Las Vegas sous le charme des Golden Knights

Ou comment l’équipe de hockey a permis aux gens du coin de s’approprier leur ville, longtemps réservée aux touristes, au divertissement et au jeu. Un reportage de Jean-Philippe Cipriani.

LAS VEGAS — La marée de gilets or et noir déferle en provenance de la « Strip ». Samedi, c’est le deuxième match de la série contre les Sharks de San José, et les fans des Golden Knights convergent vers l’amphithéâtre, la plupart pour y entrer, mais des centaines d’autres pour suivre le match sur les écrans géants à l’extérieur.

À l’ombre des reconstitutions en papier mâché de l’hôtel New York, New York et du futur parc MGM qui ouvrira cet été, le T-Mobile Arena se dresse devant une grande place autrement plus vaste qu’à Montréal, avec bouffe de rue, musiciens et… stand de tatoueurs pour se graver à jamais le logo de l’équipe sur la peau. Vegas reste Vegas.

« C’est quelque chose qu’on attend depuis 20 ans », dit Terry, un natif de Las Vegas, qui admet qu’il n’était pas un amateur de hockey avant l’arrivée des Knights. Vegas n’avait d’ailleurs jamais accueilli d’équipe de l’une des quatre ligues de sport professionnelles.

L’équipe a permis aux « locaux », comme le mentionne Terry, de s’approprier enfin la ville, longtemps « Sin City » réservée au divertissement, au jeu et aux touristes dépravés qui déambulent ivres avec d’immenses flûtes d’alcool cheap à la main.

La réplique de la statue de la Liberté a revêtu le chandail des Knights.

Ils sont 2,2 millions à habiter Vegas. Pour beaucoup, ils travaillent dans les commerces et les hôtels pour en soutenir la réputation. L’arrivée d’une première équipe de sport professionnel permet enfin aux résidants de se tricoter une fierté urbaine dans cette ville inventée dans le désert.

Ici, les chaînes d’information locales n’en ont que pour le hockey. Les Patrice Roy et Sophie Thibault du coin n’hésitent d’ailleurs pas à afficher leur parti pris en ondes. Jusqu’au propriétaire de l’équipe qui se paie une publicité télé pour remercier les amateurs d’avoir soutenu une initiative folle à laquelle personne ne croyait.

L’équipe joue à guichets fermés depuis le début de la saison, à coups de « Go Knights Go» bruyants. Bien sûr, il y a le succès inespéré de l’équipe sur la glace, championne de sa division, actuellement au deuxième tour des séries. Mais quelque chose de plus profond s’est installé.

Même les personnificateurs d’Elvis y sont. Photo : Golden Knights

« 1 October », répond sans hésiter Dan, le chauffeur de taxi qui me conduit à l’hôtel. La fusillade qui a fait 58 morts et plus de 500 blessés lors d’un concert extérieur, le 1er octobre, a eu lieu neuf jours avant le match inaugural. Un tireur avait massacré la foule en tirant des rafales de la fenêtre du 32e étage de l’hôtel Mandalay Bay.

À l’occasion du match d’ouverture, les Golden Knights ont fait une démonstration de solidarité. Aujourd’hui encore, lors de chaque match, les Knights présentent un « Vegas Strong Hero » à la foule — un survivant ou un intervenant au moment de la tragédie — pour que la mémoire des victimes reste vivante.

À la conquête des Latinos

Les Golden Knights attirent aussi une clientèle insoupçonnée à la LNH : les matchs sont décrits en espagnol à la radio. Le descripteur Jesus Lopez lance un « gooooaaaal » digne des matchs de soccer les plus excitants.

La communauté hispanique forme le tiers de la population de Las Vegas. « C’est presque aussi bon que le soccer ! » lance Luis, serveur pince-sans-rire, quand je lui demande ce qu’il pense des Knights. En fait, le joueur de foot en lui est devenu fan de hockey.

Pour faire de nouveaux convertis, les Golden Knights ont lancé un programme de hockey de rue, en partenariat avec la LNH, dans les districts scolaires à forte majorité hispanique. Cet été, quelque 80 000 élèves venant de 65 écoles joueront au hockey chaque semaine.

Et l’aventure du sport professionnel ne s’arrête pas là. En 2020, Vegas accueillera les Raiders de la NFL. Un stade pharaonique de près de deux milliards de dollars est d’ailleurs en construction à quelques pas du Mandalay Bay. Et les efforts pour obtenir une équipe du baseball majeur se poursuivent.

Sin City se transforme peu à peu en Sports City.

Le Nevada, terrain politique

La communauté hispanique a aussi un poids politique important au Nevada, l’un des États qui pourraient donner la majorité du Sénat aux démocrates cet automne. Le républicain Dean Heller est à égalité dans les sondages avec sa rivale démocrate Jacky Rosen. Et les nouvelles attaques de Donald Trump à l’endroit des Latinos, la semaine dernière, n’ont pas aidé son candidat.

En 2016, l’ancienne procureure générale de l’État, Catherine Cortez Masto, avait remporté le scrutin pour succéder à Harry Reid, l’ancien leader démocrate au Sénat, devenant la première élue d’origine hispanique à faire son entrée au Sénat.