L’année 2021 finit sur une curieuse note. J’allais écrire « drôle de note », mais l’ambiance ne se prête guère à la rigolade. Trop d’incertitudes, trop de violence, trop de tornades. Et pourtant, il y a des choses auxquelles se raccrocher.
Ce n’est pas normal que décembre sente le printemps. Pas plus que ce ne l’était de cueillir en abondance des framboises et des mûres à ma maison de Lac-Mégantic au début novembre. Même le temps doux, en soi si agréable, est devenu une menace.
À Montréal, ma sympathique voisine, croisée en début de semaine au retour d’une marche sous un ciel bleu, a bien résumé l’affaire : « Ça m’inquiète, mais j’en profite. »
On peut aussi appeler cela « faire avec », attitude qui permet de surmonter le sentiment d’impuissance sans pour autant sombrer dans le déni.
Ainsi, en environnement, de plus en plus de citoyens s’ajustent pour minimiser leur impact écologique ; forcément les gouvernements s’y mettront tant les catastrophes se succèdent.
On observe la même chose face au coronavirus, qui a coloré du premier au dernier mois de 2021. Mais on « fait avec » bien mieux qu’il y a un an. Notre quotidien a pu s’alléger grâce à la science qui a permis la mise au point de vaccins, mais aussi grâce à la discipline dont la grande majorité des gens — particulièrement au Québec — font toujours preuve pour respecter les mesures sanitaires. On ne souligne pas assez combien cette solidarité collective, qui dure depuis presque deux ans, est bien plus forte que les manifestations des groupuscules antivaccins qui ont défrayé la chronique.
Par contre, on tâtonne encore pour trouver comment « faire avec » la pénurie de main-d’œuvre. Ce processus sera plus long, puisque deux phénomènes sont en jeu.
Tout provient d’un manque purement mathématique de personnes puisque, depuis maintenant quelques décennies, nous faisons moins d’enfants. Il n’y aura pas de revirement démographique, mais des solutions existent si on se décide à élargir pour de bon le recrutement des plus de 55 ans, des ex-détenus, des immigrants à qui l’on complique toujours la reconnaissance des diplômes…
Sauf que la donne est complexifiée par le fait que la pandémie a suscité une prise de conscience inattendue : celle du sens du travail, ou du travail tout court, dans une société qui ne sait plus s’arrêter. Le confinement a été l’occasion pour plusieurs de réfléchir à leur équilibre de vie, à l’instar de bien des jeunes qui faisaient déjà valoir leurs limites aux générations d’obsédés du travail qui les ont précédés.
Or, cela entre en conflit avec nos besoins de consommateurs qui veulent tout immédiatement. À chacun ses heures de repos, mais alors convenons que ce n’est pas si grave que les restaurants soient fermés le lundi ou que la livraison de paquets à notre porte tarde de quelques jours. Cet arrimage-là n’est pas encore au point dans nos têtes !
On ne peut évidemment « faire avec » toutes les situations qui comportent de la violence, celle envers les enfants vulnérables, les vieux, les femmes… On a encore si souvent écarquillé les yeux en 2021, ne serait-ce qu’en prenant connaissance du détail des sévices subis par la fillette de Granby ou en constatant à quel point des hommes sont toujours prêts à frapper, pourchasser ou tuer leur conjointe.
Mais au moins, on cherche maintenant à « faire mieux ». Pour paraphraser ma voisine : « Ça m’inquiète, mais j’ai espoir », parce que ces préoccupations sont devenus politiques et qu’on les prend au sérieux. En cette fin d’année, cela se traduit par une réforme annoncée et détaillée de la Loi sur la protection de la jeunesse et des mesures concrètes pour soutenir les femmes — comme le bracelet antirapprochement et la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.
Une autre violence a pris par ailleurs une ampleur inusitée dans les rues de Montréal. Elle se distingue des taux de criminalité plus élevés du passé parce qu’elle touche les jeunes et qu’elle est inattendue et gratuite.
On ne veut pas apprendre à « faire avec », alors il faut donner aux forces policières les moyens de contrer les gangs de rue, qui ont dépassé depuis longtemps la simple délinquance. Mais cette violence criminelle jouxte une agressivité et une anxiété dont parlent beaucoup de gens qui travaillent dans le milieu de l’éducation. Bien des jeunes vont mal et la pandémie ne les a pas aidés.
Pourtant, comme chaque fois que je me tourne vers eux, c’est leur énergie qui, au-delà des statistiques, finit toujours par me galvaniser. Leur enthousiasme quand ils sont retournés en classe, dont moult reportages témoignent ; leur humour pour désamorcer le pire ; et leur plaisir délirant lorsqu’ils gagnent un match ou l’emportent à un quiz.
C’est pourquoi j’avais un très large sourire quand, au milieu des cris de joie et des larmes des participants à la finale du jeu télévisé 100 génies il y a quelques jours, l’animateur Pierre-Yves Lord a souligné à quel point ces ados brillants et dynamiques nous donnent du plaisir et de l’espoir.
Oui, des tas de jeunes sont des modèles de « faire avec » dans notre monde pas simple, mais toujours vivant. Voilà où loge ma foi en l’avenir.