L’auteur est chroniqueur à L’actualité. Il est également professeur de physique et d’astronomie au cégep de Saint-Laurent, à Montréal.
Je prends habituellement les transports en commun pour me rendre au collège où j’enseigne, lorsque l’horaire le permet. « C’est vraiment ce que j’aurais dû faire aujourd’hui », me dis-je, alors que je découvre à ma grande surprise que les embouteillages post-COVID dans la métropole ressemblent étrangement aux bouchons pré-COVID dont je ne m’ennuyais aucunement.
C’est ce matin qu’aura lieu l’examen final d’un de mes cours de la session d’hiver 2021. Ce sera aussi la toute première fois que je vais rencontrer ces étudiants en personne. En chair et en os ! (Ou en « présentiel », comme le disent les bureaucrates… un mot qui, j’espère, sera relégué aux oubliettes de notre lexique sous peu.)
Avant l’arrivée des étudiants, je prépare la salle de classe en m’assurant que les places assises sont suffisamment distantes. Il y a des pompes de gel antibactérien aux quatre coins de la pièce. Les étudiants devront demeurer masqués pendant tout l’examen, et moi aussi. Lorsqu’ils auront terminé, ils déposeront leurs documents (feuilles-réponses, questionnaires, etc.) dans une boîte en carton qui ensuite traînera dans mon bureau pendant 48 heures au minimum afin de laisser le temps désinfecter tout ce papier. C’est seulement après ce délai que je pourrai manipuler les examens et commencer ma correction.
Certains trouveront ces mesures sanitaires quelque peu exagérées. Peut-être auront-ils raison, mais pourquoi prendre des risques inutiles alors que nous sommes si près du but ? La vaccination avance à grands pas au pays, nous pouvons donc certainement nous permettre un peu d’optimisme prudent pour l’été et l’automne qui s’en viennent.
Les étudiants arrivent l’un après l’autre dans la classe. Ils me saluent poliment au travers de leur masque. Ils m’ont vu et entendu sur leurs écrans, mais ils ne me connaissent pas. Je reconnais quelques visages de ceux et celles qui ont participé aux échanges lors des visioconférences, mais je ne peux pas vraiment les différencier… car je ne les connais pas non plus.
Qui est le clown de la classe ? Qui sont les motivés, les curieux, les plus attachants ? Qui sont ceux et celles qui ont besoin d’un bon coup de pied figuratif au derrière (que je distribue généralement avec un grand sourire) ? Ces étudiants ne sont, pour la plupart, que des numéros.
Et cette impression est sans aucun doute parfaitement réciproque. Quelles sont les chances que je croise ces jeunes humains dans quelques années et qu’ils me lancent : « Oh, votre cours m’a tellement inspiré ! Comment pourrais-je vous oublier, monsieur Fournier ! », comme c’est arrivé bien souvent depuis le début de ma carrière ? Je dirais proche de zéro.
Les trilogies sont la plupart du temps décevantes. La guerre des étoiles ? Le parrain ? Die Hard ? Les troisièmes épisodes souffrent généralement de la formule usée des deux premiers chapitres. Il en était de même pour cette troisième (et dernière ?) session collégiale à distance, l’hiver dernier. Au printemps 2020, le thème était l’instinct de survie. À l’automne ? La résilience. Le trimestre qui se termine ? L’apathie.
« J’aime vraiment votre cours, monsieur », m’a dit un étudiant lors d’une visioconférence récente, « mais je m’en vais à l’université l’an prochain et, en toute honnêteté, je m’en crisse un peu de mes notes finales. Je veux juste passer mes cours et en finir. Ça n’a rien de personnel. » J’ai baissé les yeux et hoché la tête. Habituellement, ce genre d’attitude chez des élèves me fait rouler les yeux jusqu’à Neptune, mais pas cette fois. Je le comprends. Que le prof qui n’a pas pensé la même chose une seule fois lors de la dernière année scolaire lui lance la première pierre. Moi aussi, je voulais juste en finir.
