Là où nous vivons : Les ultimes

Dans le deuxième texte de cette série, David Desjardins raconte les deuils qui accompagnent immanquablement un déménagement. 

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Se loger. Habiter un lieu. Quel rapport entretenons-nous avec les endroits où nous vivons et que disent-ils de ce que nous sommes ? La crise du logement qui sévit éclaire aussi l’importance de nos appartements, condos et maisons. Ce billet fait partie d’une série écrite en temps réel, tandis que notre chroniqueur prépare son déménagement vers la campagne après une vie en banlieue et en ville à Québec.

Je m’apprête à tondre le gazon de notre maison de Limoilou pour une dernière fois. Puis, je vendrai la tondeuse. Nous allons désormais vivre sur un terrain forestier, sans pelouse.

La valse de ces « dernières fois » a débuté cet été. Notre départ s’est décidé sur un coup de tête. Je n’avais jamais songé, au printemps, que je n’allais plus pelleter l’entrée ici. Ni me réjouir du silence qu’impose à chaque bordée la chape de neige en recouvrant le bruit de fond permanent de la cité. Ce silence qui sera désormais mon quotidien.

Il est de ces gestes faits pour une ultime fois qui me rappellent comment j’ai aimé cette vie urbaine, ses allers-retours entre calme et chaos.

Revenir du Festival d’été en vélo. Marcher pour aller au café. Rendre visite à ma fille à 700 m de chez moi. Regarder le soleil décliner entre les arbres et les fils électriques. Inviter les amis dans la cour. Passer à l’épicerie maghrébine au coin de la rue.

À cette légère nostalgie se mêle toutefois la joie de fuir les irritants. La pollution, le bruit des trains qui grincent et claquent dans la nuit. Rouler dans le trafic à vélo et sortir de la ville en auto. Les travaux publics à tous les coins de rue de Québec semblent conspirer pour nous confirmer que nous avons pris la bonne décision.

Je lisais une lettre, c’était dans La Presse ou Le Devoir, je ne me souviens plus. La personne qui l’a écrite disait qu’habiter en ville est un acte de résistance. C’est vrai. Ce sont les gens qui habitent un lieu qui se battent pour que celui-ci s’améliore, soit plus agréable. Vient cependant un moment où la posture nous use et où les avantages du quotidien urbain s’étiolent. Je n’ai plus envie de me battre. Je suis fatigué.

La pandémie a eu raison des habitudes de tant de monde. À celle-ci s’est ajouté le cancer de ma fiancée qui a prolongé notre isolement et cimenté un nouveau mode de fonctionnement en marge des foules, de plus en plus loin des salles de théâtre et de cinéma que nous fréquentions assidûment. L’inflation a fini de nous convaincre que les bars et les restos ne nous plaisaient plus assez pour vouloir habiter à côté.

Mi-août, dans la section tourisme du New York Times, un couple d’Italiens ayant quitté Rome pour ouvrir un petit hôtel dans un coin reculé de la Toscane disait simplement ceci : « La pandémie nous a donné la liberté que nous ignorions avoir. Celle de vivre en dehors de l’agitation permanente. À notre vitesse. Dans un décor qui nous inspire. »

Jeudi passé, je suis allé au resto à pied pour la dernière fois. Je crois que c’est la seule chose qui me manquera réellement. Cette sorte de joyeuse nostalgie qui m’habite lorsque j’insère les écouteurs dans mes oreilles et pars, avec ou sans but, pour arpenter les rues de Québec. Limoilou, Saint-Roch, Saint-Sauveur.

Même s’il faisait beau, j’ai mis le dernier Damon Albarn solo. Un album de pandémie, triste, nostalgique au possible. « I now drift, daydreaming / To when we were happy here, on this beach / We played with our children and they were happy too. » J’ai le goût de brailler chaque fois que j’entends cette partie de la pièce. Je devrais l’avoir bannie pour toujours, mais, au contraire, j’y reviens parce qu’elle renferme quelque chose de précieux. Le souvenir de ce qu’étaient les choses avant que tout bascule, un rappel de l’impermanence et de la nécessité de trouver de la beauté dans le foutoir de nos sociétés et de nos existences personnelles.

Je la vois encore, ici, dans ma ville. Mais j’ai envie d’aller vivre ailleurs, avec la nature. Recommencer ma vie. Peut-être pour une dernière fois. Qui sait ?

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« rappel de l’impermanence et de la nécessité de trouver de la beauté dans […] nos sociétés »
Oh oui!, impermanence, évanescence, fabriques de ‘nostalgie’.
Et, oui aussi, sans beauté, en quelque chose, quelque part, serait-ce inviable.

Oui, ‘silence’, j’ai connu…
Né d’dans – en campagne profonde.
Ah qu’c’tait magnifique c’ciel étoilé, pur, habité de silence! Assourdissant.
Beautés toutes.

À une époque en ai-je eu plus qu’assez du vacarme citadin, de la pollution,
d’l’agitation et m’étais-je r’rapproché de c’patelin d’origine (ç’a duré 10 ans).
Suis revenu en Ville, chemin inverse de vous…;-), pour y achever mes jours
et nuits, mais sans que soit-ce « un acte de résistance », car moi non plus
« Je n’ai plus envie de me battre » / juste profiter de ce que la Ville apporte
de plus, de différent / et mets-en que différé-ce! Y compris positivement
à quelques égards, comme moustiques et arômes de purin en moins…

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Monsieur Beaulé, j’adore votre texte, ce qu’il raconte et sa prose recherchée. Pour ma part, j’ai grandi à Sherbrooke pour déménager à Québec, Montréal puis Ottawa, pour enfin revenir dans mon Estrie natale, cette fois dans une ville moyenne mais plaisante… et pas loin de Montréal. Je ne peux rien aux défauts de la métropole et ma nouvelle ville est tranquille, mais je vais chercher le meilleur des deux mondes.

Je vous souhaite de ne pas avoir à vous battre contre l’imposition (imprévue) d’un parc éolien dans votre secteur. On a beau être favorable à la protection de l’environnement et au virage vert, imposer des parc éoliens en milieux habités est non seulement inutile mais contraire à tout concept d’acceptabilité sociale.

Alors le bruit des trains c’est une chose, mais polluer un environnement en troquant son décor pour quelques dollars de plus c’est une aberration. Sans compter la division sociale qui s’ensuit.

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J’ai beau aimer la ville, j’avoue envier la chance d’aller habiter en nature. Non pas que les irritants urbains me pèsent: je compose avec encore avec légèreté. Mais habiter le silence, quelle belle liberté. Je me souhaite la même chance.

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