Toutes les générations sont condamnées au désenchantement. Le décalage entre la promesse de l’indépendance et la commotion qu’induit le choc de la réalité a toujours été plus ou moins brutal.
Il est désormais alarmant.
J’allais simplement écrire sur les ados qui n’ont pas d’amis. J’avais une piste. Quelques psys m’ont parlé d’une tendance qui va en ce sens, antérieure à la pandémie. L’épidémie de solitude que nous connaissons et qui préoccupe jusqu’à l’OMS touche même les jeunes.
En fouillant, je suis cependant tombé sur bien plus gros que mon sujet de départ. Un océan de détresse dans lequel une si petite chronique menace de se noyer. Surnageons, donc, même si les statistiques à elles seules nous tirent vers le fond : l’augmentation de l’absentéisme scolaire, des troubles anxieux, des dépressions, de l’automutilation et des tentatives de suicide chez les jeunes fait la manchette ici comme ailleurs en Occident.
Je ne sais même pas par quel bout prendre le sujet, tant il est délicat, multifactoriel, quasiment impossible à circonscrire. Un océan, je vous dis.
Je commence donc par cette mère qui peine à retenir ses larmes en me racontant l’histoire de sa fille. Quinze ans. Son corps est constellé de cicatrices : elle se coupe. « Elle cherche tellement des liens véritables, authentiques, qu’elle se livre sans concession quand elle trouve quelqu’un, puis ça se retourne contre elle. » Rejet, diffamation et intimidation sur les réseaux sociaux.
Puis il y a Mathias, huit ans, qui a dessiné des amis lorsqu’on lui a demandé d’imaginer son plus grand rêve. Mathias qui a écrit à son enseignant qu’il désirait mourir. Mathias, trop allumé pour son âge, hyperactif, sensible, qui se braque devant ce qui n’a pas de sens pour lui.
Océane a 15 ans, pas d’amis elle non plus. Elle ne veut plus aller à l’école en personne, elle erre dans la maison. Suivie par un psy, membre d’un groupe d’entraide, elle continue pourtant de s’enfoncer. Le malaise que lui cause la présence des autres est plus facile à fuir qu’à endurer.
Ces enfants ont tous leur lot de diagnostics. Ça permet d’espérer obtenir de l’aide à l’école, à l’hôpital, chez le psy. C’est parfois aussi un outil qui se retourne contre les jeunes, m’explique une professionnelle de la santé mentale, parce qu’ils font de l’évitement en invoquant leur problème plutôt que d’apprendre à vivre avec des émotions désagréables.
Je ne dis pas que c’est le cas de ces trois-là. Je l’ignore. J’ai trop d’empathie et de respect pour commencer à juger de ces histoires particulières sans en avoir les compétences.
Quand le no future n’est plus une posture nihiliste d’ado, mais l’avenir, comment fait-on pour apaiser les angoisses d’une génération qui se sent condamnée ?
Mais une chose est certaine : nos jeunes ont un sérieux problème, et nous, les parents, la société, en sommes la cause.
Ils sont trop sensibles, entend-on souvent. « Si on les avait laissés faire leurs petites crises plutôt que de toujours chercher à faire diversion, ils se seraient habitués à la contrariété », me dit une directrice d’école qui gère des parents… et des profs à bout. Elle a deux enfants et considère qu’elle n’a pas fait mieux que les autres.
Parce qu’on a beau se savoir dans l’erreur, la pression sociale est énorme et va dans le mauvais sens d’une parentalité d’hyperprotection et d’intervention qui alimente l’anxiété et la dépendance.
Avant, une fille de 13 ans gardait des enfants. Aujourd’hui, elle a besoin d’une gardienne. Et essayez, juste pour voir, de faire autrement, sans fléchir devant le jugement des autres parents qui vous considèrent comme irresponsable.
« Nous avons aussi envahi la sphère intime des jeunes », expose la psychologue clinicienne Nathalie Plaat lorsque je lui soumets l’idée que nos enfants sont devenus nos amis. « Il est possible que, pour certains, établir des relations avec les autres soit problématique justement parce que l’expérience qu’ils en ont, c’est celle avec leurs parents, qui sont très exigeants sur le plan émotif. » Éviter l’amitié pour fuir le poids des attentes…
Arrivent ensuite les réseaux sociaux. Un refuge en même temps qu’un piège. Un lieu de connexion et de rejet. « Les ados vont là où les parents ne savent pas quoi faire, là où ils n’ont pas les compétences nécessaires », me dit Nathalie Plaat. On s’y compare, on s’y désole. Même pour un adulte, avec du recul, il est parfois difficile de ne pas être accablé par le théâtre défilant des gens qui y mettent en scène leur quotidien prétendument formidable. « Les parents sur Instagram avec vos enfants parfaits, j’ai envie de vous envoyer chier », me lance une des mères auxquelles j’ai parlé pour écrire ce billet.
Imaginez l’effet de ces images avec zéro recul, à un âge où la mise en perspective est inexistante et où les émotions sont à fleur de peau.
Et puis, enfin, il y a cette réalité qui pèse sur leurs épaules : leur monde menace vraiment de s’écrouler. Quand le no future n’est plus une posture nihiliste d’ado, mais l’avenir, comment fait-on pour apaiser les angoisses d’une génération qui, par-dessus le reste, se sent condamnée ?
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’octobre 2023 de L’actualité.
Je pense qu’il faut donner aux jeunes des modèles de jeunes heureux, responsables et engagés ! Ça existe, j’en connais.
Il faut aussi les encourager à agir au lieu de déprimer.
Je crois aussi qu’il faut cesser de les surprotéger. De plus, les parents ne doivent pas devenir les amis de leurs enfants. Il s’en feront par eux-mêmes! Laissez-les aller un peu. Laissez-leur aussi leur jardin secret. Ils n’ont pas à tout vous dire. Faites-leur confiance! Et, de votre côté, ayez confiance dans l’éducation que vous leur avez donnée.