La place du mort

Dans un étonnant récit, l’auteur David Dorais met en scène un personnage désormais occulté dans la vraie vie : la mort, sous toutes ses facettes.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Du recul. C’est, à mon sens, ce que la psychologie a de plus précieux à offrir.

Une psy m’a déjà demandé : « D’après toi, pourquoi as-tu si longtemps saboté tes chances de réussir ? Était-ce la réussite de ton père qui te paraissait inatteignable ? » Lors d’une entrevue avec l’humoriste Marc Maron, dans son balado intitulé WTF, l’acteur David Duchovny disait que le plus beau cadeau que son père lui avait fait était d’être ordinaire.

Cette idée-là était déjà en moi. Je l’avais exprimée durant nos séances. La psy avait fait le ménage dans le fouillis. Après quelques rencontres seulement, elle m’offrait un point de vue clair, comme un paysage que l’on apprécie depuis les hauteurs par un temps sec et dégagé.

Bien voir les choses ouvre d’autres portes en plus d’en fermer quelques-unes. On sait désormais à quoi ressemble la bête qui nous grignote de l’intérieur. Dans la course de la vie, ce n’était qu’une ombre. Un monstre insaisissable qui nous rendait malheureux sans que nous comprenions pourquoi.

La littérature propose quelque chose d’analogue. Par l’intermédiaire de récits, on entre dans la tête des gens. Fictifs ou pas. Les auteurs et autrices nous donnent accès à la psyché humaine, dépouillée des costumes d’occasion du cirque des apparences. Nous comprenons que nous ne sommes pas seuls avec nos pensées intimes et parfois inavouables.

Avec Avant la mort, David Dorais fait les deux. Docteur en littérature, étudiant au doctorat en psychologie, il propose le récit autobiographique d’une histoire dont on a peine à croire qu’elle est vraie. Un jour, il fait la connaissance d’Anne-Marie. Elle lui confie qu’elle est atteinte d’un cancer qui va la tuer d’ici quelques mois. Et il décide de sortir avec elle malgré cela.

C’est la mort qui m’intéresse, ici. C’est l’impudeur de son récit, dans lequel il se livre sous son plus mauvais jour. Sa bonté pas toujours pure : il avoue tout de suite avoir songé que sortir avec une mourante, ça ferait un bon livre.

Je suis allé à l’école secondaire avec David. Il faisait partie des « brillants », moi des trouble-fêtes qui dissimulaient leur mal-être dans la bouffonnerie. Or, je lis rarement les ouvrages d’amis ou même de connaissances, de peur d’être déçu. Je sais, c’est con. Faudra que j’en parle à un psy. Sauf que la proposition de David me paraissait si singulière que je voulais savoir : pourquoi faisait-il ça ?

« Mon mode d’existence, explique-t-il, c’est beaucoup comment je peux t’aider, te soutenir, te sauver. Ce n’est pas mauvais en soi, à condition qu’on en retire quelque chose, qu’il y ait un minimum de réciprocité. » David combat plutôt une sorte de syndrome du sauveur.

De toute manière, c’est la mort qui m’intéresse, ici. C’est l’impudeur de son récit, dans lequel il se livre sous son plus mauvais jour. Sa bonté pas toujours pure : il avoue tout de suite avoir songé que sortir avec une mourante, ça ferait un bon livre.

Dorais cultive ce genre de malaise qui vient avec le dévoilement de sa vérité. Il offre du recul pour que nous puissions mieux voir, nous aussi, la cohabitation de pensées inavouables avec nos plus nobles sentiments. J’ai récemment eu une conversation avec une personne qui me racontait se sentir à la fois triste et soulagée de la mort de son père, très malade et nécessitant quantité de soins. Nous avons convenu que ces sentiments peuvent bien cohabiter malgré leur apparente contradiction. Reste que c’est plus évident à dire qu’à accepter.

David Dorais fait ce chemin dans son livre. Et nous amène à toutes sortes d’endroits où l’humanité dénudée côtoie l’érudition. À la manière d’Emmanuel Carrère, il glisse dans son récit des morceaux de philosophie humaniste, parle de tarot, s’interroge sur l’existence des fantômes sans que cela semble sorti d’un délire psychotrope.

« Comprends-moi bien, insiste-t-il. Je ne sais pas si les fantômes existent. Mais je sais que les morts continuent d’exister. Anne-Marie, je lui parle, j’achète des choses en pensant à elle. Elle continue d’exister dans ma vie. Les morts existent, on pourrait leur laisser plus de place. »

Nous revenons sur l’occultisme. L’attrait pour le tarot, la magie et l’astrologie, qui connaissent un étonnant retour en grâce, chez les jeunes particulièrement. Pour David, la littérature comme ces activités de divination relèvent de la même stimulation de l’imaginaire.

Nous vivons à une époque d’image sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Elle était autrefois réservée à l’élite et au clergé ; maintenant, nous vivons dans les images et elles nous accompagnent partout, de l’égoportrait à la vidéo TikTok.

L’imagination qui s’active au contact des images, voilà l’usage réel de tout cela comme de la littérature.

Ces moyens, ainsi que la psycho, nous offrent du recul. L’écriture de chroniques aussi. Ils créent un espace pour songer à nos vies, leur donner du sens. Nous nous retrouvons face à nous-mêmes, dépouillés de nos oripeaux sociaux. La vérité émerge, dure et froide comme la mort, mais c’est pour nous aider à vivre.

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La mort est une bête bien étrange. Quand on est jeune, elle n’existe presque pas, éloignée et immatérielle. Plus vieux, elle devient une espèce de compagne inévitable à plus ou moins long terme, le repos du corps.

Mais, qui est-elle? Je suis athée, ne crois en aucun dieu, et les faits me disent que mon corps (y compris mon cerveau) est composé d’atomes et de molécules. Quoiqu’il arrive ces atomes et molécules vont se recycler, retourner à la terre sous quelque forme que ce soit, car nous sommes tous des poussières d’étoiles, du même moule que notre planète où rien ne se perd et rien ne se crée. Or, est-ce que, dans une espèce de monde parallèle on peut communiquer avec les morts? Un monde atomique, moléculaire?

Je me souviens d’un cas où j’étais impliqué dans un procès de meurtre et où la victime me semblait bien présente tout au cours du procès. C’est évidemment le fruit de mon cerveau mais la sensation était forte même si je ne l’avais pas connue mais j’ai senti un besoin impérieux d’aller la voir au cimetière du village et lui parler.

Cela illustre le fait que nous ne savons pas ce que nous ne connaissons pas…

…Mais ne sortons-nous pas tous avec des morts en devenir? Est-ce que cela la Chose moins…tragique ? Non.