La science-fiction comme remède

Non seulement ce genre littéraire réduit notre anxiété en nous permettant d’échapper au réel, mais il nous prépare aux épreuves et nous insuffle même une dose d’optimisme.

Photo : Daphné Caron

Le printemps dernier, la pandémie et le confinement ont paralysé ma capacité à lire des romans.

J’ai su par la suite que le phénomène était assez courant. L’anxiété généralisée avait, chez bon nombre de mes contemporains, endormi cette part du cerveau qui permet de se projeter dans des univers parallèles aux nôtres. Comme ceux que l’on trouve dans les romans plutôt réalistes que je fréquente habituellement.

L’ennui, c’est que je lis normalement tous les jours. Parce que le fait d’être transporté ailleurs m’aide à me détendre. J’étais donc doublement enfermé dans le présent.

Je me suis rabattu sur des biographies de rockeurs. Un brin de poésie. Quelques essais. La projection du réel n’avait plus de sens. Les histoires fictives se déroulant dans le monde pré-COVID me révulsaient.

Puis j’ai acheté Dune, de Frank Herbert. Un peu parce que j’avais vu les premiers extraits du film de Denis Villeneuve. Un peu aussi par culpabilité : un oncle et une tante m’avaient offert le roman quand j’étais enfant et je n’étais jamais allé plus loin que la page 15.

Parce que, bon, je n’ai jamais tellement aimé la science-fiction. J’ai même toujours trouvé ça légèrement ridicule.

J’ai pourtant avalé d’un trait les quelque 900 pages de ce monument de la S.-F., me demandant tout au long pourquoi ce récit m’était plus accessible que d’autres. Puis, tout a débloqué. Je me suis remis à lire normalement. Toutes sortes de romans, y compris, désormais, de la science-fiction, du fantastique et nombre de polars noirs comme la suie qui, malgré l’atmosphère glauque, l’anticipation cataclysmique, les affrontements sanglants et les joutes politiques aux conséquences souvent funestes, me réconciliaient avec la noirceur du réel.

Ariane Gélinas est chroniqueuse de S.-F. à la revue Les libraires, en plus d’en écrire elle-même. « Comme l’horreur et la dystopie, la science-fiction nous permet de fréquenter l’inquiétude pour mieux l’appréhender », me dit-elle depuis les bureaux de la revue d’art Sabord, qu’elle dirige depuis peu. « C’est une invitation à courtiser l’angoisse, à s’en approcher, pour jeter un regard plus lucide sur ce qui se trame autour de nous. »

Ce que confirme une étude menée par des chercheurs américains et danois en 2020 : les amateurs de films d’horreur traverseraient plus sereinement la crise sanitaire. On s’habitue mieux aux désagréments de notre pandémie si on la compare à celles, même fictives, qui transforment nos voisins en insatiables zombies anthropophages.

C’est un peu de cette manière que je perçois la littérature depuis toujours : un outil qui me sert à comprendre les autres et à me préparer à l’insurmontable. Pourtant, comme beaucoup de lecteurs « sérieux », j’ai longtemps boudé la littérature de genre parce qu’elle me paraissait l’affaire d’adolescents boutonneux refusant d’affronter la réalité.

Un article d’une revue scientifique de l’Université de Californie à Berkeley expose à quel point j’étais loin dans le champ. Écrit avant la pandémie, le papier détaille comment une génération qui est rongée par l’anxiété arrive à gérer plus facilement le réel après avoir pris ses distances de celui-ci en s’évadant dans des mondes fantastiques. Les dilemmes moraux, les défis et les peurs des personnages permettent à ces jeunes de comprendre davantage les leurs, sans être écrasés par la proximité d’un récit réaliste.

C’est exactement ce qui s’est produit chez moi ! Mieux encore, l’article soutient que les jeunes qui lisent de la S.-F. ont plus de chances de lire tout court, c’est-à-dire d’autres genres aussi. Comme je l’ai découvert en accéléré.

Citant l’autrice Fanie Demeule, Ariane Gélinas ajoute que « c’est une littérature d’une angoisse bénéfique ».

Avec le sport, la lecture s’est révélée ma plus solide alliée lors du confinement du printemps dernier. Je retournais tous les soirs à mes livres, ce qui me permettait de m’extraire de la morosité de cette saison où les jours se fondaient les uns dans les autres.

Ce refuge m’a été rendu par la science-fiction, que je ne mépriserai plus jamais et que je mettrais dans les mains de tous les jeunes et plus vieux qui souffrent du présent et du réel. Les tribulations de cyborgs, de messies intergalactiques, de détectives du futur ou d’oracles ne sont pas qu’une forme d’évasion, comme je l’ai longtemps pensé. Ces récits nous préparent aux épreuves en prenant le réjouissant détour de l’imaginaire débridé.

Ils ajoutent un peu de magie à un quotidien qui n’a jamais été aussi ennuyeux. Ils ne sont pas non plus sans cultiver notre optimisme alors qu’il est menacé de panne sèche, puisque, pour concevoir des futurs apocalyptiques, il faut bien que les auteurs croient également que cet avertissement qu’ils nous lancent contribue à sauver le monde de lui-même. Les projections du pire se tissant avec le délicat fil de l’espoir.

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Bonjour,

La seule SF que j’ai lue c’est Asimov. Vous me donner une motivation supplémentaire de m’attaquer à Dune. Par contre en temps de pandémie, je me rabat sur ce que j’ai commencé à lire très jeune: les ouvrages sur le seconde guerre mondiale. The Splendid and the Vile de Erik Larson couvrant le première année de Churchill au pouvoir mai 40 à mai 41. Un regard différent sur la vie des Londoniens sous le Biltz. Et présentement How Churchill waged war de Allen Packwood. Le genre de truc qui me permet la mise en perspective de notre ère de pandémie.
Comme espèce nous avons vécu pire et de se le rappeler aide à la gestion de crise.

Sur ce merci d’être une voix pertinente dans nos vies. Autant à L’actualité que dans le monde merveilleux du cyclisme.

JC

Oui, nous avons vu pire et si la Deuxième guerre mondiale vous intéresse, je vous recommande la brique de Jonathan Littel, Les bienveillantes. C’est l’histoire d’un officier SS pendant la guerre et c’est à glacer le sang.

Lorsque vous mentionnez cet article qui «détaille comment une génération qui est rongé par l’anxiété arrive à gérer plus facilement le réel après avoir pris ses distances de celui-ci en s’évadant dans des mondes fantastiques», on peut faire un parallèle avec cette majorité d’ humains qui ont une forte dépendance à la religion.