Je termine bientôt ma deuxième décennie d’enseignement. J’ai donc dépassé la mi-parcours de ma carrière. Chaque année, je me rends compte que je m’approche de la retraite et ça m’effraie. Au cours de mes études, j’ai croisé plusieurs enseignants (pas tous !) qui étaient blasés, démotivés, démoralisés, qui offraient à leurs élèves le strict minimum et qui naviguaient sur le pilote automatique en attendant la retraite. Je me suis juré, en amorçant ma carrière, de ne jamais devenir comme eux. Je trouverais quelque chose d’autre pour m’occuper plutôt que de sombrer dans ce triste destin. Nos jeunes méritent mieux.
Néanmoins, le blues du prof m’a durement frappé cette année. Ça m’a poussé vers une grande remise en question. Je ne voulais plus sortir de mon lit quand je pensais au prochain cours sur Zoom. Je déprimais à l’idée d’enregistrer une autre narration par-dessus des diapos PowerPoint. Le résultat de mes efforts était peut-être « convenable », mais je ne suis pas allé en éducation pour faire du « convenable ». Je vise de l’« extraordinaire » à chaque cours.
Ce n’est pas tant que je ne pouvais pas faire de l’enseignement en ligne, c’est que je ne pouvais pas me dépasser en enseignant en ligne. Avec la pandémie, enseigner est devenu un travail plutôt qu’une passion. Et je veux absolument retrouver cette passion.
Comme prof de science, je vais toutefois pouvoir raconter à mes futurs étudiants à quel point c’est l’étude de la science et de la méthode scientifique qui nous aura sortis de ce foutoir covidien. Je le rappelle à mes collègues partout au Québec : n’oublions jamais que nous enseignons aux futurs ingénieurs, docteurs, inventeurs et chercheurs du Québec. Ce sont ces scientifiques en devenir qui amélioreront notre qualité de vie et assureront notre prospérité.
Je vais le répéter à mes jeunes pendant des années. Peu importe les défis qui nous attendent, que ce soit la prochaine pandémie ou les changements climatiques, les solutions résideront dans la science, et seront trouvées par des scientifiques.
Le blues du prof ? Il a assez duré. Je vais prendre l’été pour me ressaisir.
Oh que j’ai hâte de jazzer en classe à l’automne.
Aux responsables de la publicité: J’ai été dérangée et fâchée de voir l’annonce »One Step Closer » en anglais seulement en consultant cet article très intéressant.
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Comme j’ai exercé le métier de professeur pendant une courte période de ma vie, j’ai une idée de cette passion évoquée ici par monsieur Fournier. Enseigner, apprendre est non seulement une passion, c’est encore une vocation. Cela nous habite longuement.
Souvent, les jeunes entretiennent avec leurs professeurs une relation qui dure plus que les deux ou trois sessions réglementaires, des professeurs sont des sources d’inspiration pour la vie. Je ne doute pas que monsieur Fournier qui appartient à cette catégorie de passionnés, soit au nombre de ces inspirants dont le passage dans la vie des étudiants demeurera longtemps.
Ce dont il est question cependant ici, c’est de ce « blues », ces « bleus » qui habitent par les temps qui courent, bon nombre des membres du corps enseignants. Lorsqu’il écrit : « Je ne voulais plus sortir de mon lit quand je pensais au prochain cours sur Zoom », j’admire sa franchise. Je crois pourtant bien qu’il n’y a pas eu au cours de ces 15 derniers mois, pas grand monde qui à un moment ou un autre n’ait pas eu envie de rester au lit, oublier cette vie de m… et toute cette Covid qui n’en finit pas, malgré la vaccination.
Parfois on s’en prend à envier ces inconscients pour qui la vie continue inexorablement, pour qui cette maladie n’existe tout simplement pas. Pour qui le jeu et les opportunités du jeu sont autant d’occasions à saisir.
Dans l’art de la rhétorique, le philosophe d’origine prussienne Arthur Schopenhauer (1788-1860) savait qu’il n’était pas d’arme plus puissante que la réfutation. Le temps viendra, je l’espère, où les praticiens sauront démontrer les errances de nombre de théoriciens qui font reposer sur la science un ensemble de raisons qui relève quelquefois de l’incontinence.