal, il ne faut pas se surprendre de l’érosion de l’identité québécoise qui comprend langue et culture. D’ailleurs dans votre texte vous vous contredisez en questionnant les motifs de M. Lacroix quant à l’identité mais du même souffle vous admettez que Montréal s’anglicise, ce qui est une réalité. Si les francophones quittent Montréal, n’est-ce pas parce que cette ville ne reflète plus leur identité ?

Donc, c’est sur la force d’attraction de l’identité québécoise qu’il faut travailler pour la rendre incontournable pour tous les Québécois. On ne peut faire l’autruche et dire que la loi 101 règle tout, ce n’est pas vrai, et la réalité est toute autre.

Je suis tout à fait d’accord avec Jean-Benoît Nadeau lorsqu’il affirme que la loi 101 n’est pas un échec, même si elle est perfectible. Il montre très bien dans ce texte les progrès qu’elle a engendrés. Il souligne aussi, comme je le fais souvent, que «si Montréal et sa banlieue s’anglicisent, c’est parce que les « francophones » (au sens de « Canadiens français ») partent pour Granby, Saint-Sauveur ou Vaudreuil.»

D’où l’expression :¨Bonnet blanc, Blanc bonnet¨. ( «si Montréal et sa banlieue s’anglicisent, c’est parce que les « francophones » (au sens de « Canadiens français ») partent pour Granby, Saint-Sauveur ou Vaudreuil.») et donc, si les ¨francophones¨ (au sens de ¨canadiens français¨) quittent Montréal, c’est que celle-ci s’anglicise. On n’en sort pas. D’où la nécessité d’établir des règles strictes, claires et nettes à l’effet qu’au Québec, c’est en français que ça se passe. Que ce soit chez McDo de l’ouest de l’île ou chez Home-Depot de Blanc-Sablon. (Ne cherchez pas, y a pas de Home-depot à Blanc-Sablon; c’est un sarcasme)

L’auteur mérite aussi son pot. Pour opposer à Frédéric Lacroix « qu’un fort contingent » (appuyé tout de même par des statistiques) de francophones sortent diplômés de Cégeps et d’universités anglophones et s’assimilent à la communauté anglophone, J.B. Nadeau oppose une « trâlée de francophones formés en anglais qui enseignent à l’université en français ». La « trâlée », la seule puissance statistique fournie par l’auteur, se mute en argument de poids pour réfuter les affirmations de Frédéric Lacroix.