
Il naît dans le monde davantage de garçons que de filles. Le rapport au sein de la population mondiale se situe de 103 à 107 garçons pour 100 filles. Mais dans certains pays où la sélection prénatale a cours, ce rapport est disproportionné. De fait, en 2014, il y avait 40 millions d’hommes de plus que de femmes en Chine, et 46 millions en Inde. Une situation inquiétante qui a poussé les Nations unies à appeler à mettre fin à la «préférence pour les garçons observée dans de nombreuses régions d’Asie centrale, Asie du Sud et du Sud-Est».
Au Canada, le portrait est bien différent. La population est d’ailleurs en majorité féminine (à 50,4 %) — comme dans la plupart des pays du monde. Pourtant, selon des chercheurs canadiens, le fléau de la sélection prénatale est aussi une réalité au Canada.
Deux études publiées en avril dans le Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC) ont trouvé, au cours des deux dernières décennies, une proportion anormalement élevée de naissances de garçons chez des familles d’immigrants indiens ayant déjà deux filles.
L’une de ces études s’est penchée sur des données de 1 220 933 bébés nés entre 1993 et 2012, en Ontario, de mères qui ont eu jusqu’à trois enfants. Elle a notamment constaté un rapport de 196 garçons pour 100 filles lors du troisième accouchement chez les femmes ayant immigré en provenance de l’Inde et ayant déjà mis au monde deux filles. Pis, ce rapport a grimpé jusqu’à 326 garçons pour 100 filles lorsque les naissances des deux premières filles ont été suivies par un ou plusieurs avortements provoqués.
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Sans reprendre les termes «génocide invisible» du journaliste Pierre Barthélémy, l’autre étude s’est inscrite dans une veine similaire en évoquant des filles «portées disparues». Ainsi, il y aurait un «déficit» d’au moins 4 472 naissances «dans le nombre attendu de filles chez les immigrants indiens au Canada» entre 1990 et 2011. Un chiffre qui concerne principalement les couples de parents nés en Inde (89,4 %), mais aussi les couples dont l’un des parents est né au Canada.
Après avoir analysé plus de six millions de certificats de naissance, les chercheurs ont constaté que, durant la période d’étude, le rapport chez les mères nées au Canada était de 105 garçons pour 100 filles — en plein dans la moyenne mondiale —, avec des «fluctuations négligeables» en fonction de l’ordre de naissance, de l’année et de la province. Mais, chez les mères nées en Inde, le rapport était de 138 garçons pour 100 filles lors du troisième accouchement, et de 166 garçons pour 100 filles au quatrième.
«Je pense que l’implication la plus importante [de cette découverte] est que certains groupes d’immigrants donnent plus de valeur à la vie des fils que des filles. Et si une préférence pour un garçon existe à ce moment de la vie, cela soulève la question de savoir si les femmes dans certaines communautés d’immigrants sont également désavantagées à d’autres stades de la vie — par exemple durant la petite enfance, l’enfance, l’adolescence ou l’âge adulte», a indiqué le chercheur Marcelo Urquia au Globe and Mail.
Consciente de la dimension accusatrice de ces études, Amrita Mishra, de l’Association des femmes indo-canadiennes, a montré du doigt les failles du système juridique qui permettent à ceux qui le veulent de se servir de l’avortement pour effectuer une sélection prénatale.
Au Canada, juridiquement parlant, rien n’interdit l’avortement sélectif. En 2012, le député conservateur Mark Warawa avait déposé une motion visant à l’interdire, mais il avait dû faire machine arrière face au tollé provoqué, son initiative ayant été perçue comme une manière de rouvrir le débat sur l’avortement — soit la stratégie utilisée aujourd’hui par le mouvement anti-avortement.
S’il est impossible d’avoir des données sur l’évolution de la sélection prénatale au Canada, il convient toutefois de noter que le nombre d’avortements provoqués déclarés a diminué de façon draconienne au cours de la dernière décennie, passant de 98 762 en 2007 à 81 897 en 2014.
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Si cette sélection ne se fait qu’au troisième enfant, et après la naissance de 2 filles, ça ne me semble pas bien grave. Et c’est surtout un phénomène assez rare, puisqu’on ne parle ici que des femmes immigrantes indiennes.