Dimanche 13 octobre 2019, 1 h 30 du matin. Laurent Morissette quitte la cérémonie de mariage de ses amis, à Montréal. Laurent est une personne à mobilité réduite, il se déplace en fauteuil roulant électrique. Direction la ligne d’autobus 24, rue Sherbrooke, à partir du Vieux-Port.
À cette heure tardive de la nuit, les autobus se font rares, impossible d’obtenir du transport adapté au-delà de minuit, surtout sans avoir fait de réservation. On oublie les taxis, puisqu’il faut les réserver quelque trois jours à l’avance, et qu’on court toujours le risque d’être oublié.
Laurent arrive à l’arrêt, au coin de Saint-Laurent et Sherbrooke. L’autobus se présente à l’heure indiquée.
C’est à ce moment-là que le geste qui semble le plus banal pour la plupart d’entre nous s’inscrit comme un obstacle insurmontable pour Laurent : entrer dans l’autobus.
En ouvrant la porte, le chauffeur est contrit. « La rampe ne fonctionne pas, monsieur, j’en suis terriblement désolé… »
Comment ça, la rampe ne fonctionne pas ? Ce bus a moins de deux ans d’existence. Il doit bénéficier d’un minimum d’entretien de la part de la Société de transport de Montréal (STM), non ? Bien sûr, mais la rampe semble avoir été oubliée…
Laurent s’emporte : « Vous permettez à des autobus dont les rampes ne fonctionnent pas d’aller sur la voie publique, mais si les portes ne fonctionnaient pas, ce serait une tout autre histoire. Vous nous considérez comme une clientèle différente. »
À cette heure de la nuit, Laurent est forcé d’attendre le passage du prochain bus, une heure plus tard. Il pourrait bien sûr décider de rouler jusqu’à chez lui dans sa chaise électrique. Mais il y a des risques à pareille expédition, en ville, en plein milieu de la nuit… Le feriez-vous ?
Cette histoire n’est qu’un épisode parmi tant d’autres. La liste est longue : absence d’ascenseurs dans les métros, non-conformité d’un grand nombre d’immeubles quant aux normes d’accessibilité, transport désadapté… sans compter la lourdeur administrative pour obtenir certains services ou certaines prestations du gouvernement.
Et quand on essaie de porter ce combat en campagne électorale, y compris celle qui vient d’avoir lieu récemment, « on parle toujours de nous sous l’angle “combien ça coûte, une personne handicapée ?” Tout l’aspect humain est constamment évacué », indique Laurent en entrevue avec L’actualité.
Une histoire qui ne date pas d’hier
Une action collective contre la STM, l’Agence métropolitaine de transport (AMT) et la Ville de Montréal a été autorisée en mai 2017 par la Cour supérieure. Celle-ci comporte une réclamation monétaire pour la discrimination envers les personnes handicapées qu’entraînerait l’inaccessibilité du réseau de transport, ainsi que ses nombreux ratés. L’AMT, la STM et la Ville de Montréal sont visées. Qui plus est, la demande comporte une partie de type « injonction », où il est demandé à la Cour supérieure d’ordonner aux parties adverses de rendre leur réseau accessible dans les dix prochaines années. Les audiences se dérouleront dans les prochaines années.
L’histoire de la discrimination envers les personnes souffrant d’un handicap ne date pas d’hier. Au moment de la construction du métro, dans les années 60, personne ne semblait s’être même posé la question quant à son accessibilité à cette tranche déjà vulnérable de la population. En 2019, seules 13 stations sur 67 sont munies d’ascenseurs. Le comble de l’insulte pour Laurent, qui est aussi trésorier au Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), c’est de voir la station Beaudry complètement rénovée récemment… sans ascenseur.
Tout récemment, le parlement fédéral a adopté une loi visant à faire du Canada un pays dit « sans obstacle », dans les limites du champ de compétence législative du gouvernement fédéral. Emploi et développement social Canada estime à 59 % le nombre de personnes souffrant d’un handicap qui occupent un emploi à l’heure actuelle, contre 80 % de la population vivant sans handicap. On peut relever différents facteurs pour expliquer un tel état de fait, mais les problèmes de mobilité au sein des sociétés de transports en constituent certainement l’un des principaux.
La crise est ailleurs
L’enjeu est de taille pour ces personnes, qui se voient contraintes de planifier leur vie au quart de tour, sans possibilité de spontanéité. Le monde que nous nous sommes bâti, trop souvent, ne s’adresse pas à eux.
Pourtant, ils paient des taxes et des impôts comme tout le monde. Les Chartes des droits dont nous bénéficions sont trop souvent ignorées dès lors qu’il s’agit de personnes à mobilité réduite au profit de l’économie de temps et d’argent.
Nous en sommes tous responsables collectivement. Du simple choix de restaurant lorsqu’on veut avoir notre ami Laurent à notre table, à la réfection de nos réseaux de transport, la proactivité nous manque trop souvent pour assurer l’inclusion des personnes en situation de handicap.
Nous avons tous en souvenir la « crise » des accommodements raisonnables, qui a vu la société civile et politique se mobiliser comme jamais pour trouver une solution à un problème qui n’existait qu’au travers d’anecdotes liées à des demandes de nature religieuse.
Or, la crise était et demeure encore ailleurs. La Commission des droits de la personne reçoit bel et bien un nombre relativement substantiel de demandes par année en matière d’accommodements raisonnables.
Ceux qui sont relatifs à des accommodements religieux ? 18 %, sur 126 plaintes en 2017-2018.
En ce qui concerne des accommodements relatifs au handicap ? 61 %.
Quand le politique pointe la lune, Laurent pointe la station Beaudry.
Je suis encore consternée et j’ai honte de nos coups manqués envers les personnes à mobilité réduite. Un jour on aura des comptes à rendre pis j’espère que ma pénitence ne sera pas d’être handicapée! Je suis vieillissante et sais très bien ce qui m’attend côté transport. Quelle désolation! N’a t’on aucune conscience?
J’ai lu l’article sur la station Beaudry. Heureusement que j’étais assise dans mon fauteuil roulant sinon je tombais par terre. Je vis à burnaby en Colombie britannique et j’utilise le réseau de transport public tous les jours. Toutes les stations de métro sont munies d’un ou plusieurs ascenseurs selon l’achalandage. La majorité des bus sont équipés pour accès en chaise et plus de70% des arrêts sont accessibles pour accommoder la rampe quand elle s’ouvre. Je suis membre d’un comité permanent d’utilisateurs de la compagnie de transport Translink. Ce comité existe depuis 2005. Son mandat est d’informer et de conseiller les planificateurs pour faciliter l’accès au transport aux personnes aveugles, sourdes, à mobilité réduite et aux personnes qui ont des défis neurologiques tel Alzheimer ou problèmes mentaux. Le comité est composé de membres de toute ces communautés et d’intervenants dans les domaines connexes. Originaire du Québec, je connais bien les 2 régions. Je peux affirmer que le service offert aux handicapés de toutes sortes par Tranlink est supérieur à tout ce que jai vu au Canada mais particulièrement au Québec. Votre article me fait honte. Comment les québécois peuvent justifier une telle négligence? La vie économique de tout ce beau monde est sérieusement compromise à cause de cette indifférence. Je vous invite à venir à Vancouver pour voir ce qui est possible quand on veut.
Sincèrement
Odette Brassard
Burnaby C.B.