Installée en France depuis trois mois, j’ai coché toutes les cases de la touriste québécoise qui se laisse séduire.
Mais j’assume : quel magnifique pays ! En quelques heures à peine, on passe de la montagne à la mer, de paysages luxuriants à des terres semi-désertiques. Et partout le patrimoine, l’histoire, la culture sont mis en valeur aux yeux des passants.
Circuler est d’ailleurs si facile. Un exemple, banal : chaque fin de semaine, un de mes amis quitte Paris pour Le Havre, où il a de la famille. Il prend le train, ce qui va de soi ici. « Mais une fois arrivé, tu te rends comment chez toi ? » Et lui de répondre, sur le ton de l’évidence : « Ben, il y a le tram ! »
Bien sûr ! Le transport en commun est un incontournable des villes françaises, petites et grandes — je l’ai d’ailleurs déjà souligné dans cette chronique. Mais quand on vient du Québec, où ce service est bancal ou inexistant, il est facile de l’oublier ! Il vaut donc la peine de préciser que Le Havre n’est pas une métropole : elle compte 175 000 habitants, autant que Sherbrooke et à peine plus que Saguenay.
Pour ma part, mon séjour se termine à Paris et je ne cesse de répéter à quel point cette ville est formidable, quoi qu’en pensent les Parisiens qui ne lui trouvent que des défauts — alors que Madrid, elle… Ou bien Barcelone (l’Espagne a la cote présentement)…
Or moi, je savoure la présence des petits commerces et des terrasses à chaque coin de rue : ouverts jusqu’à tard le soir, ils assurent l’animation des quartiers parisiens. Je fréquente assidûment les jolis squares, parcs et jardins qui font respirer cette ville densément peuplée. Bien sûr, je profite aussi de la diversité des musées et du nombre de salles de cinéma.
Au risque de me répéter, j’apprécie par ailleurs le fait que le bus, le métro, le tramway, aux passages fréquents, nous conduisent partout dans la ville. Et je n’en reviens pas que les projets urbanistiques soient constamment associés à un souci de beauté et d’harmonie.
Qu’est-ce que Montréal peut bien offrir en échange ?
J’ai eu ma réponse à cause d’un code, ou plutôt « de » codes.
Invitée un soir chez un copain parisien, j’avais en main les instructions pour trouver sa petite rue, et surtout les données nécessaires pour activer les précieux sésames qui nous mèneraient chez lui. Il y avait d’abord le code pour ouvrir la porte donnant sur la rue, puis celui déverrouillant la porte de la cour, et le troisième pour entrer dans son immeuble. Ne restait plus ensuite qu’à prendre l’ascenseur pour atteindre son appartement…
En France, les codes sont indissociables du « vivre en ville ». Tout au long de mon séjour, j’ai donc fait comme tout le monde et mémorisé le mélange de chiffres et de lettres permettant d’entrer dans l’immeuble où je logeais, sans m’attarder davantage sur cette manière de faire. Mais ce soir-là, au vu des trois codes à taper comme autant d’obstacles pour un simple souper entre amis, Montréal m’a d’un seul coup profondément manqué.
Montréal sans codes, sans cours intérieures, sans volets clos, mais avec des balcons, des escaliers extérieurs, et des portes où l’on n’a qu’à tourner la clé pour arriver chez soi — parfois même sans reverrouiller derrière ! Montréal où les invités n’ont pas besoin d’avoir en main ou en tête une formule magique pour être accueillis : sonner ou cogner à la porte suffit…
Montréal est une ville qui va tout croche. J’ai hâte de voir dans quelle mesure les travaux qui entravent la circulation auront progressé ! Je sais par ailleurs que la fréquence des « autobus de la ville » sera bien variable, en dépit des horaires affichés.
Et au vu de l’esthétisme des villes françaises, je regretterai encore plus fort qu’on se contente de si peu pour embellir la ville. L’anneau de Place Ville-Marie tiendra lieu d’art urbain pour les années à venir, les nouveaux immeubles n’offriront guère d’audace architecturale et le REM va gâcher le paysage. Quant aux arbres, on les plante en pot ou on les choisit si peu matures qu’ils sont voués à dépérir rapidement. De toute manière, s’ils ont une belle frondaison, on coupera leurs branches pour préserver les fils d’Hydro-Québec qu’on se refuse à enfouir !
Tout cela serait profondément déprimant si nous n’avions pas un atout bien particulier : la convivialité. C’est vrai des Montréalais comme de l’ensemble des Québécois. Il y a chez nous une réelle simplicité dans les rapports humains : c’est facile d’entrer en contact les uns avec les autres. Et c’est plus précieux qu’on ne le croit.
En France, les appels à la vigilance s’affichent partout ; au Québec, la méfiance n’est pas un a priori. Les multiples attentats qui se sont déroulés sur le sol français tout au long du XXe siècle et depuis le début du XXIe expliquent cette attitude. Mais je crois que la trame urbaine joue aussi un rôle.
À Marseille, Bordeaux et Paris, autant là où j’ai demeuré que chez les gens que j’ai fréquentés, arriver chez soi signifie s’enfermer. On ne croise jamais ses voisins ; pour voir du monde, il faut descendre dans la rue.
Au Québec, une fois à la maison, et ce, pour la majorité de la population, les voisins font partie du décor. Il suffit de mettre le nez à la fenêtre ou le pied sur la galerie, ou de veiller sur le perron comme dans la chanson, pour les apercevoir ! Qu’on les fréquente ou pas, qu’on les salue ou non, ils participent au théâtre de notre vie quotidienne.
Certes, chacun s’affaire à son petit bonheur, mais on a un œil sur ce qu’il en est de celui d’à côté : ça facilite l’ouverture à l’autre et contribue à créer cet art de vivre accueillant, pas compliqué, qui nous distingue.
Et j’ai maintenant hâte de pouvoir cocher cette petite case qui nous est bien particulière.
Josée, vous nous faites nous aimer plus🤗.